OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le Costa Concordia psychanalysé http://owni.fr/2012/01/30/le-costa-concordia-psychanalise/ http://owni.fr/2012/01/30/le-costa-concordia-psychanalise/#comments Mon, 30 Jan 2012 17:04:44 +0000 Olivier Beuvelet http://owni.fr/?p=96459

Pourquoi les images lointaines et de cet immense hôtel flottant couché dans l’eau sur son flanc droit, sur un fond rocheux, à six brasses seulement de la côte, sont-elles si récurrentes dans les illustrations de presse concernant le naufrage du Costa Concordia ? A voir la quantité et la diversité des images disponibles sur le site Imageforum, ou sur certaines galeries d’images qui complètent généralement l’iconographie des articles consacrés à la catastrophe maritime, on se rend compte que d’une part l’événement est d’une grande importance visuelle pour les médias et que d’autre part la plupart des choix éditoriaux effectués par les sites de presse observés ont très vite privilégié un certain type d’images, pour ne pas dire une seule image, récurrente, celle du grand hôtel qui prend l’eau impliquant la présence (visible ou non) d’un spectateur fasciné par l’énormité de ce qui a bel et bien sombré… On note aussi une surenchère dans la composition et l’esthétisme des images qui montrent l’épave du paquebot, surenchère esthétique qui fait de l’épave un “beau” spectacle à regarder… voir un aperçu des illustrations du monde.fr, du Figaro.fr et de Libération.fr.

Deux figures ressortent ainsi de l’iconographie de ce naufrage, la principale ; celle de l’épave qu’on a même montrée vue d’un satellite pour en attester la grandeur et en face, celle du capitaine, le coupable. Un capitaine qu’on a peint comme étant un flambeur, un irresponsable et un couard… Entre les deux, les naufragés, très nombreux, n’ont presque pas été représentés dans la presse française, ils commencent seulement à réapparaître dans des articles qui évoquent leur indemnisation, mais ils n’ont pas retenu l’attention des équipes éditoriales qui, dès le début, le 14 janvier au matin, ont plutôt choisi de montrer l’image exceptionnelle et spectaculaire d’une gigantesque épave où reposent probablement encore les corps de quinze disparus (le bilan provisoire et de 17 morts et 15 disparus).

Une vidéo filmée par un père de famille est bien venue illustrer la panique vécue par les passagers, mais ce n’est finalement pas cette option vernaculaire qui a été majoritairement retenue par la presse en ligne, qui est restée fixée sur l’épave, vue sous tous les angles, avec à la base de la perspective, du côté du spectateur, le plus souvent, un bout de terre ferme, une maison ou même un spectateur tiers. Et même cette image-ci qui a fait surface mercredi 25 janvier par l’intermédiaire de l’agence AP et qui pouvait avoir un caractère “informatif” puisqu’il s’agit d’une vue de l’événement, n’a pas été reprise dans la presse française (je ne l’ai trouvée que chez Paris-Match) alors qu’elle l’a été assez largement dans la presse anglo-saxone… Elle met le spectateur dans une position de voyeurisme plus délicate et interdit toute délectation devant le spectacle de la grande maison en train de sombrer… Or ce qui est en jeu ici, ce ne sont pas les victimes, mais la vulnérabilité et le gigantisme du navire… pas la détresse des passagers…

Cette fixation française (mais aussi italienne apparemment, cliquer sur les articles pour voir les illustrations) sur la figure du “naufrage avec spectateur” est donc un symptôme, signalé en tant que tel par son caractère répétitif et son caractère emblématique; un symptôme qui nous présente bien autre chose que ce qui est censé être mis en jeu par l’image dans le contexte journalistique de la couverture de l’événement. Loin d’informer, c’est ici une évidence, les prouesses esthétiques des photographes et la fascination partagée pour l’épave vue de la terre ferme, dont témoignent ces images, me semblent viser un autre but, nous manifester autre chose.

L’approche psychanalytique est ici un recours utile à l’interprétation éclairée des images. Non qu’il s’agisse de considérer l’inconscient des sujets réels à l’origine de ces choix d’images, ce serait techniquement impossible et humainement vain, mais parce qu’il est possible, en revanche, de postuler l’existence d’un inconscient (ou d’un impensé) de l’image de presse, comme il existe un inconscient de l’oeuvre d’Art, qui échappe résolument aux errements et aux approximations de la psychobiographie, mais qui se livre volontiers à l’”écoute” attentive de l’analyste des images, si ce dernier prend telle image enkystée dans l’imaginaire médiatique immédiat comme un symptôme, comme un moyen de manifester autre chose que ce qu’elle dit ouvertement. La particularité de ce travail et la grande différence avec la situation analytique, c’est qu’ici, l’analyste participe du sujet énonciateur, il constitue avec l’instance qui formule le récit (l’organe de presse) une sorte de chimère où il est à la fois origine et destinataire de l’image.

C’est son imaginaire qui est dans l’illustration, elle le constitue, et dans le même temps elle s’adresse à lui… comme un rêve au fond, qui est un message à l’intention de la conscience, message parfois sans réponse mais parfois bien reçu par le sujet. Ainsi, l’illustration de presse constitue mon rêve, elle donne une matière à la manière dont je me représente ce qui hante mon monde sans que je puisse le voir… Où puis-je voir la détresse de Sarkozy devant la montée en puissance de François Hollande ? Où puis-je sentir la menace que représente la perte du AAA par la France ? Qui prendra la figure de cette hantise du déclassement qui travaille de plus en plus les classes moyennes des pays riches ?

"Des badauds regardent les opérations de secours..." 22 janvier 2012 sur le site du Courrierpicard.fr (AFP)

C’est l’image de presse, qui accompagne le récit “objectif” du monde que me fait la presse, qui me fournit la matière de ce rêve…

Ainsi, s’il est conditionné par des règles matérielles précises (abonnement à telle agence, conditions immédiates d’édition, concurrence et recherche de l’effet prosécogénique…) le choix de telle ou telle illustration est aussi soumis à des interdits “éthiques”, une instance surmoïque de censure, qui varie en fonction de la ligne éditoriale de l’organe de presse… On imagine mal la pirogue de Sarkozy à la Une du Figaro.fr, à moins que Dassault ne choisisse de soutenir Bayrou… En tout cas, l’image est le terrain où passe ce qui ne peut pas passer dans un énoncé verbal trop explicite, et il n’est alors pas incompréhensible que des choses y passent qui ne soient pas parfaitement formulées a priori par les journalistes qui les choisissent.

Contrairement à ce qu’ils tendent à faire croire, ils ne maîtrisent pas tout leur propos et surtout pas la compréhension qu’on peut en avoir… Ils ont eux aussi un inconscient, ils sont les échos sonores de leur temps et à ce titre reçoivent et projettent en permanence l’imaginaire social qu’ils partagent avec les lecteurs de leur organe. Ils sont autant les aèdes de notre temps que des scientifiques menant enquête sur la vérité… Il faudrait qu’ils soient bien prétentieux pour s’exclure par principe des règles universelles de la communication qui veulent que chaque énoncé visuel ou verbal porte en lui une part de non-dit logée clandestinement dans les plis du signifiant.

André Gunthert en fait la démonstration magistrale ici, l’implicite des images de presse, nié farouchement par ceux qui en jouent plus ou moins consciemment, n’échappe pas à toute interprétation dans la mesure où le contexte d’usage des images leur donne une orientation. Montrer Sarkozy dans une pirogue n’aurait pas eu le même sens dans un autre contexte, et c’est ce contexte informulé qui hante les images, et elles y renvoient le plus souvent de manière allégorique. Mais au-delà du contexte qui pourrait être à l’image de presse ce que les restes diurnes sont aux rêves dans la théorie freudienne, nous pouvons aussi nous intéresser au désir inconscient que libère ou manifeste l’image de presse, dans l’innocence même de son expression implicite, elle occupe une place importante dans l’économie du rapport imaginaire qu’elle établit entre le lecteur et le monde qu’elle lui donne à voir. Elle crée des soubassements fantasmatiques à partir desquels le spectateur-lecteur du journal va aborder la réalité.

En France donc, nous nous souviendrons de ce naufrage à partir de la relation de spectateur sur la terre ferme regardant une grande maison prendre l’eau, et non comme passager paniqué cherchant à trouver la sortie ni comme spectateur voyeur regardant les autres essayer de s’en sortir… Le Costa Concordia, contrairement au Titanic revu par James Cameron, ne sera pas le lieu d’une panique totale, mais une belle épave couchée sous la lune. Et nous la contemplerons comme de simples badauds innocents venus après la tempête voir le fruit du naufrage.

Dans son essai Naufrage avec spectateur, le philosophe Hans Blumenberg évoque l’ancienneté et la récurrence de cette métaphore nautique du “naufrage avec spectateur” comme une expression de la position philosophique, position aussi de l’historien devant l’histoire.

“C’est le Romain Lucrèce qui a forgé cette configuration. Le deuxième livre de son poème du monde s’ouvre sur l’image d’un spectateur qui, à partir de la terre ferme, observe la détresse d’autrui aux prises avec la mer secouée par la tempête (…) Certes l’agrément que ce spectacle est censé procurer n’est pas dans les tourments qu’endure autrui, mais dans la jouissance de savoir que sa propre position n’est pas menacée. Il ne s’agit pas du tout des relations entre hommes, souffrants et non-souffrants, mais du rapport du philosophe à la réalité : de l’avantage que représente – grâce à la philosophie d’Epicure – le fait de disposer d’une base ferme et inattaquable pour considérer le monde.”

Ainsi, cette image récurrente pourrait être le symptôme capable d’exprimer de façon indirecte le désir de terre ferme qui hante les passagers d’une Europe en perdition. Les plus grandes maisons flottantes peuvent sombrer et il est question ici, par ces images impressionnantes, de se sentir à la fois menacés et à l’abri de la menace, sur la terre ferme, tout en ayant conscience de la possibilité du naufrage, de l’agitation des flots et de la confusion entre le liquide et l’habitat. La figure d’un capitaine inconscient et soit disant puéril, sorte de trader gominé qui a voulu flamber (on lui a même prêté une relation avec une étrange jeune femme moldave) vient renforcer opportunément la lecture morale qu’on peut faire de ce mythe qui trouve sa matrice dans l’histoire du Titanic, autre géant des mers, autre hôtel flottant, autre symbole de la démesure humaine, autre tour de Babel, qui avait lui aussi payé très cher son orgueil et sa puissance économique.

Selon la manière dont les choses ont été présentées, Schettino serait à la compagnie Costa ce que Nick Leeson était à la Barings, ou Jérôme Kerviel à la Société Générale, un employé flambeur et inconscient. Or rien n’est encore avéré, mais la lecture spontanée des médias et les choix iconographiques que nous avons pointés ici témoignent d’une production imaginaire orientée par une nécessité interne. Mettre le spectateur en lieux sûrs sur la terre ferme et lui faire apprivoiser l’épave. Il n’est peut-être pas anodin d’ailleurs que ce naufrage ait eu lieu le vendredi 13 au soir, après que l’agence Standard and Poors eut délivré une mauvaise note à une série de pays européens, dont le paquebot France, acroissant ainsi la crise de l’Euro et menaçant du même coup la concorde européenne. ConcordiAA… portait bien son nom… à côté du drapeau européen.

Le drapeau européen du Costa Concordia

Depuis la crise de 2008 qui a vu la Banque Lehman’s Brother couler sous les yeux du gouvernement américain, les naufrages économiques ont été nombreux, l’idée même que le navire de l’Etat puisse se déclarer en faillite, sombrer sous les assauts des tempêtes boursières, submergés par la dette, n’est plus seulement un cauchemar, c’est devenu un horizon pour de nombreux pays… Et la perte du AAA par la France, au matin de ce jour de naufrage en Méditerranée, aura sûrement donné matière aux représentations de l’épave du Costa Concordia, à cette fixation étrange sur cette immense maison flottante, qui agit comme Méditerranée sorte de Memento Mori et d’écran propitiatoire à destination des regards de la zone Euro… Jouissons de la terre ferme !

On apprivoise l’idée de naufrage par cette image qui nous place la plupart du temps à l’abri sur la rive où les maisons tiennent debout, en nous se montrant de belles images d’une mer d’huile où repose tranquillement le navire du marché-roi perdu par son pilote fou… naufragés que nous venons veiller depuis la terre ferme…

C’est Libération.fr qui a vendu la mèche, deux jours après The Guardian, en titrant lucidement : Godard a filmé la fin de l’Europe sur le Costa Concordia.

Cette épave que nous contemplons étrangement et qui distille son poison est peut-être bien celle de l’Europe des marchés et nous désirons tous rester sur le bord, sur la terre ferme, en attendant de pouvoir monter à bord d’un nouveau navire… Et si possible pas sur une pirogue…


Des livres qui ont inspiré cette approche :
-Murielle Gagnebin, Pour une esthétique psychanalytique, Paris, Puf, 1994

-Georges Didi-Huberman, Devant l’image, Paris, Minuit, 2004

-Hans Blumenberg, Naufrage avec spectateur, Paris, L’Arche, 1994

1 Le “ça nous a interpellés” sans plus d’explications, opposé à toute tentative d’interprétation des usages de l’image de presse, ouvre la porte sur cet “air du temps” inconscient qui correspond à la situation, au contexte imaginaire, partagé par les journalistes et les lecteurs de leur organe de presse.
2 Hans Blumenberg, Naufrage avec spectateur, trad. Laurent Cassagnau, Paris, L’Arche, 1994, p. 34.


Billet initialement publié sur Culturevisuelle.org par Olivier Beuvelet.
Captures d’écran via Culture visuelle et photos publiées dans les journaux Sudouest.fr, Courrierpicard.fr (AFP)
Photo du Costa Concordia par Turismobahia/Flickr (CC-byncsa)

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Copé et Takieddine en short http://owni.fr/2011/09/27/cope-et-takieddine-en-short/ http://owni.fr/2011/09/27/cope-et-takieddine-en-short/#comments Tue, 27 Sep 2011 14:39:25 +0000 Olivier Beuvelet http://owni.fr/?p=81135 Le 10 juillet, Mediapart publiait le premier volet de l’enquête sur Ziad Takieddine, illustrant les liens entre l’intermédiaire et plusieurs personnalités politiques françaises. Brice Hortefeux, Jean-François Copé ou encore Thierry Gaubert apparaissent sur des photos chez Takieddine ou en sa compagnie. “Des relations strictement personnelles” avait rétorqué J-F. Copé, secrétaire général de l’UMP. Olivier Beveulet s’est arrêté sur l’une de ces photographies, montrant Jean-François Copé barbotant dans la piscine de la villa du Cap d’Antibes appartenant à Ziad Takieddine. Le “marchand d’arme” a été mis en examen le 14 septembre pour “complicité et recel d’abus de biens sociaux”.

Cette photographie est à la fois exceptionnelle et très banale à l’ère de la transparence sarkozyenne; un homme politique de premier plan, presque nu, dans une piscine en plein été, il pose pour un ou une amie et fixe l’objectif. Face à face lointain entre l’homme et l’appareil ; le cadrage assez large le situe dans un lieu et un milieu. La mention de la date inscrite en rouge sur la surface de l’image nous indique son ancrage dans l’histoire personnelle des protagonistes, la relie aussi à notre histoire (où étions-nous ce jour-là ?) et nous révèle qu’elle a été prise à l’aide d’un petit appareil pour touriste. Le moment et le lieu sont ainsi très inscrits dans cette capture de l’instant présent…

Carpe diem dans la piscine de Takieddine. C’est d’abord un souvenir. Souvenir de quoi ? Pour qui ? Nous verrons… La photographie ne dit rien d’autre que “Jean-François est dans la piscine et me regarde”. Rien de plus courant – si ce n’est que la maison a l’air très luxueuse – rien de que la banalité de la vie heureuse et confortable de ceux qu’on appelle les nantis.

Jean-François Copé dans la piscine de Ziad Takieddine au cap d'Antibes le 13 août 2003, photographie faisant partie des "documents Takieddine" publiés par Mediapart

Et pourtant cette image est une des photographies politiques les plus troublantes et peut-être les plus importantes de ces dernières années. Sa portée symbolique est en train de se définir au fil des articles publiés sur les liens entre Ziad Takieddine et ce qu’on appelle maintenant le clan Sarkozy ; Gaubert, Hortefeux, Desseigne et étrangement Copé… Quant à son rôle politique, en tant qu’élément de ce que le site Mediapart dévoile depuis cet été sous le titre de “Documents Takieddine” (accès payant), il est de plus en plus important, lui aussi, car cette image est un document qui fait partie d’un dossier visant à manifester et à documenter les relations pour le moins “inappropriées” qui existent entre des hauts dirigeants de l’UMP (des proches de Nicolas Sarkozy) et cet homme d’affaire libanais qui a probablement joué un rôle central dans l’affaire des rétrocommissions et financement occulte du contrat Agosta qui a débouché sur l’affaire dite “de Karachi” …

Allégorie

Par ailleurs, son importance symbolique réside aussi dans le fait qu’ elle est l’enjeu d’un certain nombre d’appropriations sur le Web, au point qu’elle risque de rester assez longtemps en travers de la voie royale que son modèle s’était lui-même tracée jusqu’à l’Elysée. Un document et une allégorie, cette image est pour tous ceux qui la détiennent, un véritable trophée, et pour ceux qui la regardent une source d’étonnement et d’interrogations sans fond… Parce qu’au-delà de la présence de Copé dans la piscine de Takieddine, c’est un certain rapport du monde politique à l’argent, propre à notre République parfois étrange, qui est ici involontairement figuré.

D’origine “vernaculaire”, cette photographie témoigne de la façon dont vivent et s’auto-représentent les membres de tel groupe social. Elle constitue ainsi un document ethnographique très intéressant et il convient de l’analyser dans la perspective des relations qu’elle met en jeu.

En premier lieu, ce qui rend cette image si particulière pour qui s’intéresse aux représentations de la vie politique, c’est qu’elle est extrêmement labile sous le regard, qu’elle ne cesse d’évoluer dans sa signification, de prendre du poids politique et du sens allégorique ; au fur et à mesure que le voile se lève sur les arrière-cours de la Sarkozye et les doubles-fonds de la campagne électorale de Balladur en 1995, au fur et à mesure que le rôle du propriétaire de la piscine dans le financement occulte de la vie politique récente est éclairci, cette photographie transforme l’image de son sujet. Copé y passe du statut  de touriste de la Côte d’azur à celui de touriste de la vie politique, et l’eau dans laquelle il trempe de façon anodine se colore sensiblement, se trouble, du poids des affaires menées par son hôte. Ainsi, la part invisible de ce document, l’aura du propriétaire de la piscine, se dessine de plus en plus précisément hors champ et modifie le degré de compromission du nageur candide. Le liquide change de nature…

En effet, l’eau dans laquelle il trempe le touche entièrement, l’enveloppe et trouble ses formes. Il semble même coupé en deux tant la couleur de son costume de bain est proche de celle de la piscine… Elle incarne l’idée d’une symbiose entre l’homme et le liquide… C’est une eau qui le mouille de plus en plus, pourrait-on dire. L’intimité que son corps presque nu y entretient avec l’argent de Takieddine qu’elle représente par métonymie, est de plus en plus suspecte. C’est en effet la presque nudité de l’homme politique devant l’homme d’affaires, l’intimité qu’elle suggère, le fait d’être seul face à l’objectif derrière lequel on suppose aisément le marchand d’armes, qui pose le plus un problème éthique.

Sur les autres photos de la série, Copé est avec son épouse et accompagné d’autres personnes, le cadre ne l’isole pas personnellement et il apparaît dans un flux relationnel à multiples pôles ; des couples d’amis ensemble, en vacances, il y est de passage. Mais ici, seul dans la piscine, il apparaît comme coincé, pris dans le cadre, entre les bords de la piscine qui redoublent ceux de la photographie ; il est au centre des deux, c’est lui seul qu’a voulu saisir celui qui cadre… précisément pour le montrer. Il ne nage pas, il ne joue pas avec ses enfants ni avec sa femme, il paraît simplement au milieu de la piscine et pose pour le photographe. Regarde-moi, je suis dans la piscine.

Ce face à face avec le photographe renforce l’impression d’intimité due à la presque nudité de son corps. Celui qu’on photographie seul, pour soi, torse nu, c’est celui qu’on aime, qu’on désire, qu’on veut garder, celui qu’on est fier ou heureux d’avoir pour soi seul. On peut d’ailleurs supposer que cette photographie ait été prise par son épouse qui était avec lui chez Takieddine ce jour-là, mais on ne le sait pas exactement, et les légendes nous précisent que cette piscine appartient à Takieddine, ce qui permet au spectateur de penser que c’est bien ce dernier qui a pris la photo, ou que c’est pour lui qu’elle a été prise.

Intimité

“Jean-François est dans la piscine et me regarde” devient “J’ai mis Jean-François Copé dans ma piscine, il me regarde comme un gardon tout juste sorti de l’eau et qui se délecte encore de mon appat”. Les grandes espionnes et les grandes corruptrices triomphaient d’avoir mis un puissant dans leur lit, les hommes d’affaires sont fiers de mettre des hommes politiques dans leur piscine. La photographie n’en dit pas plus, elle semble être une fin en soi… C’est précisément ce qui fait d’elle un document sur la relation entre Takieddine et Copé, et au-delà, sur les liens “inappropriés” entre l’argent (qui prend la photo) et la politique (qui se fait prendre en photo). Comme un  document officiel, elle a été dûment établie par les intéressés. Elle atteste l’intimité de la relation entre un homme politique et un homme d’affaires que la presse qualifie de sulfureux.

Mais ce que cette photographie conserve en elle et ne cesse de distiller à nos regards ébahis, ce n’est pas seulement la relation qu’elle établit factuellement entre deux hommes, le cadreur et le cadré, mais aussi celle qu’elle figure à l’aide de puissants symboles. Elle nous parle et nous parle encore, nous dévoile une vérité que notre République n’ose pas encore voir franchement, elle se répand en confidences et déborde de son cadre, comme l’eau claire de la piscine de Takieddine, qui fuit en un courant limpide vers son extrémité droite. Depuis qu’elle a été publiée cet été sur le site de Mediapart et reprise abondamment sur de nombreux sites de presse (le copyright en revient étonnament à Mediapart) elle parvient à formuler visuellement ce que l’opinion publique commence à apercevoir de ce qu’elle savait depuis longtemps…

Elle formule visuellement ce qu’on entend souvent verbalement dans les expressions “être mouillé jusqu’au cou” ou encore “tremper” dans des affaires louches, ou encore “être éclaboussé par un scandale”, ou bien, pour reprendre l’expression de Thierry Gaubert “si je coule, tu coules avec moi”. On peut ajouter l’image de la “noyade” dans une mare d’eau, de Robert Boulin,  ou encore le surnom de piscine qu’on donnait autrefois à la DGSE et qui, par extension, donnait une image sub-aquatique à ses opérations à l’étranger. Comme, justement, celle visant le Rainbow Warrior par exemple. Au fond, la piscine, c’est la figure faussement claire et limpide des affaires troubles de la République… Plus c’est transparent plus c’est opaque, rien de tel, d’ailleurs que la transparence pour cacher ce qu’on ne veut montrer.

Comme l’argent, la corruption est fluide dans notre imaginaire, elle prend l’aspect du serpent qui ondule ou de l’eau qu’on ne maîtrise pas, qu’on ne peut pas contenir, qu’on ne peut non plus définir avec précision, comme l’eau, elle mouille, éclabousse et parfois noie, mais jamais on ne la saisit ni ne l’arrête. La chambre de compensation luxembourgeoise tant décriée s’appelle Clearstream (le courant limpide) ce qui n’est pas forcément un bon indice pour elle. Et l’on en vient à la notion de “liquide” qui semble être la forme intraçable et insaisissable sous laquelle l’argent circule dans les coffres des ministères et les poches de certains hommes politiques…

Contacts inappropriés

Certains hommes politiques français baignent dans le liquide, nous dit cette image sur un mode allégorique. Le pauvre Copé, qui a bien le droit de se baigner dans une piscine en plein été, se retrouve ainsi comme un gardon pris dans le vivier d’un pêcheur de gros. Il illustre une situation qui se fait jour sans le savoir. Il offre aux spectateurs qui se sont invités, par voie de presse, dans l’intimité qu’il entretient avec celui qui le photographie, une magnifique illustration des contacts “inappropriés” (pour reprendre cet anglicisme clintonien remis à la mode par DSK) entre les hommes politiques flirtant avec les sommets de l’Etat et les eaux claires mais troubles de la finance internationale. A tort ou à raison, on le saura peut-être un jour.

Sur le Web, cette photographie a manifestement trouvé des regards qui ont su lui donner toute sa portée. Alors que le site d’@si regrettait cet été que le feuilleton de Mediapart ne trouve que peu d’échos dans la presse généraliste, on peut voir sur Google images en rentrant la requête “Copé piscine” que l’image, elle, a fait florès sur la toile. Souvent reprise telle quelle sur des blogs citoyens indignés par les révélations de Mediapart, elle a aussi fait l’objet d’appropriations narquoises.

Haut de la première page Google Images pour la requête "Copé piscine"

On peut ainsi voir des reprises humoristiques qui exploitent la thématique de l’eau corruptrice ou celle de la relation compromettante.

source : Blog "Che 4 Ever"

Source : nostraberus.over-blog.com

Source : Laplote, l'actualité française vue de Suisse

Article initialement publié sur Parergon, le blog d’Olivier Beuvelet sur Culture Visuelle, sous le titre : “Dans la piscine de Takieddine”

Crédits photo via FlickR CC : Hollywoodpimp by-nd ; Stuck in Customs [by-nc-sa]

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http://owni.fr/2011/09/27/cope-et-takieddine-en-short/feed/ 0
Le NouvelObs.com en cinémascope http://owni.fr/2011/04/05/nouvelobs-cinemascope/ http://owni.fr/2011/04/05/nouvelobs-cinemascope/#comments Tue, 05 Apr 2011 08:30:33 +0000 Olivier Beuvelet http://owni.fr/?p=55001 Comment le cadre choisi pour ouvrir le champ de l’illustration médiatique travaille-t-il l’image et comment constitue-t-il un dispositif susceptible d’instaurer (de disposer) un type de relation à l’objet représenté ?

Le site du NouvelObs.com a adopté depuis quelques semaines une nouvelle formule de Une qui offre aux regards de ses internautes un cadre très large, au format cinémascope déjà utilisé par le site de l’Elysée, et qui propose ainsi une illustration frontale en guise de gros titre. L’image fait ainsi un pas de plus dans l’espace de la Une et prend incontestablement la première place dans la hiérarchie des composantes de la page d’accueil du site.

Le lecteur-spectateur, ou plutôt le spectateur-lecteur du site arrive dans une fresque dont les dimensions n’appartiennent pas à la rhétorique de l’image de presse ou plus largement de la photographie “classique” – si l’on oublie les formats larges des appareils APS et si l’on excepte les belles fresques photographiques de Didier Roubinet - mais plutôt à celui du cinéma spectaculaire en cinémascope et à son effet meurtrière.

Or le choix de ce format lui-même relève d’un désir d’immersion du spectateur dans un espace représenté, et présenté dans des dimensions plus proches de sa perception naturelle que les dimensions tabulaires classiques. L’ouverture du cadre dans sa largeur produit ainsi un effet “panorama” qui, ne permettant pas à l’oeil d’embrasser d’un seul regard l’étendue entière de l’image, l’oblige à naviguer en son sein de manière à lui faire oublier la limite, la fin de l’image et sa coupure de signe, pour lui faire prendre la place d’une nature, seconde certes, mais sans solution de continuité avec son monde.

Le cinémascope et sa fente allongée est un dispositif qui instaure une intimité avec l’objet représenté, fût-il un champ de bataille ou une étendue maritime… Intimité qui vient  du fait qu’il n’y a pas (ou presque pas) de rupture latérale de l’image, que ses flancs se perdent dans le brouillard quand l’oeil se porte en son centre et réapparaissent ensuite si le spectateur sort la tête de l’eau… Ici, le cadre s’impose comme le fruit du bon vouloir du maître des lieux et comme son point de vue subjectif et souverain.

Nous nous souvenons tous de la légitimité et de la souveraineté qu’Alberti conférait au peintre (et au-delà de ce dernier au sujet imageant) en affirmant dans sa célèbre formule fondatrice de la peinture subjective moderne :

D’abord j’inscris sur la surface à peindre un quadrilatère à angles droits aussi grand qu’il me plaît, qui est pour moi en vérité comme une fenêtre ouverte à partir de laquelle l’histoire représentée pourra être considérée.

La précision émancipatrice “Aussi grand qu’il me plaît” instaure d’emblée une autonomie du peintre. Elle fonde sa subjectivité énonciatrice qui s’impose au spectateur comme la focalisation indépassable par le biais de laquelle il devra aborder l’image. C’est d’abord ce qui plaît au peintre (le cadre et le cadrage) qui arrive à mes yeux enveloppant et soutenant ce qu’il lui a plu de représenter…

Intimité émotionnelle

Ainsi, si la littérature dispose d’une focalisation zéro, d’une image sans point de vue, l’image matérielle depuis Alberti et le triomphe de la perspective, ne dispose que d’un point de vue interne ou externe à la rigueur. Mais pas d’un point de vue dont l’objectivité serait comparable à celle, imaginaire de toute façon, du démiurge romanesque qui voit de partout et de nulle part à la fois un univers, qui de toute façon n’existe que dans son imagination.

Tout choix de dimension du cadre est ainsi la base d’une énonciation visuelle qui porte les traces d’une intention et d’un choix souverain : parfois idéologique, orienté par un dogme et un soucis de le transmettre, et parfois dialectique, soucieux de laisser la place à deux courants contradictoires. Ce choix fonde en retour la place du sujet de l’énonciation qui sera précisément celle du spectateur. Empruntant ainsi le vecteur de la subjectivité de celui qui fait l’image et percevant, plus ou moins confusément, ce qu’il a “mis” dans son cadrage, ce qui reste dans son cadre.

C’est à ce point de convergence intersubjective que réside l’éthique du cadrage, comme respect de l’autre par le sujet imageant, car il s’agit de la liberté que ce sujet imageant laisse ou donne à son spectateur, en instaurant une distance plus ou moins importante avec son objet et en ménageant une place à l’altérité dans sa propre énonciation.

On peut dire dans cette perspective que le site du NouvelObs.com cherche manifestement à placer son spectateur-lecteur dans une intimité émotionnelle avec les sujets qui font l’information : en accentuant la dimension affective et personnelle des événements, par le choix d’un re-cadrage en meurtrière jouant sur divers registres pathétiques. C’est-à-dire, cette intimité visuelle qui fait le succès de la presse people. Voici quelques figures de cette rhétorique de l’intime.

L’effet Sergio Leone

Nous avons d’abord l’effet Sergio Leone qui a souvent utilisé la largeur du cinémascope pour faire d’une portion du visage d’un personnage, un paysage complexe et souvent humide où un battement de cil devenait un chant épique.

L'effet Sergio Leone, Le NouvelObs.com mardi 22 mars 2011

La sélection de ces yeux un peu lointains perçus avec acuité par l’objectif d’un photographe embusqué semble nous transmettre une émotion essentielle et intime, prise à la dérobée par un cinéaste qui raconte plus que par un journaliste qui informe. Il nous place dans l’intimité de Fillon, à un moment où il ne pense sûrement pas à l’élection (on n’en sait rien) mais où on peut sentir que l’heure est grave… et ne nous laisse aucune distance, aucun repli, son corps, sa peau, sa présence s’imposent à nous comme une destinée inévitable… le recadrage qui élimine toute autre figure et la visagéité du gros plan nous étouffent dans cette image tautologique de portrait du portrait, et nous donnent l’impression d’avoir aperçu une intention intime…

L’effet paparazzi et l’intimité spéculaire

Ainsi, la défaite d’Isabelle Balkany lors des dernières cantonales donne-t-elle lieu à cette image allégorique où l’intimité réflexive de soi à soi est dévoilée au regard du spectateur-lecteur. Une photographie qui joue sur la rhétorique de la photo volée de la presse people et sur la dimension symbolique archi-utilisée du double spéculaire. Isabelle Balkany, femme à la réputation de fermeté et de combativité se trouve ici comme prise d’un sentiment d’étouffement (elle retire même son écharpe) dans sa relation au miroir et à la presse alors que la disposition de ses deux corps, le vrai et le reflet, oblige l’oeil du spectateur-lecteur à parcourir la surface de l’image à le recherche de la vraie Isabelle, celle qui a été lâchée par son image.

Isabelle Balkaby ; NouvelObs.com lundi 28 mars 2011

Prédominance de l’affect surpris

On peut encore évoquer cette image amusante de Christine Lagarde, mise en cause par des députés socialistes dans ce qui se présente comme une future affaire d’Etat-Tapie.

Christine Lagarde ; NouvelObs.com dimanche 3 avril 2011

L’effet meurtrière s’associe ici à un cliché plus classique qui montre une personnalité politique affectée d’un rictus sans signification précise et qui est remis en perspective par le titre qui s’ajoute au recadrage pour orienter la compréhension de l’image. A la façon d’un boxeur qui menace de son poing fermé celui à qui il va “en coller une”, la ministre des finances, qui était peut-être en train de se masser les mains en réprimant un sourire, se retrouve menaçante et surtout émue, en colère. La dimension illustrative de l’image de presse joue ici à plein pour donner une dimension “humaine” et proche à l’événement politique, et c’est cette formule de pathos sans vis-à-vis ni recul qui accueille notre regard sur le site…

Si tu ne viens pas à Lagarde, Lagarde ira à toi ! Toute l’affaire s’arrime ensuite à cette colère…

Oubli des limites et tension interne

Autre exemple encore dans le désaccord qui oppose Sarkozy à Obama au sujet du retrait des avions américains des opérations en Lybie. Le site choisit d’illustrer l’information sous l’angle affectif, encore une fois, c’est la dimension émotionnelle et la personnalisation qui sont l’objet de cette mise en cadre, qui dispose les deux hommes face à face et montre le président français menaçant son homologue (terme étrange ici) américain… La photographie date du 10 janvier 2011 et a été prise à la Maison Blanche par Jewel Samad pour l’AFP dans un contexte qui n’a bien sûr rien à voir avec celui de la Lybie. Ceci dit, à l’habituelle utilisation rhétorique et hors contexte d’une image d’illustration, l’emploi du format cinémascope crée ici une largeur qui éloigne opportunément les deux figures des bords latéraux de l’image et semble ainsi les fondre dans un espace moins “coupé” du nôtre ou tout moins perçu avec une largeur de champ plus proche de notre perception visuelle naturelle.

Obama et Sarkozy ; NouvelObs dimanche 3 avril 2011

Paradoxalement, la version de la même photographie, publiée par L’Express.fr à l’occasion de cette rencontre en janvier 2011, et recadrée plus franchement sur les deux protagonistes, paraît moins intime que celle-ci parce que les bords de l’image sont tout de suite sur les personnages et les dimensions plus classiques rappellent plus facilement le tableau dans l’image.

Sarkozy et Obama le 10 janvier 2011 à la maison blanche a washington

On voit ainsi que ce qui crée l’intimité entre le spectateur et l’image, ce n’est pas seulement le cadrage serré sur le personne mais d’une part l’énergie affective qui se répand dans l’image à travers les formules de pathos, et d’autre part la possibilité offerte au regard d’oublier la limite de l’image et d’ ainsi mieux croire à la présence des êtres représentés dans son espace. Dans l’image de Fillon ci-dessus, la coupure du visage par le cadre est compensée par la grande proximité qui correspond à l’impossibilité réelle de voir l’ensemble d’une personne quand on se trouve très près de lui. L’effet de distanciation que provoque la présence du cadre dans l’image d’Obama et de Sarkozy devient au contraire un effet de proximité dans cette image de Fillon en ce que le cadre apparaît comme la bordure naturelle de notre champ de vision et non comme le fruit du choix souverain du sujet imageant…

L’objet interposé

Autre figure encore de la mise en scène de cette intimité à la Une du NouvelObs.com, la présence d’objets ou de corps interposés entre le spectateur et l’espace représenté comme dans cette image :

NouvelObs.com dimanche 3 avril 2011

Nous voici plongés dans l’intimité d’une réunion de l’UMP en pleine crise post-électorale. Les nuques des membres photographiés de dos, flous et sans identité, nous placent dans l’assistance et nous cache une partie du champ, nous révélant ainsi que l’image est naturelle, non apprêtée, encombrée comme dans un documentaire des éléments qui obstruent le champ et qu’une photographie saisie à l’improviste ne peut éliminer. Le mouvement subtil de Fillon qui semble lancer son regard par-dessus la tête qui le gêne, pour venir de notre côté renforce cette impression de présence de notre corps dans cet espace… nous sommes au second rang, mais bien dans l’image, dans cette intimité avec l’UMP…

Le faux dévoilement

Enfin, dernier exemple, mais il y en aurait encore d’autres, le faux dévoilement des coulisses est aussi un moyen de donner au spectateur l’illusion d’être du côté de l’image…

Martine Aubry ; NouvelObs.com dimanche 3 avril 2011

Ici, c’est la monstration des objectifs des caméras et le geste de la conseillère de Martine Aubry qui se baisse pour leur échapper et laisser toute la place à Martine qui nous rappelle la dimension factice des arrivées triomphales des hommes politiques dans les réunions de leur parti… On voit ici dans cette fausse mise en abyme médiatique comment le photographe semble chercher à affirmer sa supériorité objective sur la télévision qui filme la version mise en scène par le PS alors que lui pourrait saisir les coulisses de la première et mettre en évidence le côté factice de l’opération. Sauf que ce point de vue est lui-même factice et qu’il se place totalement dans le droit fil de l’idéologie dominante qui consiste notamment à dénoncer  le PS comme un espace purement théâtral où les egos démesurés cabotinent et se déchirent comme des sociétaires du Français. Voilà un procédé qui sous les oripeaux de la dénonciation du spectacle en offre un moins honnête encore, le spectacle de la dénonciation du spectacle.

Or c’est là qu’est le hiatus entre une image éthique, qui libèrerait le regard du spectateur et une image perverse ou idéologique qui l’enfermerait dans une intimité très étouffante avec un point de vue univoque, chargé de pathos et de séductions en tout genre. Dans le champ de la presse people dont le propos est de raconter les histoires de coeur et de pouvoir de l’Olympe médiatique, ce n’est pas gênant, mais dans le champ de l’information politique et en vertu d’un dispositif qui accorde une place importante aux images, ces procédés établissant une intimité affective avec les histoires représentées qui s’appuie sur un usage abusif et univoque du cadrage, posent un problème d’éthique journalistique et de respect de la liberté des lecteurs… La presse et le peep show doivent-ils vraiment se concurrencer ?

Je prendrais en contrepoint cette belle illustration de Libération.fr placée en tête de ce billet dans une position contradictoire, concernant l’envolée des prix du gaz et de l’essence.

Envoléé du prix du gaz et de l'essence ; Libération.fr dimanche 3 avril 2011

Le gros plan n’y est pas oppressant dans la mesure où peu chargé d’affect et énigmatique, il offre au regard du spectateur, sous un angle original et radicalement subjectif,  l’occasion de voir le visible devenir un signe à interpréter, ce qui, au lieu de le soumettre à la force de l’affect, le rend plus libre.

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Publié initialement sur le blog Parergon/Culture Visuelle sous le titre, NouvelObs.com ou l’effet meurtrière

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Crédits photos et illustrations : captures d’écran du site NouvelObs.com, Liberation.fr

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Chirac bouche cousue, une iconographie du silence… http://owni.fr/2011/03/07/chirac-bouche-cousue-une-iconographie-du-silence%e2%80%a6/ http://owni.fr/2011/03/07/chirac-bouche-cousue-une-iconographie-du-silence%e2%80%a6/#comments Mon, 07 Mar 2011 14:10:50 +0000 Olivier Beuvelet http://owni.fr/?p=50052

Motus et bouche cousue… Voici ce qui s’appelle un motif iconographique récurrent, et une formule de pathos qui vaut de grands discours… malheureusement pour la justice et l’édification des foules ! Aujourd’hui, sur la plupart des sites de presse en ligne, Chirac revient, les yeux grands ouverts et la bouche irrémédiablement scellée… Rictus de douleur dont l’expressivité émeut et signe visuel de l’étouffement des secrets de la République qu’il retient dans un silence bien exprimé, bien énoncé visuellement…

À l’exception du Figaro.fr qui le montre sous un jour neutre et presque rajeuni (voir à la fin) et de Slate.fr qui trouve une autre façon de figurer le silence, tous les journaux français exhibent un Chirac aux lèvres bien serrées, décidé à garder son mystère et à ne rien dire de ce qui apparaît clairement comme un système de financement mafieux et un train de vie politique assez éloigné de l’éthique démocratique du service de l’État…

L’omerta de la classe politique

Et pourtant, sur le visage douloureux de ce vieil homme condamné à se taire, apparaît tout le tragique existentiel d’une vie politique fondée sur l’instrumentalisation perverse de la parole, et sur une aptitude exceptionnelle au mensonge… En manifestant son silence de manière si ostensible, l’ancien bonimenteur accède presque à une sagesse aimable, il induit une empathie que nous avons tous, naturellement, pour les vieux sages qui savent se taire, et qui regardent, l’œil pensif, la vie poursuivre son chemin, de plus en plus loin d’eux… Mais c’est aussi l’image de l’omerta qui règne encore dans la classe politique française où le conflit d’intérêt et le goût du luxe finissent par avoir raison de tout, ou presque.

Peu importe ici l’origine exacte de ce rictus qui affecte les portraits de l’ancien président dans la presse, depuis quelques mois, au fur et à mesure que s’approche l’heure, tant attendue par certains, de le voir répondre des facilités de trésorerie qu’il se serait accordé durant des années, aux frais de l’État qu’il devait servir ou d’entreprises qui le servaient, lui qui se revendiquait l’héritier spirituel d’un homme, le général De Gaulle, qui réglait, paraît-il, lui-même ses notes d’électricité à l’Élysée. Est-ce un rictus simplement dû à des ennuis de santé ? Est-ce une expression claire de son intention : « Je ne dirais rien , je ne reconnaîtrai rien. » ? Est-ce un simple  jeu des journalistes qui s’acharnent sur son rictus sénile ? Est-ce une grimace de déception faite à la justice d’un pays qu’il a eu à ses pieds un certain 21 avril ? Chacune de ces images nous le répète, il ne dira rien, l’expression humaine devient un motif politique, il ne dira rien, quitte à devenir, dans les médias, une sorte de gargouille nationale, il ne dira rien, la presse est unanime, tout a déjà été non-dit…

Et ce sont ici les images qui ont la parole…

Le Point.fr, samedi 5 mars 2011.

20minutes.fr, samedi 5 mars 2011.

leParisien.fr, samedi 5 mars 2011.

LExpress.fr, samedi 5 mars 2011.

Slate.fr, samedi 5 mars 2011.

Nouvelobs.com, samedi 5 mars 2011

Le Monde.fr, samedi 5 mars 2011.

Liberation.fr, samedi 5 mars 2011.

Le Figaro.fr, samedi 5 mars 2011.

Billet initialement publié sur Parergon, un blog de Culture visuelle

Image CC Flickr kugel

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Le Président, la légende et le flash-ball http://owni.fr/2011/02/24/le-president-la-legende-et-le-flash-ball/ http://owni.fr/2011/02/24/le-president-la-legende-et-le-flash-ball/#comments Thu, 24 Feb 2011 10:13:39 +0000 Olivier Beuvelet http://owni.fr/?p=48128 A mi chemin entre Les Incorruptibles de De Palma et Les Affranchis de Scorcese, nous avons la chance, en France, d’avoir Les pizzaiolos, les quatre mousquetaires de l’ultra-sécuritaire, Luca, Mariani, Estrosi et Ciotti qui ont largement inspiré Nicolas Sarkozy cet été. Malgré les écueils politiques qui menacent cette navigation à vue derrière le FN, qui lui a déjà valu des déboires dans l’opinion publique, le président s’est saisi d’un fait divers atroce pour ressortir ses biscotos et montrer son sens tout Bronsonien de la justice.

La légende du président policier est restaurée pour l’occasion. Dans le droit fil des enseignements politiques qu’on peut tirer des romans de James Ellroy racontant comment les pontes du LAPD tenaient Los Angeles en coupe réglée durant les années cinquante. Faire peur d’un côté et incarner l’ordre, engendrer le désordre et arriver avec la cavalerie. La recette est déjà vieille, mais quand on a plus d’inspiration, il faut bien compter sur la crédulité du peuple…

Mais la légende la plus intéressante ici n’est pas celle qu’essaie désespérément de raconter notre président policier du dimanche, c’est plutôt celle de l’image que Libération.fr a choisie pour illustrer son article [du 4 février, ndlr] sur la sortie du président contre les faiblesses d’un système judiciaire qu’il a lui-même affaibli.

Nicolas Sarkozy armé d’un Flash-Ball à Orléans jeudi.

La légende est surprenante s’agissant d’une visite présidentielle très solennelle où aucun danger ne menaçait directement le président, si ce n’est celui de faire bien pâle figure dans la course à l’Elysée. Pourquoi s’est-il armé ? Pour arrêter qui ? Pour chasser quoi ?

L’homme d’action

Entre tenir une arme et en être armé il y a un pas menaçant que la légende de Libération.fr fait franchir à Nicolas Sarkozy… Ainsi, on ne nous dit pas qu’il tient un Fash-Ball mais qu’il en est armé. Comme Poutine, notre président est d’abord un homme d’action, un cow-boy, l’homme qui tua Liberty Valence. Alors “Print the legend”. L’heure est grave, le président s’est donc armé.

La précision n’a d’ailleurs aucune utilité, Nicolas Sarkozy ne fait rien de particulier avec ce Flash-Ball, il le tient maladroitement et c’est probablement la raison pour laquelle son entourage immédiat ne quitte pas l’arme des yeux. C’est que malgré tout, le Flash-Ball est dangereux. Et vu le regard vide, la mine défaite et la pâleur du président, il est compréhensible que ses amis se méfient… Joe Pesci avant de tirer dans le tas n’a pas, dans les films de Scorcese, un visage très différent.

Le jeu de Libération.fr est précisément dans cette figure de rhétorique visuelle que la légende ambiguë vient discrètement cadrer. L’exagération ironique…  Sarkozy est “armé” et l’image, aux tonalités chromatiques grisâtres, en contre plongée accentuée, légèrement surexposée, montrant des hommes sévères dont certains portent des uniformes, évoque les affiches de films de flics, ou de gangsters. C’est ici sur le registre visuel que joue l’image, représentant une sortie politique sécuritaire sur le registre visuel de l’affiche de film de Tough guys, soulignant cette virilité guerrière par la légende de l’image, cette photographie de presse se présente comme une parodie qui dénonce elle-même une parodie. Une fiction trop voyante qui montre une fiction trop voyante… A ce degré de recul humoristique, le trait est sacarstique et inattaquable.

Reste à savoir si les électeurs y verront plutôt une évocation des Incorruptibles ou plutôt une résurgence des affranchis.

Article initialement publié sur le blog d’Olivier Beuvelet Parergon

Illustration : Parergon / FlickR CC Shaun Wong

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Naissance d’une iconographie révolutionnaire au Maghreb? http://owni.fr/2011/01/25/naissance-dune-iconographie-revolutionnaire-au-maghreb/ http://owni.fr/2011/01/25/naissance-dune-iconographie-revolutionnaire-au-maghreb/#comments Tue, 25 Jan 2011 10:00:23 +0000 Olivier Beuvelet http://owni.fr/?p=43646 Dans le prolongement de la réflexion d’André Gunthert et de Patrick Peccatte sur la représentation médiatique des événements tunisiens et algériens, et concernant plus particulièrement la conversion visuelle de la presse française qui est passée de la mise en images d’”émeutes” semblables à celles qu’a connues la France en 2005, à l’éloge lyrique de la Révolution tunisienne, j’ai cru bon de mettre en relation deux images glanées à quelques heures d’intervalles sur le site du Parisien.fr puis sur Le Figaro.fr, samedi 22 janvier.

La grande manifestation pour la démocratie à Alger, interdite par le pouvoir est ici interprétée de deux manières différentes, et cette différence de vue, constatée au sujet d’un même événement me paraît bien mettre en lumière les enjeux importants de l’illustration de presse dans la perception et donc l’interprétation des faits … et au-delà les effets que ces dispositifs peuvent avoir sur la manière dont nous voyons et nous nous représentons les événements en fonction de nécéssités idéologiques.

Le Parisien.fr : projection des clivages français sur les évènements algérois

Pour le Parisien.fr, la manifestation d’Alger se présente dans le registre iconographique des émeutes. Le dispositif est le même que celui souvent utilisé par la presse française pour illustrer les flambées de violences urbaines en France. L’image est prise de derrière le cordon de policiers, protégeant ainsi le spectateur de la menace que représente la jeunesse en colère. Il se trouve placé par le cadrage dans la position de celui qui est visé par les projectiles et qui se rassure de la protection de la police.

Le parisien.fr 22 janvier 2011

Les manifestants d’Alger n’ont ici aucune revendication, comme nos jeunes de banlieue en révolte, ils semblent poussés par une colère indéterminée, ou par un besoin orgiaque de se consummer dans l’effusion comme le souligne ici ce disciple de Michel Maffesoli … L’émeute est comme son nom l’indique bien émotive, semble nous dire l’image… sa seule logique est celle de la casse et de l’effusion dionysiaque, il n’ y a rien à entendre.

Peu importe que cette photographie de Fayez Nureldine (AFP), non légendée par Le Parisien.fr, soit tirée d’une série de clichés datant des manifestations du 7 janvier et non de la journée de mobilisation algéroise, ce n’est qu’un indice de plus de l’intention du journal dans sa démarche illustrative. Il s’agit de montrer que pas plus à Alger qu’à Nanterre pendant les grèves, les jeunes qui s’emportent n’ont de destin ni de revendications…

La rhétorique est celle des émeutes ; ”interdit”, “blessés” et “arrestations”. Il s’agit de placer le spectateur-lecteur du côté du maintien de l’ordre et de ne pas associer cette révolte à l’idée d’une revendication démocratique… La leçon tunisienne n’a pas été retenue, et le journal projette ici les clivages français (et la cécité qu’ils provoquent) sur les événements algérois… Les mêmes jeunes, les mêmes problèmes…

Le Figaro.fr : l’affrontement, la démocratie et le Ché

Le Figaro.fr, lui, a le mérite d’avoir innové dans sa manière de représenter les événements en inventant une nouvelle forme, entre la représentation canonique de la Révolution et celle de l’émeute. Ici, comme si ces deux figures avaient fusionné, nous retrouvons les éléments iconographiques de l’une et de l’autre pour donner naissance à une représentation nouvelle et d’après moi inédite des conflits sociaux au Maghreb.

Ne sachant pas si l’Histoire suivra son cours émancipateur en Algérie, après la belle surprise tunisienne, le journal a pris soin de ménager l’avenir et de donner dans l’hésitation, dans la retenue et l’incertitude visuelle. L’image est alors tellement neuve qu’elle paraît mise en scène.

De la figure de l’émeute, nous retrouvons le placement du spectateur derrière les forces de l’ordre qui sont tout de même moins présentes, et un face à face avec des hommes en colère, mais aucune femme dressée au dessus de la foule (aucune Marianne) ne vient porter ici le lyrisme à son comble ; la Révolution n’est pas seule représentée, c’est l’affrontement qui ressort. Le titre pose d’ailleurs les bases de ce face à face : “Une manifestation pour la démocratie” et non plus la vague “Marche” du Parisien.fr et non plus un interdit qui entraîne de la violence et des blessés, mais un empêchement qui s’en tient à la confrontation, à la rencontre de deux forces contraires.
Cependant, l’absence de femme est compensée par la présence d’une citation du Ché qu’on reconnaît facilement au centre de l’image, par la couleur rouge du drapeau Tunisien (double référence à la Révolution) et par ces poings levés qui revendiquent plus qu’ils ne menacent…

L’image est ainsi en équilibre et ouvre les regards français sur une interprétation plus mesurée et moins stéréotypée des événements. Un imaginaire nouveau naît ici dans la représentation d’un manifestant algérois en Ché Guevara, association visuelle du type de l’antonomase déjà étudiée ici… prenant le chemin des peuples d’Amérique latine, les peuples du Maghreb marchent vers la justice et la liberté… ce qui apparaissait comme des émeutes sans but ni structure devient un mouvement démocratique appuyé sur une idéologie, et par voie de conséquence… les images prises de derrière les policiers ne sont pas toujours le signe d’une menace ni d’une urgence. Que faisons-nous là ? De quoi avons-nous peur ? Et en France ? (ça c’est peut-être pour plus tard)

Des icônes révolutionnaires

Il est peu probable que le rédacteur du Figaro.fr ait pensé à tout cela en choisissant cette image, elle est belle et colorée et convient bien à la ferveur révolutionnaire qui flotte actuellement au sud de la Méditerranée. Ceci dit, il est probable que sans le revirement médiatique qui a suivi la chute de Ben Ali, sans les Unes de L’Express et du Nouvel Obs qui ont fait naître une iconographie révolutionnaire maghrebine sur les bases d’un réinvestissement de l’iconographie canonique de la Révolution française, cette “nouvelle” image d’un Ché algérois, qui sort des stéréotypes, n’aurait pas été sélectionnée…

Un imaginaire révolutionnaire et démocratique maghrébin est en train de se mettre en place dans les consciences françaises à la suite des événements tunisiens, une iconographie susceptible de le porter se déploie dans les colonnes de certains de nos journaux…

Il n’y a pas que des dictateurs face à des islamistes en Algérie, mais il y a des démocrates et des gauchistes révolutionnaires… Pas une révolution d’indépendance avec ses figures écrasantes, mais une aspiration populaire à l’égalité… Avant, il était impossible pour les médias français de voir autre chose que la copie, l’écho, de nos émeutes de banlieue dans ces révoltes du Maghreb, impossible de s’interroger sérieusement sur les raisons de la révolte… Il ne fallait pas y voir l’expression d’un désir de justice, de liberté ni surtout d’égalité…

Les tunisiens étant allés jusqu’au bout, ils ont pu prendre la parole…Alors on ne peut plus simplement représenter des ombres masquées brandissant des pavés dans la fumée des grenades lacrymogènes… Des visages apparaissent, des idées aussi… et même le Figaro.fr, friand d’images de jeunes émeutiers, se prend à innover…
En tout cas, la comparaison de ces deux images choisies pour illustrer un même événement montre bien la présence du dispositif idéologique dans lequel l’illustration de presse, en tant que dispositif visuel, prend sa place. Et l’on voit peut-être, en ce moment même, naître un nouveau Maghreb dans notre imaginaire…

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Billet publié initialement sur Culture Visuelle/Parergon sous le titre: Le Ché d’Alger ; naissance d’une nouvelle image du Maghreb ?

Crédits photos : Captures d’écran du Parisien et du Figaro sur Parergon/Culture Visuelle; Antonio Perezrio sur Flickr sous licence cc-by-nc-nd

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http://owni.fr/2011/01/25/naissance-dune-iconographie-revolutionnaire-au-maghreb/feed/ 7
La dernière photo d’Henri IV et la vérité des images… http://owni.fr/2010/12/21/la-derniere-photo-d%e2%80%99henri-iv-et-la-verite-des-images%e2%80%a6/ http://owni.fr/2010/12/21/la-derniere-photo-d%e2%80%99henri-iv-et-la-verite-des-images%e2%80%a6/#comments Tue, 21 Dec 2010 09:46:54 +0000 Olivier Beuvelet http://owni.fr/?p=33697 Sur son profil Facebook, Gallica diffuse une série de portraits d’Henri IV en proposant la chose suivante à ses amis : “Comparez la tête d’Henri IV récemment retrouvée aux portraits du roi disponibles dans Gallica.” Or, à voir la photographie ci-dessous de la tête d’Henri IV récemment retrouvée, le travail de comparaison proposé par le site de la BNF semble difficile. C’est qu’Henri IV a bien changé durant ces quatre derniers siècles…

Photographie de la tête momifiée d'Henri IV

Il s’agit bien sûr de comparer la reconstitution de la tête du roi effectuée à partir du squelette de la momie retrouvée (voir plus bas) et non, bien sûr de comparer la momie aux portraits. Cependant, l’invitation iconographique de Gallica, dans sa formulation raccourcie et ambiguë, met en évidence  une relation entre le modèle et sa représentation imagée qui ne manque pas de m’interpeller.

J’avais déjà été frappé par le dévoilement du “vrai visage” de Jules César, suite à la découverte à l’automne 2007 de son buste dans la vase du Rhône près d’Arles, ville fondée par l’Empereur en 46 av. JC. La ressemblance probable entre le buste et son modèle reposait alors d’une part sur la datation scientifique de la sculpture de marbre, correspondant au vivant de l’homme ce qui laissait supposer que la représentation avait pu bénéficier de la présence du modèle vivant, d’autant qu’il s’était réellement rendu en Arles, sa ville, et d’autre part sur le réalisme de l’ouvrage finement ciselé qui faisait apparaître des rides et d’autres signes de l’âge, ainsi qu’une expression mélancolique conférant à l’ensemble un air d’instantané photographique. Allant à l’encontre des représentations habituelles de César, fondées sur le buste post mortem de Tusculum, qui montraient un visage plutôt émacié et tranchant, celui-ci faisait de lui un bon vivant aux traits doux et latins… loin du César d’Uderzo. Elle avait donc l’aspect d’un dévoilement, d’une révélation. Et cette représentation jouissait de l’aura que lui conférait une possible présence de Jules César devant le sculpteur. C’est le portrait le plus proche, c’est-à-dire le plus proche d’un contact, d’un contact visuel entre le modèle et la représentation. La sculpture apparaissait alors comme une photographie, ou tout au moins sa crédibilité s’appuyait sur l’idéal photographique (son illusion essentielle), selon lequel l’image conserve une empreinte du modèle présent et ainsi, un peu de la réalité de sa présence. C’était le processus de représentation qui authentifiait la ressemblance.

L’apparition de la “vraie tête” d’Henri IV, avant hier, dans les colonnes des grands quotidiens nationaux, pouvait elle aussi ouvrir à un certain nombre d’interrogations concernant cette question de la ressemblance. Contrairement à l’icône ou à l’idole, la relique ne se soucie pas de fonder l’illusion de la présence dans une (même vague) ressemblance au modèle, au prototype, elle est un pur morceau de présence, dissemblable mais ayant réellement été en contact avec le modèle, voire, ayant été une partie du modèle et ce contact est traditionnellement établi par un récit. La relique est donc à la fois le modèle (ou son empreinte) et sa représentation dissemblable. On peut dire qu’avec l’apparition de la tête d’Henri IV, c’est le modèle lui-même qui est réapparu, à la fois comme relique et comme portrait photographique le plus récent. Or, bien que photographie de la tête de Henri IV, cette image publiée dans la presse ne ressemble pas, à première vue, aux portraits qu’on connaît du roi (heureusement pour le vert galant qui n’aurait pas été si vert si cela avait été le cas!) et on ne reconnaît pas le roi dans ce modèle précieusement conservé.

Son authentification n’est venue que d’une enquête scientifique qui a la particularité d’avoir procédé à partir des représentations comme témoins de la vérité pour authentifier le modèle. Ne pouvant établir sans conteste l’authenticité de cette tête par le biais d’une analyse d’ADN, l’équipe de chercheurs dirigée par le docteur Philippe Charlier, s’est principalement appuyée sur des portraits pour authentifier le modèle qui ne se ressemblait plus. Comme nous le dit l’article du British Medical Journal, “CT scanning enabled the team to image the skull, and from this build up a facial reconstruction to compare to portraits.” C’est ainsi à partir d’une reconstruction faciale faite sur la base d’un scanner des os du crâne que des comparaisons ont été faites avec les portraits connus du roi.

reconstitution faciale

Et cette étude débouche sur des conclusions qui confirment que la momie ressemble bien, malgré les apparences, aux représentations du roi : “A digital facial reconstruction of the skull was fully consistent with all known representations of Henri IV and the plaster mould of his face made just after his death, which is conserved in the Sainte-Genevieve Library, Paris. The reconstructed head had an angular shape, with a high forehead, a large nose, and a prominent square chin. Superimposition of the skull on the plaster mould of his face and the statue at Pau Castle showed complete similarity with regard to all these anatomical features.”

Un des portraits proposés par Gallica

Dans un second temps, une comparaison a été établie entre des marques sur le visage et des éléments connus du portrait. Une boucle d’oreille à l’oreille droite comme c’était l’usage à la cour des Valois et une tache de 11 mm sur la narine droite ainsi que la trace d’une estafilade… L’article précise ainsi : “Two features often seen in portraits of the monarch were present : a dark mushroom-like lesion, 11 mm in length, just above the right nostril and a 4.5 mm central hole in the right ear lobe with a patina that was indicative of long term use of an earring. We know that Henri IV wore an earring in his right earlobe, as did others from the Valois court. A 5 mm healed bone lesion was present on the upper left maxilla, which corresponds to the trauma (stab wound) inflicted by Jean Châtel during a murder attempt on 27 December 1594.”


Comparaison entre les portraits et les marques retrouvées sur la tête momifiée d’Henri IV

D’autres études ont bien sûr été menées pour authentifier la tête, au carbone 14 par exemple, permettant de dater la momie entre 1550 et 1650, ce qui correspond bien à la date de la mort d’Henri IV, le 14 mai 1610. Par ailleurs des restes de plâtres témoignent des trois moulages successifs effectués sur la tête du mort, en 1610, 1793 et récemment par un des détenteurs de la tête. Il n’a pas été possible d’effectuer une comparaison de l’ADN, ce qui laisse le champ de l’interprétation encore ouvert, mais très peu.

Ce qui me frappe donc dans cette démarche, c’est la manière dont l’image vient témoigner pour le modèle revenu après coup. Ce qui est étonnant, c’est cette inversion des rôles de la représentation et du modèle, l’image devenant un modèle dépositaire de la vérité des apparences susceptible d’authentifier le modèle qui a perdu de sa ressemblance à lui-même et est étudié comme une représentation, sur des critères de correspondance des signes. Ce sont ces signes (piercing à l’oreille, tache, blessure) qui viennent comme des poinçons attester l’identité du modèle.

Alors que dans le cas du visage de César, la présence supposée du modèle au moment de sa confection authentifiait l’image comme ressemblance, selon les vertus illusoires du paradigme “photographique” de l’empreinte visuelle (ou de la peinture sur le motif/devant modèle) ici c’est l’image (comme recueil de la présence) qui vient authentifier le modèle et lui restituer une ressemblance perdue et, en fonction de cette dernière, son aura éventuelle. La relique n’est pas seulement un vrai morceau d’Henri IV, mais, malgré les apparences, elle lui ressemble, porte ses signes distinctifs et c’est de là qu’elle tient son aura. On peut maintenant regarder cette relique en se disant qu’on voit Henri IV, le vrai Henri IV. Dans les deux cas pourtant, c’est la croyance dans la capacité de l’image à conserver une empreinte visuelle (présence de César devant le sculpteur et d’Henri de Navarre devant le graveur ou le peintre) et donc à receler une vérité qui confère une authenticité à l’image… ou au modèle… Mais alors que pour César il s’agissait d’établir la vérité de la représentation, dans le cas de cette étude de la tête d’henri IV, la vérité de la représentation est un point de départ pour les expériences, la représentation est a priori exacte et vraie.

Certains extrêmistes de la République naissante avaient coupé cette tête momifiée de son origine en 1793, allant chercher toute les présences efficaces du roi jusque dans les tombeaux, ils avaient jeté le corps embaumé du bon roi dans la fausse commune comme ils avaient aussi décapité les rois de Juda sur la façade de Notre Dame, manifestant ainsi, de manière irrationnelle, leur croyance dans la puissance magique de la face royale qu’il s’agissait de mettre à bas…  Puis, la République renforcée s’était apaisée, considérant les rois comme de braves grands-pères devenus inoffensifs… seuls les royalistes croyaient en cette tête et en sa force…

Il est singulièrement saisissant que la tête momifiée d’un roi assassiné reparaisse aujourd’hui, retrouve son aura à travers un rayonnement médiatique, reconnecte la République à son inconscient monarchique et à cette “valeur mystique de la liqueur séminale” qui fondait le royaume ; comme le retour du refoulé d’une République dont la tête perd la tête, croit follement à ses propres représentations, et à sa lignée, une République en crise qui cherche, d’une manière étrange, à se fabriquer des reliques nationales sur la base d’une croyance idolâtre en la ressemblance et en l’identité.  La science vole ici au secours de l’idolâtrie en fondant la croyance sur des preuves objectives qui sont finalement les mêmes que celles qui ont toujours servi à authentifier les véroniques (vera icona) ; l’image authentique est l’image dont un récit nous dit qu’elle porte l’empreinte visuelle du modèle… qu’elle tient quelque chose de la relique…

Un film est à venir en février sur l’histoire de cette tête… Observons bien ce qu’elle deviendra par la suite…

Les illustrations scientifiques sont tirées de l’article du BMJ linké plus haut.

Lire sur cette question le livre de Hans Belting, La vraie image, (Le temps des images) Paris, Gallimard, 2007

Trouvé sur Le Figaro.fr … dans le genre problèmes d’identité nationale, c’est succulent, l’héritier de Henri IV en banquier américain…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Lire aussi cet article de Libé .

>> Article publié initialement sur Parergon, un blog de Culture Visuelle

>> Illustration CC FlickR : Nick in exsilio

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http://owni.fr/2010/12/21/la-derniere-photo-d%e2%80%99henri-iv-et-la-verite-des-images%e2%80%a6/feed/ 2
Toy Story 3, l’homme est un jouet pour l’homme… http://owni.fr/2010/08/25/toy-story-3-lhomme-est-un-jouet-pour-lhomme/ http://owni.fr/2010/08/25/toy-story-3-lhomme-est-un-jouet-pour-lhomme/#comments Wed, 25 Aug 2010 10:12:30 +0000 Olivier Beuvelet http://owni.fr/?p=26011 Ce n’est pas avec plaisir que je vais porter un regard critique sur un film qui est une vraie réussite et témoigne d’un travail de conception et de réalisation particulièrement aboutis, mais la séduction que dégage ce réjouissant programme familial dans l’air du temps se met au service d’une étrange conception de l’homme conçu comme un  jouet dans le regard de celui que Slavoj Zizek ne manquerait pas d’appeler le Sujet Absolu. Et c’est parce qu’au fond ce délicieux programme familial distille aussi bien du plaisir que des idées qu’il me semble intéressant d’en éclairer les soubassements idéologiques qui en font un efficace récit d’initiation à la servilité heureuse de l’homme dans une économie de marché.

Lorsqu’Andy, le petit garçon devenu un fringant jeune homme n’est pas là, ses jouets s’animent, parlent, vivent leur vie personnelle et s’organisent, comme tout ouvrier, ou employé de base qui a fini sa tâche et quitte son rôle pour se consacrer à sa vie de sujet…  Parmi ces jouets qui cessent d’être des objets quand leur propriétaire-employeur s’éloigne d’eux, se trouve un véritable héros, un héros à l’ancienne, un cow-boy, Woody, qui se trouve souvent prendre la direction des opérations et orienter les choix politiques du groupe de jouets composé de toute sorte de différences remarquables par leur capacité à se compléter dans des acrobaties réjouissantes.

Woody, c’est le leader-penseur, le jouet modèle et préféré, qui a toujours un peu de mal à rejoindre le groupe des jouets moins aimés, moins adaptés au milieu, pour les sortir de l’embarras, mais finit toujours par le faire. Il le fait toujours, choisissant l’issue collective, ici rester avec les autres, plutôt que la solution égoïste, ici partir avec Andy à l’université. Cependant, nous verrons que l’objectif de cette union de l’individu performant au groupe ne vise pas une émancipation mais, au contraire, à restaurer une joyeuse soumission au désir de l’autre. En effet, tout héros et tout leader qu’il soit, quand son maître, un enfant qui joue, approche, Woody se couche et se tait, redevient un simple objet de divertissement entre les mains qui font de lui ce qu’elles veulent.

Double projection pour le spectateur

C’est ce passage de l’état de sujet héroïque à l’état d’objet servile qui ne rêve que d’être manipulé, qui m’a interpellé au beau milieu du plaisir que je prenais à ce spectacle. Enfin quoi! Le jouet ne pourrait pas mener son émancipation subjective jusqu’au bout? Il ne pourrait pas se passer de cet enfant et de son désir de jouer avec lui pour continuer de vivre sa vie de sujet loin des mains qui l’asservissent? Je ne pouvais continuer de me voir dans la peau de ce cow-boy en plastique redevenu un gadget de McDo, et qui avait pourtant, auparavant, toutes les qualités dont j’aimerais disposer.

Woody, symbole américain

C’est que le spectateur ne sait pas à qui s’identifier dans ce film, une double projection s’offre à lui… Tantôt il est Woody, comme dans toute aventure cinématographique, il s’identifie au héros plus intelligent, plus fin, plus beau que les autres. Et là il s’agit même d’un cow-boy, le prototype même du héros fondateur de l’héroïsme américain. Tantôt, lorsque son héros tombe raide et reprend sa place d’objet inanimé, se laissant reconquérir par sa matérialité triviale d’objet, le spectateur se retrouve orphelin de son objet d’identification et ne peut que se raccrocher à la figure d’Andy, le seul être humain suffisamment saillant pour recevoir ses projections. Il est au-dessus du héros… et fait la pluie et le beau temps sur le groupe de ses jouets sans que personne ne puisse lui dire quoi que ce soit, il est le seul sujet devant une série dobjets qui lui offrent, chacun, une parcelle de rêve et de plaisir… Changement d’échelle et de monde… A moins de se laisser envahir par le plaisir d’être un objet…

Andy décide de garder ses jouets, les personnages des films précédents, dans un sac poubelle au grenier, sa mère dit “très bien”, il décide de les jeter à la poubelle, elle dit aussi “très bien”, et ce sera aux jouets de se débrouiller pour échapper à la terrible broyeuse du camion-benne. Le jeune homme est un petit roi, il a tout pouvoir sur ses objets. Il part à l’université et décide de n’emmener que Woody, son préféré, il se délocalise et ne trouve plus à employer les autres qui n’arrivent pas, malgré leurs efforts, à lui redonner envie de jouer avec eux. Ils sont au chômage technique et en souffrent et ce sera à Woody de déployer ses talents d’organisateur pour leur trouver un nouvel emploi chez un nouvel enfant après les avoir sauvés des griffes d’un vieux jouet tyrannique qui les avait accueillis et asservis dans une crèche où la mère d’Andy les avait finalement déposés. Il y a ainsi deux types d’employeurs, les gentils comme Andy, auxquels il faut se soumettre et les méchants comme cet autre jouet (un parvenu revanchard) qui a surtout commis l’erreur de croire que son propriétaire l’avait abandonné et en nourrissait une haine tenace, une rage vengeresse de tyran communiste…

Apprentissage de la mortification

Andy, le petit garçon, devenu au fil des épisodes un jeune homme plus sérieux, c’est typiquement ce Sujet Absolu que produit illusoirement une société marchande qui place l’individu dans la position de choisir, en permanence, des objets à consommer, qu’il s’agisse de nourriture, de valeurs symboliques, de produits culturels ou d’autres personnes devenues des objets de plaisir ou de satisfaction narcissique. La grande illusion consiste à substituer à un rapport intersubjectif, plein d’accrocs et de désillusions, un rapport de sujet (c’est toujours soi) à objet (c’est toujours l’autre) tout en ménageant des pauses, des moments où les rôles s’inversent. Ici, c’est la double identification qui opère dans ce registre… Le héros, le cow-boy de notre enfance, celui qui pense et organise, devient un objet dans le champ de l’autre qu’est Andy son sujet absolu. Et le spectateur de s’identifier alors à ce sujet qui traite tous ces personnages qui sont pourtant pour lui, spectateur omniscient, depuis le début du film, bien vivants et bien incarnés, comme de vulgaires pantins inanimés (à sa décharge, Andy ne sait pas que ses jouets parlent et s’animent quand il n’est pas là, mais il doit s’en moquer depuis le temps qu’il aurait pu s’en rendre compte, cela en dit long sur son intérêt pour eux…).

Cette double identification, cet apprentissage de la mortification devant le désir impérieux de l’employeur conjoint à une toute puissance de consommateur, est précisément ce que ce film a de violent et de jouissif pour le spectateur qui peut être à la fois l’objet et le sujet, le héros imbattable (Woody ou Andy) et la victime consentante (un jouet). Il a la possibilité de changer de monde quand la voix de Woody et des jouets s’éteint, d’être en bas, dans le monde prolétarien des jouets que hante la peur d’être relégués et puis en haut, dans le monde des puissants qui usent des autres et surtout, ne savent pas ce qui se passe en bas, l’ignorent et s’en trouvent innocentés.

La finesse du dispositif repose  sur sa perversité même, car c’est l’esclave, celui qui se couche devant le maître, l’enfant qui joue avec lui, qui finalement mène la danse et se joue de l’autorité du maître en obtenant ce qu’il veut sans jamais avoir eu à le demander ou à le revendiquer. Le cow-boy qui renonce à sa subjectivité devant un enfant joueur fait ici figure de masochiste et initie ainsi le spectateur à la condition d’objet du plaisir de l’autre (quand Woody redevient objet) et à la condition de sujet de la jouissance (s’il bascule sur Andy). Chacun manipule l’autre à des degrés différents si bien que chacun semble y trouver son compte. Le patron et l’ouvrier se complètent parfaitement puisque l’un veut dominer sans connaître l’autre et que l’autre veut être dominé tout en le sachant et en l’acceptant plus que volontiers, en en tirant du plaisir. La morale est sauve, et l’ordre social aussi. Les jouets n’ont manipulé l’enfant joueur que pour rester ensemble au service d’un autre enfant et continuer de ressentir le plaisir de se coucher, inertes, devant lui. Ce ne sont pas des révolutionnaires, ce sont des employés reconvertis.

Accepter d’être un objet pour celui qui nous choisit, en attendant de devenir soi-même, un jour, -illusoirement- le sujet absolu qui choisit les autres, tel est peut-être  l’enseignement idéologique que véhicule cette histoire de jouets.

Woody ne parlera jamais à Andy pour lui raconter ses problèmes et enfin, pourquoi pas? Ne plus être son jouet mais jouer avec lui…

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Billet initialement paru sur Culture Visuelle

Crédits image: Flickr CC Happy Batatinha, meddygarnet

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Image politique, quand l’instant saisi devient allégorie http://owni.fr/2010/07/09/image-politique-quand-l-instant-saisi-devient-allegorie/ http://owni.fr/2010/07/09/image-politique-quand-l-instant-saisi-devient-allegorie/#comments Fri, 09 Jul 2010 10:03:03 +0000 Olivier Beuvelet http://owni.fr/?p=21530 Un moment saisi à la volée à la sortie d’une réunion à l’Élysée… Une image qui ne voulait rien dire et qui a trouvé un sens, retrospectivement, au gré de l’actualité politique… Soudain, l’instant saisi devient allégorie, l’image muette, pure monstration d’une configuration du hasard, devient la représentation d’une affaire d’Etat, par le seul vouloir d’un rédacteur de Libération.fr… qui a probablement repris l’illustration choisie par LePost.fr (merci encore une fois à Patrick Peccatte)

Ce que j’ai toujours aimé dans la photographie, le cinéma documentaire et certaines fictions, dans la saisie immédiate de la réalité matérielle par le procédé photographique, c’est la manière dont, par ses différents niveaux de cadrage, l’image saisie dans l’incandescence de l’instant présent peut devenir allégorie… Ce moment où l’oeil du sujet imageant propose un sens implicite à son spectateur, dévoile un ordonnancement du visible qui ne renvoie soudain plus à lui même dans la tautologie de l’acte photographique (sa transparence pourrait-on dire) mais dégage l’image vers un ailleurs, une référence extérieure qui l’habite pourtant… Ce qui fait la force d’une photographie et peut lui permettre d’accéder au champ de l’esthétique et au domaine de l’art, c’est justement cette aptitude à transfigurer la réalité matérielle pour en faire une allégorie, à l’encontre de son contexte historique parfois…

Ces moments d’assomption de l’allégorie dans l’image photographique prise sur le motif sont ainsi nombreux dans un film comme Shoah, dans la fameuse scène avec Abraham Bomba par exemple, dans laquelle le coiffeur de Tel Aviv devient progressivement le coiffeur de Treblinka et son client un condamné à mort auquel le spectateur s’identifie, sous l’effet de son terrible récit …

On peut aussi citer, ô combien ! l’œuvre de Krzysztof Kieslowski qui, du documentaire à la fiction, a travaillé à l’équilibre des deux tendances que Kracauer confère au cinéma et à la photographie, la tendance “formatrice” et la tendance “réaliste” sa capacité à formuler et sa capacité à montrer… Ainsi, les nombreux guichets qu’il filme comme des vitres trouées d’un cercle d’air, sont parfois chez lui des allégories de l’image cinématographique, cette transparence trouée, et il devient très intéressant d’en étudier les occurrences…

La réunion d’objets devenus signes dans un champ, par le travail du cadre, la référence à un contexte idéologique, culturel ou affectif qu’une certaine catégorie de spectateurs peut saisir, la survivance dans les corps et les formes visuelles des paradigmes anciens de l’Histoire des images, sont autant d’éléments susceptibles d’informer l’image photographique pour en faire une allégorie.

Dans le contexte d’une affaire d’État

Dans le cas présent, on voit que c’est le contexte immédiat, contexte politique d’une affaire qui prend chaque jour de l’ampleur, qui a “transformé” une photographie prise en 2009, sans signification particulière, en allégorie contemporaine. Un rédacteur de Libération.fr l’a reprise aujourd’hui pour signifier la panique qui saisit le sommet de l’État devant les informations mises en ligne par le site Mediapart. Contrairement aux images de la série précédente, aucun lien organique direct ne peut ête établi entre cette photographie et l’actualité, pourtant, si bien sûr elle n’informe pas, elle illustre de manière allégorique la situation. Et l’on voit peut-être ici encore l’image prendre position…

Ça part dans tous les sens !  Eric Woerth qui tient un dossier sûrement intéressant et vérifie qu’il a bien quelque chose dans sa poche est poussé au premier plan devant les objectifs, mais tout se passe dans son dos, il tente de se retourner pour saisir ce qui se trame à son sujet derrière lui entre les deux seules personnes qui se regardent… La tête de Brice Hortefeux semble lui pousser sur l’épaule, mais il est ici dans la position du comploteur qui regarde en coin s’éloigner un rival… Nicolas Sarkozy, quant à lui, tend la main à un interlocuteur à demi caché (sûrement Benoist Apparu, paradoxalement) mais semble surtout essayer d’attraper une main secourable, cette salutation ressemble ainsi, dans le contexte actuel, à une demande d’aide…

Des hommes de l’ombre agissant en coulisse

Pourtant l’ampleur du geste pourrait aussi nous laisser penser qu’il a poussé Woerth vers l’avant, ce qui expliquerait que celui-ci se retourne… L’image est recadrée par un montant de porte à droite, marge floue et sombre de l’affaire, et témoigne de la dimension réaliste et spontanée de la prise, devenant une intrusion, un dévoilement, et établissant un seuil que n’a pas encore franchi Eric Woerth… cependant il se rapproche, seul, de la porte de sortie…

La légende est intéressante parce qu’elle ne cite que Woerth et Sarkozy, Hortefeux caché mais présent et Apparu (probablement) sont ici les représentants des hommes de l’ombre et des éminences grises qui agissent en coulisse, de manière anonyme, dans cette affaire qui devient incontrôlable… comme les trajectoires des personnages présents dans l’image…

Enfin, au milieu, un drapeau français rappelle le lieu et sert de contre-point “moral” à la scène saisie sur le vif.

Voilà comment une image tirée des archives (dont je n’ai pas trouvé trace sur Google Image) devient allégorie en fonction d’un contexte particulier, quelques mois plus tard. Le rédacteur aura trouvé là matière à représenter visuellement la situation politique du moment.

Illustration : capture d’écran de Libération.fr le 6 juillet à 9 h.

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Billet initialement publié sur Parergon, un blog de Culture visuelle

À lire sur le même sujet sur Parergon : Affaire Woerth, images d’un conte pas très suisse…

Disclosure : Culture visuelle est un site développé par 22mars, société éditrice d’OWNI

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Brice Le Pen ou la métamorphose de Hortefeux http://owni.fr/2010/06/06/brice-le-pen-ou-la-metamorphose-de-brice-hortefeux/ http://owni.fr/2010/06/06/brice-le-pen-ou-la-metamorphose-de-brice-hortefeux/#comments Sun, 06 Jun 2010 09:36:15 +0000 Olivier Beuvelet http://owni.fr/?p=17566 La condamnation de Brice Hortefeux pour injure raciale lui vaut cette magnifique photographie en Une de Libération.fr… où son visage fait indubitablement penser à celui de Le Pen… Les traits physiques du visage du ministre pris dans une expression qu’il n’est pas utile d’interpréter, viennent ici affirmer une analogie, une ressemblance que la condamnation semble venir attester. Condamné pour injure raciale par la justice, Hortefeux est officiellement (jusqu’à la décision qui sera rendue en appel) coupable d’avoir proféré des propos racistes.
La fameuse vidéo diversement interprétée selon les affinités politiques de ses interprètes (ou leur degré d’honnêteté), trouve ici un sens définitif, et c’est le visage de Brice Hortefeux qui s’en trouve métamorphosé.
Le Figaro.fr se contente d’abord de la dépêche AFP sans illustration, c’est-à-dire, sans prise de position, puis nous montre le ministre de l’intérieur en train de réajuster sa cravate, dans un geste digne, de maintien humble de son image, (la cravate a ici une grande valeur symbolique) devant l’adversité… Le premier mot sous la photo est d’ailleurs une apposition qui le place dans la position de victime : “attaqué en justice…”

Le Monde.fr, indulgent, nous montre un Hortefeux surpris, décadré, photographié à son insu, comme dans la vidéo qui l’a amené devant le tribunal. C’est une répétition visuelle du mode de saisie des propos (à la volée) qui nous le montre ici incrédule, désolé de ce qui (lui) arrive, semblant réagir au prononcé du verdict alors qu’il n’était pas présent et n’a pas offert, encore, de visage coupable aux photographes après sa condamnation.

Le NouvelObs.com, lui, nous présente un Hortefeux qui semble regretter sa bourde, coupable certes, mais pas méchant… “J’aurais mieux fait de la fermer…” Le journal est lui aussi indulgent avec le ministre, le montrant embarrassé à l’annonce de sa condamnation, il fait profil bas…

Pour Libération.fr, en revanche, la prise de position est claire. Le nouveau visage de Brice Hortefeux est celui d’un Le Pen… Cadrage serré qui donne de l’importance aux yeux bleus et aux cheveux blonds, rictus abaissant les commissures des lèvres dans une expression qu’arbore souvent le président du Front National.

C’est ainsi en jouant visuellement d’une ressemblance qui laisse le propos dans l’implicite en le glissant  dans les plis ambigus de l’image que Libération.fr prend position pour interpréter le personnage de Brice Hortefeux, à la lumière de cette décision de justice, comme étant une sorte de Le Pen bis. Or comme le disait Brice Hortefeux lui-même : « quand y en a un, ça va, c’est quand y en a beaucoup que ça pose problème »

Illustrations : captures d’écran des sites Figaro.fr, Libération.fr, Le Monde.fr, NouvelObs.com.

Photographie de Libération.fr : “Le ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux, le 3 juin 2010 à Luxembourg. (AFP Georges Gobet)”

Photographie de Jean-Marie Le Pen : Damien Lafargue site De source sûre (photo retournée pour mettre en évidence la ressemblance)

Billet initialement publié sur Parergon, un blog de Culture visuelle, sous le titre “Quand Hortefeux se métamorphose…”

Culture visuelle est développé par 22mars, société éditrice d’OWNI.

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