OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le cerveau est-il vraiment rationnel? http://owni.fr/2011/04/06/le-cerveau-est-il-vraiment-rationnel/ http://owni.fr/2011/04/06/le-cerveau-est-il-vraiment-rationnel/#comments Wed, 06 Apr 2011 10:49:15 +0000 Rémi Sussan http://owni.fr/?p=34495 L’homme est-il un animal rationnel ? Grave question qui, il y a encore peu de temps semblait destinée à remplir les copies du Bac de philo, appelant idéalement à l’élaboration d’une thèse-antithèse-synthèse : oui, non, p’têt ben que oui, p’têt ben que non.

Les récentes recherches sur notre fonctionnement cérébral pourraient bien changer tout cela en profondeur. La question philosophique devient aujourd’hui un sujet de recherche. Et que découvre-t-on ?

Animal émotionnel

Avant tout, que l’homme est un animal émotionnel, un rescapé des courses poursuites avec les prédateurs dans la savane, qui va raisonner bien plus souvent en fonction de ses « feelings » que de ses calculs. Proposez à quelqu’un le jeu suivant : à chaque coup, il a une chance sur deux de gagner 150 euros, ou d’en perdre 100 ; il peut parier autant de fois qu’il le désire. Dans la majorité des cas, les gens refuseront le deal. Pourtant, mathématiquement, les gains et les pertes s’annulent, et l’on a même 25% de chances de se retrouver gagnant au final. Plus bizarre, certains sujets atteints de lésions cérébrales se montrent plus doués [en] pour évaluer correctement de tels équilibres bénéfices-risques que les personnes saines. L’homo economicus aurait-il reçu un coup sur le crâne ?

De même, notre environnement détermine directement certaines de nos décisions. Vous désirez réchauffer l’atmosphère et mettre en confiance un client potentiel ? Eh bien réchauffez-la, littéralement ! Offrez-lui une tasse de café ou de thé plutôt qu’une boisson glacée : les chances de conclure l’affaire s’en trouveront augmentées, c’est du moins ce qu’affirme une recherche menée par des psychologues à Yale [en].

Plus étrange encore, l’homme est un très mauvais calculateur, renchérit Dan Aryeli, professeur d’économie comportementale et auteur de C’est (vraiment?) moi qui décide. Interrogez des sujets sur une date historique obscure (par exemple le mariage d’Attila). Naturellement ils proposeront un nombre au hasard, à la louche. Demandez leur juste après d’évaluer le prix d’un meuble. Ceux qui auront choisi les dates les plus basses seront également ceux qui donneront les prix les moins importants ! Ariely explique que les sujets ont “ancré” le premier chiffre dans leur mémoire et vont ensuite continuer leurs estimations en partant de cette “ancre”.

Il s’agit d’un exemple parmi des centaines. Les chercheurs continuent chaque jour de trouver des preuves du caractère foncièrement non rationnel de notre fonctionnement cérébral, à coup de tests statistiques, voire d’examens neurologiques directs, comme l’IRM. Même si, en réalité, il est difficile de tirer des conclusions précises de toutes ces expériences.

Refonder l’économie et la politique

On ne sait pas encore très bien ce qui se passe à l’intérieur du cerveau ; la méthodologie des tests peut toujours être remise en question. Quant à l’IRM, c’est loin d’être le lecteur de pensée miracle comme on veut parfois nous le faire croire. Toujours est-il que malgré ces incertitudes, il se passe quelque chose qui change définitivement les termes du débat. Certains pensent à refonder l’économie, voire la politique.

Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie en 2002, est considéré comme le père de ce qu’on appelle l’économie comportementale et parfois même la neuroéconomie. Il a été le premier à tenter de bâtir une théorie économique sur le fonctionnement réel du cerveau, au lieu d’envisager un acteur idéal parfaitement raisonnable. Kahneman oppose le « système 1 » de pensée au « système  2 ». Ce dernier est notre mode de réflexion « classique », celui des intellectuels et des philosophes. Problème, il est lent à se mettre en place, et demande parfois plusieurs secondes pour nous faire parvenir à un choix. Le « système 1 » est celui qui a été mis en place dès les débuts de l’hominisation. Lui fonctionne bien plus vite.

Lorsque vous êtes poursuivi par un tigre à dents de sabre vous n’avez pas le temps de vous asseoir pour peser vos futures décisions ! L’ennui, c’est que le « système 1 » n’est pas adapté à des environnements peuplés de prédateurs autrement plus dangereux que les grands fauves, comme ceux de la salle des marchés de Wall Street ou du rez-de-chaussée des Galeries Lafayette. Toute la difficulté consiste à savoir utiliser le meilleur système selon les situations !

D’autres ont essayé d’adapter l’économie comportementale à la politique. C’est le cas de Richard Thaler et Cass Sunstein, qui, dans leur livre Nudge, essaient de redéfinir les politiques publiques du futur. Ils promeuvent une étrange idéologie, celle du libertarianisme paternaliste qui consiste, en lieu et place de lois et contraintes légales, à « pousser le citoyen » à choisir « spontanément » ce qui est le mieux pour lui et/ou pour la société.

Par exemple, dans le contexte des États-Unis, où les retraites sont proposées par l’entreprise, on n’offrirait plus au salarié de souscrire à une telle assurance, on l’inscrirait directement, à lui de faire l’effort de la refuser si tel est son désir. Un peu comme lorsqu’on vous offre un mois gratuit d’abonnement à un service, mais que vous devez spécifier votre souhait d’arrêter son usage avant la fin du mois, sinon vous passez automatiquement en mode payant… Une méthode de plus en plus utilisée et des plus irritante d’ailleurs !

Neuromarketing : la grande opération marketing ?

Cass Sunstein ayant pris en 2008 la tête de l’autorité des régulations au sein du gouvernement de Barak Obama, cela laisse présager que ce genre de pratique est appelée à devenir assez populaire. Naturellement, les commerciaux de tout poil se sont rués sur les conclusions de économie comportementale pour essayer de tirer des enseignements sur le consommateur à l’aide de tests ou d’examens cérébraux. Et d’essayer de voir à coup d’imagerie cérébrale si le consommateur préfère Pepsi ou Coca, ou même pour qui il va voter !

En novembre 2007, lors des primaires américaines, un article du New York Times [en], qui affirmait voir dans le cerveau des électeurs leurs préférences pour Hillary Clinton ou Barak Obama, avait déclenché une polémique dans la blogosphère scientifique. Force est de reconnaître que les appréciations des chercheurs n’allaient guère plus loin que les conclusions de l’horoscope hebdomadaire… Et plus grave, les auteurs de l’article étaient les chercheurs eux-mêmes [en] ce qui donnait à ce papier une allure de publi-reportage. De là à dire que le neuromarketing est avant tout… une opération marketing, il n’y a qu’un pas. Mais jusqu’à quand ? Les recherches progressent et rien ne dit que les spéculations pseudo-scientifiques d’aujourd’hui n’annoncent pas des méthodes qui pourraient s’avérer, demain, tout à fait efficaces.

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Rationnel, le cerveau? http://owni.fr/2011/03/30/rationnel-le-cerveau/ http://owni.fr/2011/03/30/rationnel-le-cerveau/#comments Wed, 30 Mar 2011 11:16:14 +0000 Rémi Sussan http://owni.fr/?p=54241 L’homme est-il un animal rationnel ? Grave question qui, il y a encore peu de temps semblait destinée à remplir les copies du Bac de philo, appelant idéalement à l’élaboration d’une thèse-antithèse-synthèse : oui, non, p’têt ben que oui, p’têt ben que non.

Les récentes recherches sur notre fonctionnement cérébral pourraient bien changer tout cela en profondeur. La question philosophique devient aujourd’hui un sujet de recherche. Et que découvre-t-on ?

Animal émotionnel

Avant tout, que l’homme est un animal émotionnel, un rescapé des courses poursuites avec les prédateurs dans la savane, qui va raisonner bien plus souvent en fonction de ses « feelings » que de ses calculs. Proposez à quelqu’un le jeu suivant : à chaque coup, il a une chance sur deux de gagner 150 euros, ou d’en perdre 100 ; il peut parier autant de fois qu’il le désire. Dans la majorité des cas, les gens refuseront le deal. Pourtant, mathématiquement, les gains et les pertes s’annulent, et l’on a même 25% de chances de se retrouver gagnant au final. Plus bizarre, certains sujets atteints de lésions cérébrales se montrent plus doués [en] pour évaluer correctement de tels équilibres bénéfices-risques que les personnes saines. L’homo economicus aurait-il reçu un coup sur le crâne ?

De même, notre environnement détermine directement certaines de nos décisions. Vous désirez réchauffer l’atmosphère et mettre en confiance un client potentiel ? Eh bien réchauffez-la, littéralement ! Offrez-lui une tasse de café ou de thé plutôt qu’une boisson glacée : les chances de conclure l’affaire s’en trouveront augmentées, c’est du moins ce qu’affirme une recherche menée par des psychologues à Yale [en].

Plus étrange encore, l’homme est un très mauvais calculateur, renchérit Dan Aryeli, professeur d’économie comportementale et auteur de C’est (vraiment?) moi qui décide. Interrogez des sujets sur une date historique obscure (par exemple le mariage d’Attila). Naturellement ils proposeront un nombre au hasard, à la louche. Demandez leur juste après d’évaluer le prix d’un meuble. Ceux qui auront choisi les dates les plus basses seront également ceux qui donneront les prix les moins importants ! Ariely explique que les sujets ont “ancré” le premier chiffre dans leur mémoire et vont ensuite continuer leurs estimations en partant de cette “ancre”.

Il s’agit d’un exemple parmi des centaines. Les chercheurs continuent chaque jour de trouver des preuves du caractère foncièrement non rationnel de notre fonctionnement cérébral, à coup de tests statistiques, voire d’examens neurologiques directs, comme l’IRM. Même si, en réalité, il est difficile de tirer des conclusions précises de toutes ces expériences.

Refonder l’économie et la politique

On ne sait pas encore très bien ce qui se passe à l’intérieur du cerveau ; la méthodologie des tests peut toujours être remise en question. Quant à l’IRM, c’est loin d’être le lecteur de pensée miracle comme on veut parfois nous le faire croire. Toujours est-il que malgré ces incertitudes, il se passe quelque chose qui change définitivement les termes du débat. Certains pensent à refonder l’économie, voire la politique.

Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie en 2002, est considéré comme le père de ce qu’on appelle l’économie comportementale et parfois même la neuroéconomie. Il a été le premier à tenter de bâtir une théorie économique sur le fonctionnement réel du cerveau, au lieu d’envisager un acteur idéal parfaitement raisonnable. Kahneman oppose le « système 1 » de pensée au « système  2 ». Ce dernier est notre mode de réflexion « classique », celui des intellectuels et des philosophes. Problème, il est lent à se mettre en place, et demande parfois plusieurs secondes pour nous faire parvenir à un choix. Le « système 1 » est celui qui a été mis en place dès les débuts de l’hominisation. Lui fonctionne bien plus vite.

Lorsque vous êtes poursuivi par un tigre à dents de sabre vous n’avez pas le temps de vous asseoir pour peser vos futures décisions ! L’ennui, c’est que le « système 1 » n’est pas adapté à des environnements peuplés de prédateurs autrement plus dangereux que les grands fauves, comme ceux de la salle des marchés de Wall Street ou du rez-de-chaussée des Galeries Lafayette. Toute la difficulté consiste à savoir utiliser le meilleur système selon les situations !

D’autres ont essayé d’adapter l’économie comportementale à la politique. C’est le cas de Richard Thaler et Cass Sunstein, qui, dans leur livre Nudge, essaient de redéfinir les politiques publiques du futur. Ils promeuvent une étrange idéologie, celle du libertarianisme paternaliste qui consiste, en lieu et place de lois et contraintes légales, à « pousser le citoyen » à choisir « spontanément » ce qui est le mieux pour lui et/ou pour la société.

Par exemple, dans le contexte des États-Unis, où les retraites sont proposées par l’entreprise, on n’offrirait plus au salarié de souscrire à une telle assurance, on l’inscrirait directement, à lui de faire l’effort de la refuser si tel est son désir. Un peu comme lorsqu’on vous offre un mois gratuit d’abonnement à un service, mais que vous devez spécifier votre souhait d’arrêter son usage avant la fin du mois, sinon vous passez automatiquement en mode payant… Une méthode de plus en plus utilisée et des plus irritante d’ailleurs !

Neuromarketing : la grande opération marketing ?

Cass Sunstein ayant pris en 2008 la tête de l’autorité des régulations au sein du gouvernement de Barak Obama, cela laisse présager que ce genre de pratique est appelée à devenir assez populaire. Naturellement, les commerciaux de tout poil se sont rués sur les conclusions de économie comportementale pour essayer de tirer des enseignements sur le consommateur à l’aide de tests ou d’examens cérébraux. Et d’essayer de voir à coup d’imagerie cérébrale si le consommateur préfère Pepsi ou Coca, ou même pour qui il va voter !

En novembre 2007, lors des primaires américaines, un article du New York Times [en], qui affirmait voir dans le cerveau des électeurs leurs préférences pour Hillary Clinton ou Barak Obama, avait déclenché une polémique dans la blogosphère scientifique. Force est de reconnaître que les appréciations des chercheurs n’allaient guère plus loin que les conclusions de l’horoscope hebdomadaire… Et plus grave, les auteurs de l’article étaient les chercheurs eux-mêmes [en] ce qui donnait à ce papier une allure de publi-reportage. De là à dire que le neuromarketing est avant tout… une opération marketing, il n’y a qu’un pas. Mais jusqu’à quand ? Les recherches progressent et rien ne dit que les spéculations pseudo-scientifiques d’aujourd’hui n’annoncent pas des méthodes qui pourraient s’avérer, demain, tout à fait efficaces.



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http://owni.fr/2011/03/30/rationnel-le-cerveau/feed/ 6
Le double jeu de la gamification http://owni.fr/2011/03/10/le-double-jeu-de-la-gamification/ http://owni.fr/2011/03/10/le-double-jeu-de-la-gamification/#comments Thu, 10 Mar 2011 11:46:23 +0000 Rémi Sussan http://owni.fr/?p=50555 La gamification est un des gros buzz du moment.
En janvier 2011 s’est tenu d’ailleurs le premier “Gamification Summit“. Elle consiste essentiellement à se demander ce qui nous attire tant dans les jeux, puis d’en extraire les recettes fondamentales, afin de les appliquer hors du cadre ludique. Au coeur de ce processus se trouve l’idée que le gain de points, l’acquisition d’un statut, sont des moteurs d’amusement suffisants pour encourager les utilisateurs à recourir à un service.

Exemple type, Foursquare, application sur mobile où l’on recommande à ses amis divers lieux dans la ville, celui qui en conseille le plus étant à même de récupérer bons d’achat ou coupons de réductions dans certains des lieux recommandés.

Sur ce point, la gamification se démarque par exemple du “jeu sérieux” qui lui aussi cherche à utiliser le jeu dans les sphères économiques ou éducatives, mais qui prend souvent l’apparence d’un jeu vidéo “classique”, d’où son coût de développement fréquemment élevé, d’ailleurs.

L’inspiration des applications gamifiées, ce sont plutôt ces jeux minimaux, “sociaux, “occasionnels” dont Farmville est l’exemple le plus fameux : interface simple (web ou application mobile), règles minimales, caractère immersif, etc. Et surtout, une forte implication avec le réel : Farmville est considéré comme un jeu “gamifiant”, parce qu’il vous oblige à revenir dans le jeu très régulièrement si vous ne voulez pas que vos récoltes dépérissent.

Selon les thuriféraires de la gamification, le concept devrait bientôt devenir partie intégrante du design de n’importe quel site web. Du coup, de nombreux services comme BigDoor ou Badgeville, commencent à fleurir, proposant à leurs clients de “gamifier” leur site ou leur service : c’est-à-dire, la plupart du temps, fournir une récompense aux gens qui font ce qu’on leur propose de faire.

La gamification roule des mécaniques

Les diverses théories de la gamification se déclinent souvent en quelques points clés bien définis susceptibles de tenir aisément dans une présentation PowerPoint. Et pour cause : l’essence de ce projet est d’extraire un petit ensemble de mécaniques (un terme qui revient constamment) aisément manipulables et utilisables. Ce mot “mécanique”, si souvent employé, le montre bien : on quitte le monde de l’art (car la conception d’un jeu, n’en déplaise aux esprits chagrins, est un art) pour celui de l’ingénierie, sociale ou économique.

Seth Priebatsch (qui occupe le poste de “chef ninja” à SCVNGR, société de création de jeux pervasifs sur smartphone), énumère ainsi quatre caractéristiques fondamentales de la gamification lors de sa conférence TEDx Boston sur la “couche de jeu qui recouvre le monde” (tout en précisant dès le départ en garder trois autres par-devers lui, histoire de conserver un avantage compétitif sur ses concurrents !).
Priebatsch commence par critiquer sévèrement les applications gamifiées qui se contentent d’offrir points et coupons à chaque action. Pour lui, les choses sont plus compliquées que cela (mais, il faut le reconnaitre, à peine plus).

Voici en tout cas les quatre dynamiques de jeu qui permettent selon lui d’influencer le comportement… “En bien, en mal ou entre les deux” :

  • Le rendez-vous dynamique : les participants sont censés se rendre en des lieux virtuels spécifiques, à des moments précis et selon un rythme déterminé. C’est le principe de Farmville, où l’on doit revenir constamment surveiller ses récoltes suivant un timing précis. Si les concepteurs décidaient de changer les règles et d’exiger de leurs 71 millions d’aficionados qu’ils retournent sur le jeu toutes les 30 minutes, cela bouleverserait l’économie du pays, note avec humour Seth Priebatsch.
  • Le statut. Faire partie du club des meilleurs, des happy few, est un mécanisme connu par tous les adeptes de la gamification.
  • La progression dynamique. Elle suppose une série de réalisations progressives, jusqu’à l’obtention de l’objectif. Le succès est ici mesuré par l’accomplissement successif de tâches parcellaires. On retrouve ce principe dans un jeu classique comme World of Warcraft, mais aussi avec le réseau social professionnel Linkedln, où l’on complète peu à peu son profil en se fiant à un système de pourcentage.
  • Enfin, le processus de découverte collective. Dans cette dynamique, une communauté entière est réunie pour travailler sur un sujet et remporter un challenge. Digg, le fameux agrégateur collaboratif de news, en est un exemple. Mais il montre aussi les limites de ce genre de pratique. En effet, raconte Priebatsch, à l’origine du service, il existait un “tableau d’honneur” des meilleurs contributeurs. Or, il s’avéra vite que les sept meilleurs “joueurs” faisaient tout leur possible pour conserver leur statut, essentiellement en recommandant les histoires découvertes par d’autres au lieu de rechercher les leurs propres. L’équipe de Digg dut alors se résoudre à supprimer le “tableau d’honneur”.

Tout le monde n’utilise pas la même liste à puces pour définir la gamification. Pour Amy Jo Kim, spécialiste des communautés en ligne et cofondatrice de la société de jeux Shuffle brain, lagamification se résume à cinq caractéristiques :

  • Collectionner
  • Gagner des points
  • Intégrer un mécanisme de feedback
  • Favoriser les échanges entre joueurs
  • Permettre la personnalisation du service

Il existe bien entendu d’autres listes : l’analyste des technologies Ray Wang, dans Software Insider, en propose deux. La première, assez classique, consiste en cinq points (Intrigue, Défi, récompense, statut, communauté). La seconde est plus originale et plus drôle puisqu’il s’agit des… sept péchés capitaux, qui pourraient être utilisés, selon Wang, comme guide pour une “bonne pratique” de la gamification !

Un concept largement critiqué

Qu’en pensent les théoriciens contemporains du jeu ? Ils se montrent plutôt réservés, pour dire le moins… Ainsi, Raph Koster (souvent mentionné dans nos colonnes), qui tient d’autant plus à mettre les points sur les i que son propre livre, “A Theory of Fun” est mentionné dans un article d’Entrepreneur.com pour illustrer la thèse de la gamificationn :

Je me sens un peu mal à l’aise de critiquer un article qui va certainement contribuer à vendre mon livre… Mais si vous voulez réellement gamifier quelque chose, vous avez besoin de placer au centre du système quelque chose à explorer et maîtriser. Acheter un billet d’avion ou dormir dans un hôtel, ce ne sont pas des choses qu’on maîtrise. Accumuler des points, ce n’est pas de la bonne gamification.

Ian Bogost, autre fameux analyste du monde ludique contemporain, est encore plus sévère. Et pour montrer sa réprobation du concept, pourquoi ne pas l’exprimer dans un jeu ? Bogost a donc créé le “Cowclicking” une application Facebook qui propose au joueur… de cliquer sur une vache.

L’année dernière, annonce-t-il sarcastiquement sur son blog, le phénomène du jeu social Cow Clicker a capturé l’imagination de tous, donnant aux joueurs l’opportunité de cliquer sur une vache toutes les six heures, et même plus souvent.

Et de lancer triomphalement son tout nouveau concept, la “vachification” (“cowclickification”), “l’application de la mécanique du cliquage de vache à des services qui ne cliquent pas les vaches.”

Quand vous vachifiez, vous donnez à votre audience de bonnes raisons d’utiliser votre médiocre site web, application ou service.

Jane McGonigal, qui s’est faite, dans ses différentes recherches et dans son dernier livre, Reality is Broken, la championne de la transformation de l’expérience quotidienne en jeu est moins polémique, mais a mis en garde les adeptes de la gamification lors de son intervention au Gamification Summit : le jeu selon sa théorie, est basé sur le désir de “surmonter des obstacles non nécessaires “.

Donc, l’usage de mécaniques du jeu dans la vie quotidienne ne doit pas être conçu pour faciliter la tâche, mais doit au contraire la rendre plus difficile…

La conceptrice de jeux pervasifs Margaret Robertson qui a créé l’expression “pointification” (voir l’article d’Hubert Guillaud, “Retrouver le plaisir de jouer”) :

Il y a des choses qui devraient être pointifiées. Il y a des choses qui devraient être gamifiées. Il y a des choses qui devraient être les deux. Et il existe beaucoup, beaucoup de choses qui ne devraient être ni l’une ni l’autre.

La gamification, une neuroscience trop simpliste ?

Finalement, la gamification repose sur un modèle particulier de l’esprit du joueur, selon laquelle l’essence même du jeu consiste à lui accorder une série graduée de récompenses afin de le pousser à continuer son activité. C’est ce qu’on pourrait appeler le modèle de la “dopamine”, ce neurotransmetteur souvent associé au plaisir causé par le succès. Or, il se trouve que l’attrait de la récompense n’est peut-être pas le moteur principal du jeu. Une récente expérience psychologique semble indiquer que le problème est (comme toujours avec le cerveau) beaucoup plus compliqué qu’il en a l’air.

Cette recherche montre que les sujets sont plus à même de résoudre un puzzle après avoir vu une petite scène humoristique. Celle-ci les mettrait en condition pour résoudre le problème de manière créative. Pour l’un des chercheurs :

L’humour, cet état d’esprit positif, baisse-t-il dans le cerveau le seuil de détection des connexions plus faibles ou plus éloignées dans le but de résoudre des énigmes ? Cette recherche et d’autres suggèrent que l’attrait des énigmes et la recherche de leur solution va plus loin que la « récompense-dopamine ». L’idée de faire des mots croisés ou un Sudoku place le cerveau dans état ludique qui est en soi une agréable échappatoire.

Autrement dit, la vieille théorie du “cercle magique” chère à Huizinga, selon laquelle le monde du jeu serait séparé de celui du réel par une frontière subtile et difficilement domesticable, garde toute sa valeur. Le jeu signe réellement l’entrée d’un nouvel état d’esprit (on serait tenté de dire : un nouvel état de conscience) dans lequel le gain et la perte ne sont que des éléments secondaires.

Gamification et nouvelles monnaies

Gold farms, World of Warcraft

Pourtant, peut-être ne faut-il, pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Quels que soient les défauts de la gamification, elle semble être un terrain expérimental pour un autre domaine en pleine croissance, celui des nouvelles monnaies (voir le dossier en cours de Jean-Michel Cornu). Car en fait, utiliser un système de “coupons” de “badges” ou de points correspond de facto à battre monnaie. Les “monnaies virtuelles” ne sont pas nouvelles. Second Life devait probablement son bref succès au Linden dollar, et tout le monde a entendu parler des “gold farmers” de World of Warcraft.. Mais sans doute la gamification a-t-elle su mettre en avant un aspect des jeux en ligne qui, jusqu’ici, restait un peu à l’arrière-plan (Second Life) ou était franchement illégal (WoW).

Dans un article précédent nous mentionnions l’idée de John Robb, qui affirmait que les jeux en ligne de demain ne feront avancer les choses que lorsqu’ils deviendront eux-mêmes des systèmes économiques bénéficiant aux joueurs, leur permettant de s’épanouir dans un système plus transparent et plus juste que le monde actuel. Il s’agissait en fait d’un système de “gamification” porté à son ultime conséquence.

Depuis, Robb a continué sa réflexion et a lancé un projet d’ “entreprise open source”, basé sur ces idées. Au cœur du système une “métamonnaie” (”metacurrency”, à ne pas confondre avec l’autre projet Metacurrency) susceptible de récompenser de manière objective et transparente le travail fourni par l’internaute. Exactement l’équivalent des “badges” ou des points de la gamification. Comme illustration de son concept, il lance aujourd’hui “PictureThis“, une espèce “d’Open Streetview” où chacun est invité à photographier son environnement, recevant des parts de la société en récompense des images envoyées sur le site.

Vue sous l’angle de la monnaie, la gamification prend un tout nouvel intérêt : elle nous aide à comprendre que la monnaie n’est pas seulement un système d’échange, mais possède également une dimension cognitive et émotionnelle, dimension que le jeu exprime bien mieux que la pensée économique traditionnelle.


Article initialement publié sur Internet Actu sous le titre “Les ambiguïtés de la gamification”

Illustrations via FlickR: Gold farm par isfullofcrap [cc-by] ; Manette de jeu par Wizzer [cc-by-nc-nd]

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L’intelligence collective n’est pas l’apanage du web http://owni.fr/2011/02/12/lintelligence-collective-nest-pas-lapanage-du-web/ http://owni.fr/2011/02/12/lintelligence-collective-nest-pas-lapanage-du-web/#comments Sat, 12 Feb 2011 11:30:23 +0000 Rémi Sussan http://owni.fr/?p=46244 Qu’entend-on généralement par “intelligence collective” ? Pour le monde du web, la messe est dite : c’est le produit émergent de l’interaction entre plusieurs milliers, voire millions d’individus, certains ne partageant avec les autres qu’une quantité minimale de leur réflexion (c’est la théorie du surplus cognitif chère à Clay Shirky, comme il l’a développe dans on livre éponyme ou chez TED). Et bien entendu, c’est le web lui-même qui est le média de choix de cette intelligence collective.

Cette définition repose sur certains postulats, pas toujours explicites :

  • Plus on est de fous, plus on rit. Autrement dit, l’intelligence collective n’apparait qu’avec un très grand nombre d’interactions entre des multitudes d’agents. Le modèle, c’est la ruche, ou la fourmilière.
  • Cette intelligence est désincarnée : elle s’exprime via une bande passante extrêmement faible, sous la forme de texte, parfois même d’un simple vote, entre personnes qui ne se voient pas, et souvent ne se connaissent même pas.

Pourtant, il existe une autre approche de l’intelligence collective, bien plus ancienne que le net ou le web : la “fusion” entre quelques esprits, le plus souvent seulement deux, pouvant aboutir à une explosion inattendue de créativité.

Ces derniers temps, une multitude de blogs et d’articles ont traité de cette “petite” (par la taille) intelligence collective : une série d’articles dans Slate, s’intéresse de près au couple créatif en art ; la revue du MIT, plus prosaïque, s’est penchée sur le succès de l’intelligence collective “en petits groupes”. Enfin, deux recherches en neurosciences, dont une française, contribuent à nous faire comprendre comment une interaction entre partenaires se manifeste au niveau des structures cérébrales…

La dynamique d’un couple créatif

Dans une série d’articles pour Slate sur la créativité en couple, l’écrivain Joshua Wolf Shenk s’essaie à comprendre la multitude de couples “créatifs” qui se sont succédé dans l’histoire des sciences et des arts : Watson et Crick, Engels et Marx, etc. et bien sûr Lennon et McCartney auxquels il consacre la plus grande part de sa série d’articles. Il montre dans ces papiers à quel point il est difficile de faire la part entre l’apport de l’un ou de l’autre au sein d’une de ces paires, voire de déterminer lequel des deux membres est le plus influent.

John Lennon...

Ainsi, alors que la légende des Beatles fait souvent de John l’élément avant-gardiste de la paire, Paul étant avant tout l’artisan de mélodies délicates comme Yesterday, on découvre que c’est McCartney qui s’est plongé le premier dans les expériences d’avant-garde, avec les bandes magnétiques notamment, et à recevoir l’influence de musiciens contemporains comme Stockhausen. Et pourtant, c’est bien Lennon qui voudra intégrer le très étrange Revolution number 9 à leur album Blanc.

La nature du leadership au sein de ces couples est également difficile à déterminer. Pour Mick Jagger, le secret de sa collaboration relativement aisée avec Keith Richards tient en quelques mots : il faut qu’il y ait un leader (sous-entendu : lui). Pourtant note Shenk, c’est sous l’impulsion de Keith Richards, et selon ses choix musicaux essentiellement, que fut enregistré Exile on Main Street, considéré par de nombreux critiques comme le chef-d’oeuvre du groupe.

Entre Lennon et McCartney, la situation est encore plus ambiguë. Il semblerait, nous explique Shenk, que Lennon se soit toujours considéré comme le leader du groupe, mais un leader, qui de sa propre volonté, se limiterait pour laisser du pouvoir à son alter ego. inalement, peut-être Shenk met-il le doigt sur la nature de leur collaboration en supposant que McCartney représentait avant tout pour Lennon “une perte de contrôle”.

... Jamais sans Paul McCartney?

Lorsqu’on les interrogea (après leur séparation, et donc leur brouille) sur la nature de leur travail en commun, il est intéressant de noter que les deux membres de la paire avaient du mal à décrire leur processus de travail. Et Shenk de citer un merveilleux contresens de John Lennon, lequel affirma simultanément dans une interview que les deux associés avaient toujours écrit séparément, avant de continuer en parlant de leur écriture commune. Shenk l’explique ainsi:

L’affirmation de John apparait comme un non-sens. Nous écrivions séparément, mais nous écrivions ensemble. Impossible de prendre cela au sens littéral. Sauf si cela exprime assez bien la nature de leur collaboration.

Mais la confrontation entre deux génies à l’ego démesuré ne constitue que la face visible de l’intelligence en couple. Le plus souvent, explique Shenk, les collaborations se composent d’un acteur public et d’un autre, plus discret : éditeur pour un écrivain, producteur pour un musicien, etc. Le rôle de ce dernier est souvent ignoré. Pourtant si l’on se penchait un peu plus sur l’histoire des grandes oeuvres, le rôle des collaborations apparaitrait bien plus important qu’on ne l’imagine. Shenk rappelle ainsi que le psychanalyste et théoricien Erik Erikson a reconnu être incapable de distinguer dans son travail sa propre contribution de celle de sa femme Joan. “Il est l’un des plus célèbres sociologues de l’histoire. Elle n’a même pas son entrée dans la Wikipedia”, conclut Shenk. Parfois, le “partenaire” est même condamné par l’histoire, et voué aux gémonies. Ainsi Malcolm Cowley qui travailla dur à mettre en forme et publier l’oeuvre de Jack Kerouac Sur la route, avant que ce dernier et ses amis ne le dépeignent comme le “traitre” qui avait osé défigurer l’oeuvre en brisant la continuité du “tapuscrit” original (qui, rappelons-le, avait été frénétiquement tapé à la machine sur un unique rouleau de papier, ce qui avait inspiré à Truman Capote la fameuse formule “ce n’est pas de l’écriture, c’est de la frappe”).

L’intelligence émotionnelle, clé du succès des groupes ?

Mais l’intelligence de groupe n’est pas réservée aux génies créateurs. Toute équipe doit un jour se demander si la pensée collective qu’elle produit est de qualité supérieure ou inférieure à la somme des individus qui la composent.

Une équipe de chercheurs de diverses universités menée par Thomas Malone du Centre pour l’intelligence collective du MIT a étudié les conditions d’apparition d’une intelligence collective en petit groupe, nous explique la revue du MIT. Ils ont pour cela effectué deux études impliquant 699 sujets, réunissant des petits groupes de deux à cinq personnes et leur demandant de s’attaquer à une batterie de tests, puzzles et autres jeux. Ils ont effectivement découvert que la réflexion collective pouvait, dans certains cas, se montrer supérieure à celle des individus. Mais cela n’est pas automatique ; les performances des groupes peuvent connaître jusqu’à 30 à 40% de variations.

Pour réussir une intelligence collective, il faut prendre en compte plusieurs facteurs. Première surprise, la “bonne ambiance” importe peu. La motivation des participants n’est pas non plus fondamentale, ni le niveau intellectuel des individus impliqué. Les trois facteurs qui auraient effectivement joué sont d’abord la “sensibilité sociale” des participants, sensibilité sociale qui a été calculée en soumettant chaque sujet au test de “lecture de l’esprit dans les yeux”. Autrement dit, la facilité qu’à un sujet à déduire l’état émotionnel d’autrui en observant son regard (vous pouvez faire le test ici). Autre paramètre important : dans les groupes les plus efficaces, les participants tendaient à se partager plus ou moins équitablement le temps de paroles. On n’y trouvait pas une monopolisation de la parole par une minorité des membres. Enfin, troisième facteur, et non le moindre : le succès d’un groupe était corrélé au nombre de femmes y participant.

C’est donc bel et bien l’intelligence émotionnelle de ses membres qui apparait comme l’ingrédient fondamental au succès d’un groupe. Cette recherche nous montre à quel point la nature de la collaboration est avant tout physique, incarnée dans le corps.

L’intelligence collective est fonction du corps

Comment cette intelligence collective s’exprime-t-elle au plus bas niveau, celui du cerveau ? Deux récentes recherches nous apportent, sinon une véritable réponse, du moins une succession de faits troublants. L’une portait sur la conversation entre deux personnes et utilisait la résonance magnétique fonctionnelle. L’autre, menée par une équipe de jeunes chercheurs français, s’est intéressée à la communication non verbale et a recouru à l’électro-encéphalographie (EEG) comme procédure de test. Deux recherches à la fois très proches par le sujet abordé, mais très différentes tant par la procédure expérimentale que par les outils de mesure, donc.

Dans la première recherche, une des participantes de l’équipe a placé sa tête dans un appareil d’IRM tout en racontant devant un magnétophone une histoire remontant à ses années de lycée. Pendant ce temps, la machine enregistrait ses états cérébraux. On a ensuite soumis 11 volontaires à l’IRM, en leur faisant écouter l’enregistrement de l’histoire. Il s’est avéré que dans un grand nombre de cas, le sujet “allumait” les mêmes zones cérébrales, au même moment, que celles activées par la conteuse lorsqu’elle avait déroulé son récit. Souvent, il existait un délai de deux ou trois secondes, mais dans certains cas la zone s’éveillait chez le volontaire juste avant le moment où elle s’était activée chez la conteuse ; cet effet étonnant serait dû, selon les chercheurs, à l’anticipation du récit par l’auditeur. Dernier test, on a demandé aux sujets de raconter l’histoire qu’ils avaient entendue. Les passages dont ils se souvenaient le mieux étaient en fait ceux au cours desquels les zones cérébrales avaient été le mieux “synchronisées”.

Le groupe français a utilisé quant à lui des couples de participants qui échangeaient des gestes de la main sans signification particulière, chacun étant libre d’imiter l’autre ou non. Dans le même temps, on examinait leurs ondes cérébrales. Il s’est avéré qu’une synchronisation entre certaines parties des deux cerveaux émergeait lors de cette communication gestuelle, spécialement certaines qui jouent un rôle important dans les relations sociales. Par rapport à l’expérience américaine, l’usage de l’EEG permet non seulement une précision à la milliseconde (l’IRM est beaucoup plus lent) mais autorise surtout l’enregistrement de l’interaction en temps réel, les cerveaux des deux partenaires étant mesurés simultanément, au contraire de expérimentation avec l’IRM, où les sujets se trouvaient isolés et testés chacun à leur tour.

On savait déjà à quel point l’intelligence individuelle était fonction du corps et ne pouvait être séparée de celui-ci. Tout récemment encore, une étude aurait montré que la compréhension des émotions lors de la lecture de certains textes pouvait se trouver ralentie lorsque des injections de Botox avaient été effectuées sur les parties du visage censées exprimer cette émotion (la bouche pour les émotions positives, le front pour les négatives).

L’intelligence collective, de même, devrait beaucoup au corps. Elle ne saurait se réduire à une pure communion platonicienne des esprits…

Cet article a initialement été publié sur InternetActu

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Crédits photo: Flickr CC Fabian Bromman, drinksmachine, buildingadesert

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Peut-on mettre les neurosciences à toutes les sauces? http://owni.fr/2011/01/19/peut-on-mettre-les-neurosciences-a-toutes-les-sauces/ http://owni.fr/2011/01/19/peut-on-mettre-les-neurosciences-a-toutes-les-sauces/#comments Wed, 19 Jan 2011 10:16:46 +0000 Rémi Sussan http://owni.fr/?p=33952 Révolution dans l’habitat ou nouveau buzz marketing ? Le Wall Street Journal a récemment publié un curieux article sur l’usage des sciences cognitives dans la création de… cuisines aménagées ! On y expose les idées d’un certain Johnny Grey, créateur de cuisines depuis plus de 30 ans, dont les techniques d’aménagement reposeraient sur une connaissance profonde des habitudes émotionnelles et cognitives de notre cerveau. Ou du moins, c’est ce qu’il affirme. Et d’énoncer quelques-uns des plus prestigieux clients de l’artisan, tels Steve Jobs ou Sting.

Car pour Grey, une cuisine n’est pas seulement un endroit pour préparer à manger. C’est un lieu dans lequel les couples ou les familles passent de plus en plus de temps.

Pour créer une cuisine de rêve, Grey et son d’équipe passent près de 80 heures à s’entretenir avec leur client n’hésitant pas, précise le Wall Street Journal, à s’installer chez eux pour analyser sa personnalité et ses préférences.

Selon Mr Grey, Un bon moyen de commencer à créer une cuisine heureuse”, affirme l’article, “consiste à découvrir ce qu’il appelle le “point de bien être (sweet spot)” … vous savez, votre point de vue préféré, là où vous avez une vue sur la table, le paysage, l’entrée ou la cheminée, tout en préparant un plat”.

Un article plus ancien du Guardian, lui aussi consacré à Grey, nous en apprend un peu plus sur cette recherche du point G architectural : “Toute activité dans la cuisine devrait faire face à la pièce. Vous ne devriez jamais faire face au mur lorsque vous cuisinez. Cela va contre tous nos instincts. Nous avons examiné comment les hormones travaillent dans le cerveau et comment certaines activités stimulent celles-ci.”

Dans le même article, Grey ajoute : “Tout ce qui se trouve dans votre vision périphérique active votre cerveau. Quelque chose de pointu créera une anxiété, même si elle est subliminale, parce que vous penserez à quelque chose qu’il faut éviter”.


Image : le vaudou des corrélations en neurosciences sociales…

Naturellement une telle invocation des forces de la neuroscience ne pouvait que déclencher l’intérêt du “Neurocritique”, grand pourfendeur devant l’Eternel des interprétations pseudo scientifiques – il y a deux ans, il a publié sur son blog un article qui fit un certain bruit sur “le vaudou des corrélations en neurosciences sociales” qui attaquait les prétentions à déduire le comportement humain à partir de l’imagerie IRM. Le Neurocritique se demande si cette cuisine cognitivement améliorée ne serait pas une manifestation de ce qu’il appelle la “neurophilie explicative”, autrement dit la tendance qu’ont les gens à gober tout discours intégrant les neurosciences : même s’il est probable que les analyses “pseudo-scientifiques” de Grey ne proposent aucune valeur explicative supplémentaire, les clients paieront plus cher pour une cuisine “scientifiquement conçue”.

Vaughan Bell, de l’excellent blog Mind Hacks, s’attaque lui aussi aux prétentions scientifiques de notre cuisiniste, dans un post plus ancien, faisant référence non pas à l’article du Wall Street Journal, mais à un papier du Financial Times, malheureusement indisponible aux non-abonnés – à croire, d’ailleurs, que les recherches “neurologiques” de Grey semblent beaucoup intéresser la presse économique et financière !

Reprenant une affirmation de John Grey à propos du “point de bien-être” selon laquelle lorsque nous faisons face à la pièce, l’ocytocine, l’hormone du lien, et la sérotonine, associée à la relaxation et au plaisir se retrouvent libérées : “non seulement il fait le lien souvent effectué, mais faux, entre des états mentaux spécifiques et des neurotransmetteurs aux effets plus généraux, affirmant sans preuve la relation entre des activités précises et la libération de ces neurotransmetteurs, mais il lance l’idée totalement improuvée que se retrouver dos aux gens dans une cuisine crée de la peur et de l’anxiété, tandis que leur faire face procure relaxation et joie”.

Les ambiguïtés de la neuroarchitecture

On pourrait en rester là et se gausser de l’usage marketing fait du discours scientifique. Mais ce serait peut-être manquer une partie de la complexité du problème. Qu’apprend-on dans les articles du WSJ, du Guardian ou même sur le blog du Neurocritique ? Que Grey a travaillé avec un certain John Zeisel, scientifique au pedigree long comme le bras, spécialiste de la maladie d’Alzheimer et notamment de la manière dont l’environnement influe sur le comportement des malades.

Zeisel, avec son organisation Hearthstone Alzheimer Care crée des environnements susceptibles d’aider les patients atteints de cette affection cérébrale, en travaillant à “incorporer les informations de navigation dans l’architecture plutôt qu’en demandant aux patients de la retrouver dans leur mémoire (…) en créant des fonctionnalités qui évoquent des souvenirs confortables, des souvenirs lointains, comme des cheminées ou des vues sur un jardin ; s’assurer que chaque pièce évoque un état d’esprit spécifique, afin que les patients puissent savoir quand ils pénètrent en un lieu différent. Proposer un accès facile à la lumière du jour et aux espaces extérieurs, afin de permettre aux personnes atteintes de garder un contact avec les rythmes naturels. Le but est d’exercer les parties du cerveau qui fonctionnent encore bien et de soulager celles qui sont endommagées”, nous explique un article de IET. Zeisel est de surcroit membre d’un institut très sérieux consacré à la relation entre le cerveau et l’habitat, l’ANFA (Academy of Neuroscience for Architecture).

Si le Neurocritique est assez silencieux sur Zeisel, Vaughan Bell n’hésite pas à critiquer certains des propos du chercheur, rapportés par le Financial Times. Zeisel aurait ainsi déclaré : “quand nos cerveaux sont satisfaits, une certaine endorphine est libérée, donc nous avons besoin de créer des maisons susceptibles de faciliter cette libération d’endorphines.”

Mais, remarque Bell : “Les endorphines sont les opioïdes naturels du cerveau et peuvent être libérées dans une grande variété de situations: quand nous éprouvons du plaisir, mais aussi aussi quand nous ressentons du stress ou de la peine. Donc créer des maisons qui maximiseraient la sécrétion de cette endorphine peut aussi bien amener à créer des bouges stressants et inconfortables.”

Bell s’attaque également à certains principes défendus par Zeisel, selon qui ” nous avons développé génétiquement des instincts qui nous font nous sentir relaxés au milieu des fleurs, du foyer, de la nourriture et de l’eau… Tandis que les lieux qui nous apparaissent comme trop stériles et dangereux peuvent éventuellement pousser l’hypothalamus à relâcher des hormones de stress.” Aucune preuve, selon Bell, d’une telle disposition génétique vers les fleurs et les petits oiseaux, et aucune indication non plus que des immeubles “stériles” ou “confus” puissent déclencher un stress – à noter toutefois que certaines expériences vont bel et bien dans le sens de Zeisel, telle par exemple cette recherche sur l’importance du milieu naturel sur les capacités cognitives.

Entre science, marketing et culture générale

Qu’en déduire ? Probablement que la “neuroarchitecture” présente la même ambiguïté que celle existant entre la neuroéconomie qui étudie les mécanismes de la décision, et le neuromarketing, qui prétend améliorer la vente de produits en s’inspirant des études sur le cerveau. Là aussi la démarcation entre le pur “buzz” et le vrai travail de fond n’est pas toujours évidente. Où placer par exemple Thaler et Sunstein et leur doctrine du “libertarianisme paternaliste” ? Science fondée ou pur truc marketing ?

De fait toute tentative d’application des découvertes en neurosciences et sciences cognitives se heurte au problème de l’interprétation des données et à la difficulté de juger de l’efficacité d’une intervention. Ça a toujours été le cas en psychologie, mais l’arrivée des neurosciences change la donne et a tous les aspects d’un cadeau empoisonné.

Auparavant, la psychologie et la philosophie étaient difficilement séparables. Pour employer la fameuse expression de Karl Popper, la plupart des théories psychologiques n’étaient pas réfutables : on ne pouvait bâtir de protocole expérimental établissant ou non leur validité. Avec les neurosciences (mais aussi et peut-être plus encore, avec l’expérimentation systématique en sciences cognitives) tout est chamboulé. On se retrouve avec une masse de données chiffrées, obtenues à partir de protocoles précis, de manière répétable et donc réfutable. Pour autant, en déduire une théorie globale du comportement est toujours aussi difficile – et aussi subjectif.

Si Grey avait invoqué, pour ses cuisines, le recours à des théories comme la psychanalyse, le fonctionnalisme du Bauhaus, le postmodernisme ou la déconstruction, voire les traditions chinoises du Feng Shui ou de la géométrie sacrée pythagoricienne, on n’aurait probablement pas trouvé grand-chose à redire : un artiste ou un artisan peut trouver son inspiration où il veut, seule importe la qualité finale de son travail. Mais Grey utilise des concepts se réclamant des neurosciences, et du coup on n’a plus le choix qu’entre accepter naïvement sa Parole ou lui tomber dessus.

De fait, les “neurocuisines” et la neurarchitecture en général posent la question épineuse de l’application des neurosciences à des problèmes non médicaux. Sommes-nous condamnés, au nom d’une certaine prudence épistémologique, à ignorer pour toujours le corpus de découvertes sans cesse grandissant dans ce domaine, pour éviter de faire des contresens, voire d’être accusés d’insincérité ou d’argumentaire marketing ? Et dans ce cas accepter que le divorce entre les “deux cultures” celle des humanités et celle des sciences soit définitivement consommée ? Où faut-il accepter qu’entre la pure réalité scientifique et nos pratiques quotidiennes on puisse bâtir une certaine forme de pont, même s’il faut pour cela recourir à une forte part de métaphore et accepter l’approximation ? Sans compter que ce ne sont pas seulement les non-scientifiques, comme Grey, mais aussi les chercheurs, à l’instar de Zeisel, qui s’aventurent dans cette “zone grise” chaque fois qu’ils cherchent à tirer des conclusions pratiques de leurs travaux !

Reste maintenant à trouver de nouveaux moyens, de nouveaux outils intellectuels nous permettant d’évaluer un tel discours “mixte” ou “flou” qui sort de la recherche scientifique pure tout en reposant sur les conclusions de celle-ci…

>> Photo FlickR CC : amb.photography

>> Article publié initialement sur Internet Actu.

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Prendre le jeu au sérieux http://owni.fr/2010/07/19/prendre-le-jeu-au-serieux/ http://owni.fr/2010/07/19/prendre-le-jeu-au-serieux/#comments Mon, 19 Jul 2010 08:16:33 +0000 Rémi Sussan http://owni.fr/?p=22259 Cette partie d’un dossier d’InternetActu consacré au serious game, “Soyons sérieux, jouons !”, défriche cette notion. D’un certain point de vue, elle n’est pas nouvelle.

Le jeu sérieux est-il un nouvel Eldorado ? On pourrait le croire en observant le nombre de conférences et évènements consacré au sujet en 2009, ou en regardant le succès remporté par l’“appel à projets” du ministère de l’Economie numérique lancé sur le sujet.

Mais le succès des jeux sérieux n’est pas pour autant acquis ! Aucun jeu sérieux n’est encore apparu dans le top des ventes. D’ailleurs, dans cette proposition de jeux sérieux, n’y-a-t-il pas une contradiction dans les termes ? Le propre du jeu n’est-il pas de subvertir les catégories sociales en vigueur ? N’est-il pas plus habité par l’esprit du carnaval que par celui de l’école ? Qu’est-ce qui est “‘nouveau” dans ce concept ? Les “jeux éducatifs” existent depuis toujours. Et pas seulement depuis l’edutainment des années CD-Rom, ces jeux parascolaires qui allaient permettre aux enfants d’apprendre tout en se divertissant – edutainement dont les actuels promoteurs du jeu sérieux souhaitent d’ailleurs s’éloigner.

Notion paradoxale

Qu’y a -t-il de nouveau, alors ? Avant tout, le jeu devient une activité “sérieuse” : autrement dit, elle s’adresse largement autant aux adultes qu’aux enfants. Il ne s’agit plus de faire du parascolaire, de mettre un nez de clown pour faire passer la pilule de la leçon sur le complément d’objet. L’actuelle vogue des “jeux sérieux” doit beaucoup à la montée en puissance des ordinateurs et à la perfection des simulations. Du coup, le jeu sérieux quitte l’école pour investir d’autres domaines. L’entreprise, bien sûr, mais aussi la santé, voire l’action militante, car certains de ces jeux ont moins pour ambition d’éduquer sur un sujet que faire passer des idées : c’est ce qu’on appelle les “jeux persuasifs”.

Mais le progrès technologique ne résout toujours pas la difficulté, le paradoxe du “jeu sérieux” : une simulation n’est pas un jeu, comme nous le rappelle Second Life ! Or, la dimension ludique reste nécessaire pour permettre l’immersion : on ne s’investira pas dans la meilleure des simulations si l’on s’y ennuie à mourir.

De fait, l’une des conditions fondamentales du jeu est qu’on y entre de son plein gré et qu’on peut en sortir quand on le désire. Le seul pouvoir de fascination du jeu est suffisant pour retenir le participant dans ses rets. C’est la théorie du “cercle magique”, formulée par Johan Huizinga dans son classique Homo Ludens, écrit en 1938. A l’intérieur du cercle, on est dans le jeu. En dehors, on ne joue pas, quoiqu’on fasse. À bien y regarder, il semblerait pourtant que le jeu sérieux, par son nom même, constitue une brèche dans le cercle magique.

Pour Hector Rodriguez, qui consacre un long essai à ce problème dans la revue en ligne Game Studies, il n’y a pas vraiment de contradiction entre jeu et “sérieux”. À condition toutefois de ne pas se tromper d’approche :

“Le premier point de vue consiste à considérer les jeux comme des outils d’enseignement ou de formation dont le but principal est de rendre le processus d’apprentissage plus agréable, attirant ou accessible à l’étudiant. (…) Le jeu est utilisé uniquement comme un moyen de maximiser l’efficacité de l’enseignement. Un exemple de cette méthode est l’edutainment, “l’éducation par l’amusement”. Cette approche du jeu sérieux, cependant, ne s’accorde pas bien avec la théorie de Huizinga selon laquelle l’intégrité du jeu est pervertie si on l’utilise pour servir une fonction sociale.”

Mais on peut considérer les choses d’une manière radicalement différente, en se basant sur : “la conviction que de nombreuses manifestions de la culture dite sérieuse possèdent intrinsèquement des aspects ludiques. (…) Jouer peut faire partie du processus d’apprentissage parce que le sujet qu’on apprend est, du moins sous certains aspects, essentiellement ludique. Le rôle des jeux sérieux dans le processus d’apprentissage consiste donc à mettre en lumière la nature fondamentalement ludique du sujet enseigné”.

Neuroscience du jeu

De fait, il existe deux façons de prendre les jeux au sérieux. La première consiste à concevoir des jeux dans un but spécifiquement non ludique, éducatif, militant, etc. L’autre est de reconsidérer les jeux dans leur ensemble, même ceux qui suscitent le plus de méfiance et de mépris, et se demander ce qu’ils sont susceptibles de nous apporter.

Les études se multiplient sur les bienfaits psychologiques des jeux, de l’extension de la mémoire de travail aux capacités visio-spatiales. Tout récemment, une étude sur un groupe de jeunes adolescentes jouant à Tetris aurait même montré que ce jeu aurait la capacité d’épaissir certaines régions de la matière grise. Tout aussi surprenant, selon une étude menée en 2004 au centre médical de Beth Israël à New York, “les chirurgiens qui jouent à des jeux vidéos plus de trois heures par semaine commettent 37% moins d’erreurs dans la salle d’opération que ceux qui ne jouent pas. lls sont 27 fois plus rapides en cœlioscopie, et sont capables de suturer 33% plus vite”.

Mais pour l’écrivain Steven Berlin Johnson (fondateur d’un des premiers magazines en ligne, Feed, et auteur de Everything bad is good for you, c’est-à-dire Tout ce qui est mauvais est bon pour vous), on ne saurait s’arrêter à ces petites améliorations, certes appréciables, mais qui restent anecdotiques. L’aspect éducatif du jeu va bien plus loin et est bien plus novateur.

Il raconte comment, un jour alors qu’il s’échinait avec difficulté sur une partie de Sim City, son fils de sept ans le regarda jouer et lui dit simplement : “peut-être faudrait-il diminuer les impôts dans les zones ouvrières”. L’enfant avait “absorbé”, par simple contact avec le jeu, un savoir économique largement au dessus de son âge.

Pour Johnson, les jeux vidéos modernes développent deux capacités fondamentales dans le monde d’aujourd’hui : ils forment à l’exploration systématique et à l’élaboration de plans complexes, avec établissement d’un ensemble de priorités, de sous priorités, etc. Explorer, tester des hypothèses, planifier une tâche… Ce sont les fondements de la méthode scientifique.

Pourquoi le jeu nous forme-t-il si intuivement à des tâches aussi complexes ? Pour Johnson, la réponse est dans la dopamine. Chaque nouveau succès dans un jeu, chaque ennemi mis à terre, chaque trésor déterré, chaque épreuve gagnée nous donnerait notre “dose” de dopamine, molécule dont notre cerveau est particulièrement friand, et nous pousserait ainsi à continuer à jouer !

Le psychologue et blogueur Jamie Madigan s’est intéressé de près à cette idée du jeu comme “dealer de dopamine” en étudiant particulièrement à la notion de “butin” dans des jeux comme World of Warcraft. Vieil héritage de Donjons et Dragons, cette pratique propre à la plupart des jeux de rôles consiste à “faire les poches” d’un monstre qu’on vient de tuer pour récupérer éventuellement argent ou objets. Selon Madigan, les cellules émettrices de la dopamine s’activent particulièrement lorsqu’elles recherchent une récompense, mais elles deviennent quasiment folles lorsque la récompense se révèle totalement inattendue, comme lorsqu’on découvre sur le cadavre d’un des monstres une arme magique particulièrement miraculeuse !

"Snakes and ladders"

Le jeu est par nature éducatif

Pour Raph Koster, qui en son temps dirigea la création d’un des premiers MMORPG (jeu de rôle en ligne massivement multijoueur), Ultima Online, tout jeu est fondamentalement éducatif. C’est l’idée qu’il développe dans son livre, A theory of fun. D’après lui, les êtres humains ont le don de découvrir des patterns, des modèles, des structures… Ils en voient partout, mais il leur faut un certain temps pour les construire. C’est cet acte de reconnaitre et manipuler des patterns qui font le “fun”. Comme il l’explique lors d’une conférence :

“Le fun est le feedback envoyé par le cerveau lorsque nous réussissons à absorber une pattern. Nous devons absorber des patterns, car sinon nous mourrons. Donc le cerveau DOIT envoyer un feedback positif lorsque nous apprenons quelque chose. Nous avons tendance à voir l’amusement comme quelque chose de frivole. Comme la chose qui n’a pas d’importance. Et c’est là qu’est le point central du jeu sérieux : je suis ici pour vous dire que le fun n’est pas une chose frivole, mais qu’il est un aspect fondamental de la nature humaine et nécessaire à la survie. Notre but est donc de sauver la race humaine de l’extinction.”

“Les jeux sont comme des versions cartoons des problèmes les plus complexes du monde réel. Serpents et échelles ? C’est de la géométrie euclidienne ! C’est un espace cartésien. Il possède même des trous de ver, par tous les dieux ! Qui dans cette salle enseigne la physique ? La théorie des supercordes ? Jouez à un jeu ! Les jeux sont une distillation des schémas cognitifs. “

Du coup, on peut se demander si le jeu ne pourrait pas remplacer purement et simplement l’éducation traditionnelle. C’est le pari qu’ont pris, à New York, les créateurs d’une école entièrement centrée sur le jeu vidéo, Quest to learn (La Quête de l’apprentissage). Cette institution éduque 72 enfants de niveau collège par l’intermédiaire de modules ludiques tels Codeworlds (qui regroupe math et anglais), “Being, space and place” (”être, espace et place”, pratique transversale de l’anglais et des sciences humaines), ou “The way things work” (”comment les choses marchent”, consacré aux maths et aux sciences). A noter également la présence d’un “module” dédié à la conception de jeux. C’est important. Car dans un monde à venir dominé par l’esprit ludique va s’imposer la nécessité d’un nouvel alphabétisme : savoir créer ses propres jeux. Des systèmes comme Kodu, Alice ou Scratch, qui enseignent aux jeunes de 7 à 77 ans comment concevoir leurs propres jeux vidéos, pourraient bien faire partie du bagage indispensable de l’honnête homme du XXIe siècle.


Retrouvez tous les articles de notre dossier jeux vidéo:

- Fais-moi jouer, fais-moi jouir
- Lara, Zelda, Samus: pourquoi sont-elles aussi sexy ?

ff

Billet initialement publié sur InternetActu dans le cadre d’un dossier sur le serious game. Les autres parties :

2e partie : Les nouvelles formes de jeu
- 3e partie : Le jeu, catalyseur de l’intelligence collective
- 4e partie : Le jeu est le futur du travail
- 5e partie : Le jeu est l’arme de la subversion

Images CC Flickr
~Jin Han ~ H is for Home ; une : A*A*R*O*N

MAJ 01042011
photos via flickr par Stuck in Customs [cc-by-nc-sa]

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