OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La Syrie à la mine de plomb http://owni.fr/2012/08/06/la-syrie-a-la-mine-de-plomb/ http://owni.fr/2012/08/06/la-syrie-a-la-mine-de-plomb/#comments Mon, 06 Aug 2012 14:08:50 +0000 Ophelia Noor et Pierre Alonso http://owni.fr/?p=116681 L’Iran et la Syrie, une longue histoire. Dernier épisode de cet épopée, 48 Iraniens ont été enlevés par l’Armée Syrienne Libre, samedi sur la route de l’aéroport de Damas. Espions envoyés par Téhéran pour les uns, simples pèlerins chiites pour les autres. Avec ses traits noirs et acerbes, le dessinateur iranien Mana Neyestani chronique le conflit syrien sur sa page Facebook ou pour le site de la radio iranienne en exil Zamaneh. Il feint de s’interroger :

Comment être sauvé par un régime lui-même en perte de vitesse ?

Jusqu’ici, Bachar al-Assad a pu compter sur le soutien de la République islamique d’Iran. Mana Neyestani sourirait presque de cette alliance de deux dictatures. Lui vit en exil à Paris, après des aventures kafkaïennes racontées dans son ouvrage Une métamorphose iranienne. “Le seul langage que maîtrisent les dictateurs est la violence” explique-t-il.

Kafka à l’iranienne

Kafka à l’iranienne

Mana Neyestani, caricaturiste iranien, est l'auteur d'Une métamorphose iranienne, à paraître le 16 février. Un ...

Un alter ego syrien, le caricaturiste Ali Ferzat, a subi la répression du régime pour l’avoir trop vertement critiqué. Il y a un an, des hommes cagoulés l’enlevaient et le rouaient de coups ; ils lui brisaient les mains. Mana Neyestani lui rend hommage dans un dessin qui souligne le pouvoir du stylo contre la matraque.

“Je me demande comment Bachar peut dormir sans penser aux meurtres qu’il commet.” Sous le regard impuissant – dans le meilleur des cas – des organisations internationales. Deux dessins sont consacrés à l’ONU, que le dessinateur iranien n’épargne pas. Sur une image représentant un prisonnier sur le point de se faire exécuter, les Nations Unies choisissent de “cacher cette histoire”.

Pour le dessinateur, “c’est tellement douloureux de voir comment les Syriens se font si sauvagement massacrés par leur dictateur alors que l’ONU ne peut (ou ne veut) pas sauver les personnes innocentes.” Avec une question en suspens :

Une dictature et un massacre peuvent-ils être considérés comme des problèmes internes ?


Illustrations de Mana Neyestani, © tous droits réservés, publiées avec l’autorisation de l’auteur. Retrouvez le travail de Mana Neyestani sur sa page Facebook.

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Les sales blagues de Bachar el-Assad http://owni.fr/2012/07/18/les-sales-blagues-de-bachar-el-assad/ http://owni.fr/2012/07/18/les-sales-blagues-de-bachar-el-assad/#comments Wed, 18 Jul 2012 11:05:08 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=116177

Le 26 février 2011, 15 jours après la fuite (et la démission) d’Hosni Moubarak, qui dirigeait l’Égypte depuis 1981, Bachar el-Assad envoie un mail intitulé “Un nouveau mot dans le dictionnaire” :

Moubarak (verbe) : accrocher, coller quelque chose. Exemple : “je vais te frapper et te moubaraker au mur”, ou “tu peux moubaraker les différentes pièces pour les faire tenir ensemble”.
Moubarak (adjectif) : long à apprendre ou comprendre. Ex : “Pourquoi avez-vous besoin d’être aussi moubarak ?”
Moubarak (nom) : ex-petite amie psychotique qui n’arrive pas à comprendre que c’est fini.

Sur les 2 434 899 mails des Syria Files révélés par WikiLeaks et auxquels Owni a eu accès, on trouve 538 e-mails envoyés par sam@alshahba.com, l’adresse e-mail utilisée par Bachar el-Assad. La majeure partie d’entre-eux ont été envoyés avant le début de la révolution en Syrie, et concernent la gestion d’affaires internes, ainsi que de nombreux échanges avec la traductrice personnelle d’el-Assad.

Le dir’ com américain de la Syrie

Le dir’ com américain de la Syrie

Bachar al-Assad avait recruté des "spin doctors" anglo-saxons. Ils avaient déclaré ne plus travailler pour le ...


On n’y trouve aucun secret d’État, pas de révélations sur la main-mise des services de sécurité syriens, non plus que sur le soutien de la Russie, de la Chine ou de l’Iran. Par contre, on y trouve des blagues, plusieurs dizaines, pour la plupart en anglais, que le président-dictateur syrien envoyait à ses proches collaborateurs, et notamment à sa traductrice.

Certaines sont plutôt drôles ou raffinées, la majeure partie graveleuses et misogynes. A mille lieues de l’image glamour que le régime syrien et ses communicants cherchaient à donner du couple el-Assad en mettant en avant la belle et jeune Asma, épouse de Bachar, ces blagues révèlent un homme adepte de ces blagues que s’échangent les hommes d’un certain âge au sujet de leurs femmes vieillissantes, et d’un humour peu respectueux de la femme, tout comme de l’islam. Florilège.

Une pastèque dans le c…

En février 2010, dans un email intitulé “Les femmes qui savent rester à leur place” il raconte comment la journaliste américaine Barbara Walters s’était étonnée de voir les femmes afghanes continuer à marcher plusieurs pas derrière leurs maris, comme du temps des Taliban :

Pourquoi semblez-vous si heureuse de perpétuer cette vieille coutume que vous cherchiez pourtant désespérément à abolir ?

La femme regarde Mme Walters droit dans les yeux et, sans hésitation, lui répond : “les mines antipersonnelles”.

Moralité de l’histoire : derrière chaque homme, il y a une femme intelligente !

Le 16 mars 2010, Bachar el-Assad envoie une série de blagues en arabe, se moquant notamment de Haifa Wehbe, laissant entendre que le jour où la diva d’origine libanaise mourra, elle saura enfin de ce que cela fait de se coucher toute seule… entre autres plaisanteries de bon goût.

On y trouve aussi l’histoire d’un homme qui ne parvient pas à se défaire des vers qui rongent ses viscères. Un médecin lui propose alors de couper une pastèque en deux et de s’asseoir dessus, afin que son nectar attire les vers. L’un d’entre-eux vient de fait goûter la pastèque qui, effectivement, a très bon goût. Mais plutôt que d’attirer les vers, ces derniers crient au premier : “ramène-nous la pastèque !

Cochon entier et petite saucisse

Le 8 août à 18h24, Bachar el-Assad faisait suivre une chaîne mail intitulée “Longue vie aux célibataires“, compilation de citations anti-mariage :

Je n’ai pas peur du terrorisme. J’ai été marié pendant deux ans.

J’emmène ma femme partout, mais elle arrive toujours à retrouver le chemin du retour.

Nous nous tenons toujours par la main. Si je la laisse aller, elle entre dans les magasins.

Quatre minutes plus tard, à 18h28, Bachar el-Assad envoie un autre e-mail, titré “femmes âgées“, évoquant le fait que “pour chaque femme magnifique, intelligente, bien coiffée et sexy de plus de 40 ans, il y a un chauve bedonnant qui porte des pantalons jaunes et autres reliques en guise de vêtements, et qui devient gaga devant des serveuses de 22 ans” :

Mesdames, je suis désolé. A tous ces hommes qui disent : “mais pourquoi acheter une vache quand on peut avoir du lait gratuitement ?” sachez qu’aujourd’hui, 80% des femmes sont contre le mariage. Pourquoi ? Parce qu’elles réalisent que ce n’est pas la peine d’acheter un cochon entier pour n’avoir qu’une petite saucisse !

Le 20 octobre 2010, il envoie à sa traductrice “quelques calculs mathématiques“, que l’on retrouve sur le web sous l’intitulé Romance Mathematics :

Homme intelligent + femme intelligente = Romance
Homme intelligent + femme bête = aventure
Homme stupide + femme intelligente = mariage
Homme stupide + femme bête = grossesse

Un homme qui réussit gagne plus d’argent que sa femme ne peut dépenser.
Une femme qui réussit est celle qui peut trouver un tel homme.

Le 23 décembre, il fait suivre une série de blagues “Mari vs Femme” elle aussi copiée-collée sur les interwebs :

La femme : j’aimerais être un journal, pour être dans tes mains tous les jours.
Le mari : moi aussi j’aimerais bien que tu sois un journal, histoire d’en avoir un nouveau chaque jour.

Le 5 novembre, il transmet un “guide hormonal à scotcher sur le réfrigérateur” que “les femmes comprendront (et que) les hommes devraient mémoriser“, dont la version poster est beaucoup plus explicite et qui, en résumé, explique que pour ne pas avoir de problèmes avec les femmes, le mieux est encore de les enivrer :

Le 15 décembre, Bachar el-Assad transfert un mail intitulé “générosité britannique” que lui avait envoyé Fawaz Akhras, son beau-père, et qui raille l’aide internationale apportée au Pakistan après un tremblement de terre (imaginaire) ayant fait 2 millions de mort :

Les USA envoient des troupes. L’Arabie Saoudite du pétrole. La Nouvelle-Zélande des moutons, des bovins et de la nourriture. Les pays d’Asie du sud est de la main d’œuvre pour rebâtir les infrastructures. L’Australie du matériel et des équipes médicales.

Pour ne pas être en reste, la Grande-Bretagne renvoie ses deux millions de Pakistanais. God Bless British generosity…

Le Guardian, qui a consacré un article au sujet des conseils donnés par Fawaz Akhras à son beau-fils pour minimiser la portée du nombre de morts civils en Syrie, évoque également le fait que Bachar lui avait envoyé plusieurs autres blagues depuis son iPhone, dont une portant sur la taille respective des pénis de Nicolas Sarkozy, Benyamin Netanyahu et Barack Obama.

La blague postée en date du 28 décembre est tout aussi courte, percutante, que déplacée. Une nonne va voir sa mère supérieure pour lui annoncer qu’elle a été violée :

- Que dois-je faire ?
- Buvez ce thé, amer et sans sucre
- Cela me rendra-t-il mon honneur et ma pureté ?
- Non, mais cela devrait effacer l’expression de bonheur qu’arbore votre visage.

Le 31, une histoire où un gars vient demander à Bush et Obama, qui sont assis dans un bar, ce qu’ils sont en train de préparer :

Bush : Nous préparons la 3ème guerre mondiale.
le gars : vraiment, mais qu’est-ce qui va se passer ?
Bush : cette fois, nous allons tuer 140 millions de gens, ainsi qu’Angelina Jolie.
le gars : Angelina Jolie ? Mais pourquoi Angelina Jolie ?
Bush se tourne alors vers Obama : tu vois ? Je te l’avais bien dit, tout le monde s’en fout de ces 140 millions de gens !!!!!!!!!

“Woo-hoo, quelle aventure !”

Le 20 janvier, ce n’est pas une blague, mais une vidéo en noir et blanc, et en pièce jointe, façon comédie italienne d’antan, que Bachar el-Assad envoie par mail un spot publicitaire de la société Belgacom incitant ses abonnés à ne pas la quitter. On y voit une femme en-dessous s’affoler de l’arrivée de son mari, et son amant se cacher dans une valise. Le mari, croyant que sa femme le quittait, prend la valise et la jette par la fenêtre.

Le 25, Bachar el-Assad envoie une autre vidéo en pièce jointe : Reopen911.wmv (4.1MiB), résumé de plusieurs des thèses conspirationnistes entourant les attentats du 11 septembre.

Le lendemain, Hasan Ali Akleh s’immole par le feu afin de protester contre le gouvernement syrien, évènement considéré comme annonciateur, et en tout cas emblématique, du printemps syrien.

Le 1er mars 2011, 15 jours après les premières manifestations en Libye, et une semaine après le fameux discours télévisé où Mouammar Kadhafi où il promettait de “nettoyer la Libye maison par maison” de tous ces “mercenaires, rats, bandes criminelles et drogués” manipulés par Al-Qaida et les Américains, Bachar el-Assad envoyait un nouvel e-mail :

Kadhafi a dit :
. hé, les gens, sans électricité, nous nous assiérons pour regarder la TV dans le noir
. je ne suis pas un dictateur qui bloque Facebook, mais j’arrêterais tous ceux qui s’y connecteront
. vous pouvez protester autant que vous le voulez, mais n’allez ni dans les rues ni dans les places
. je resterai en Libye jusqu’à ma mort, ou mon destin viendra à moi.

Le 2 mars 2011, Bachar el-Assad fait suivre les conseils d’un médecin qui préconise la sieste plutôt que l’exercice, conseille de boire de l’alcool (parce que le vin et la bière sont faits à partir de fruits et de céréales), de ne pas se restreindre sur les fritures et le chocolat (parce que faits à partir de légumes), déconseille la nage (“si la nage est bonne pour la ligne, expliquez-moi les baleines“) :

La vie ne doit pas être un long voyage destiné à arriver dans sa tombe avec une ligne et une condition physique excellente, mais plutôt une virée zigzaguante (du Chardonnay dans une main, du chocolat dans l’autre) où l’on crierait “woo-hoo, quelle aventure !” afin d’en finir complètement usé et épuisé.

Le 27 mars 2011, alors que le mouvement de libération prend de l’ampleur, et que l’AFP avance que plus d’une centaine de manifestants ont été tués par la police, un proche collaborateur de Bachar el-Assad lui envoie un mail particulièrement obséquieux lui expliquant qu’une étude aurait démontré que le cœur de la quasi-totalité des 24 millions de Syriens battrait pour Bachar el-Assad, et qu’il est impossible de geler ses avoirs puisqu’ils ne sont pas en Suisse, mais dans le cœur des Syriens…

Le 28, Bachar el-Assad fait suivre une image montrant comment la photo de gens manifestant avec le drapeau syrien en soutien au président syrien a été manipulée pour que l’on croit qu’ils réclament son départ.

Le 31, un autre collaborateur lui envoie un mail intitulé ‘J’ai aimé cette chanson” avec, en pièce jointe, une chanson (sirupeuse) attribuée (à tort) à Mick Jagger composée sur un vieux synthé et répétant (en anglais) “Bashar, We Love You“.

Le 25 juillet, il fait suivre la version traduite en arabe d’une vidéo, en français, intitulée “Sarkozy, combien d’enfants as-tu tué cette nuit ?“, l’accusant d’être responsable de la mort d’enfants tués lors d’un bombardement de l’OTAN en Libye, réalisée par Michel Collon, un journaliste belge considéré comme proche des réseaux français au service de la Syrie qui, après avoir publié un essai sur les “médiamensonges” de l’OTAN en Libye, a récemment préfacé un ouvrage similaire consacré, cette fois, au plan “Syriana” de remodelage du Moyen-Orient par la CIA.

Le 24 septembre, il envoie un lien vers une vidéo (en arabe) sur la proximité supposée entre Al Jazeera et la CIA. Censurée depuis, on la retrouve facilement en cherchant les mots-clefs “الجزيرة والمخابرات الأمريكية.. مين بيلعب فى دماغنا ؟؟“.

Le dernier e-mail de Bachar el-Assad présent dans les #SyriaFiles de WikiLeaks est un copié-collé d’un article de Wayne Madsen, un ancien militaire américain devenu journaliste spécialiste des services de renseignement, proche du Réseau Voltaire et conspirationniste.

Dans cet article, basé sur “plusieurs sources fiables“, Madsen affirme que l’ancien ambassadeur des États-Unis en Syrie a été chargé de recruter des “escadrons de la mort” auprès d’unités affiliées à Al-Qaida et de les envoyer se battre contre les soldats et policiers fidèles au régime syrien. Il affirme également que ces terroristes ne se sont pas contentés d’attaquer les forces loyalistes, mais également de massacrer des civils, afin d’accuser, avec l’aide du Mossad, le gouvernement syrien.

Et cette histoire de CIA qui recrute des terroristes d’Al-Qaida pour tuer des civils avec l’aide du Mossad, pour Bachar el-Assad, ce n’était pas une blague.


A noter que le Fonds de Défense de la Neutralité du Net, émanation du French Data Network, premier FAI indépendant français, vient de faire sauter le blocus financier de Wikileaks, et qu’il est donc de nouveau possible de lui faire un don par carte bancaire.

Merci à Salam Houssam Aldeen, pseudonyme d’un journaliste syrien en exil à Paris (qui cherche du travail : contactez presse AT OWNI.fr), ainsi qu’à Pierre Leibovici (@pierreleibo sur Twitter), qui m’ont beaucoup aidé à plonger dans ces #SyriaFiles.
Photo trouvée dans les mails de Bachar el-Assad, illustration et couverture par Loguy pour Owni /-)

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Le dir’ com américain de la Syrie http://owni.fr/2012/07/06/le-dir-com-americain-de-la-syrie/ http://owni.fr/2012/07/06/le-dir-com-americain-de-la-syrie/#comments Fri, 06 Jul 2012 16:19:37 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=115551 spin doctors" anglo-saxons. Ils avaient déclaré ne plus travailler pour le président-dictateur syrien. Or, les documents obtenus par WikiLeaks, et révélés par Owni, montrent qu'il n'en est rien et qu'ils ont continué pendant la répression.]]>

En plein printemps arabe, le magazine Vogue publiait, dans son édition de mars 2011, un portrait élogieux d’Asma al-Assad, la femme du dictateur syrien, sobrement intitulé “Une rose dans le désert“.

Illustré de photographies de James Nachtwey et signé Joan Juliet Buck, ex-rédactrice en chef de la version française de Vogue, l’article a depuis été effacé du site web de Vogue (on peut le retrouver via archive.org).

Aux États-Unis, des dizaines d’articles avaient en effet dénoncé l’incongruité d’une telle publication, quelques jours seulement avant le déclenchement de la révolution syrienne, et la façon dont il cherchait à humaniser un dictateur en montrant à quel point sa femme était belle et raffinée.

Cet article n’aurait probablement jamais été rendu possible sans l’entregent de Mike Holtzman et de son employeur, le cabinet de relations publiques Brown Lloyd James.

Ex directeur des affaires publiques du Council on Foreign Relations, passé par le département d’Etat américain et le cabinet de Bill Clinton, désigné comme “officier de liaison” à Ground Zero en septembre 2001, Mike Holtzman s’illustra en aidant la Chine à remporter les jeux olympiques de 2008, ce qui lui valu d’être désigné comme la personnalité de l’année par PRWeek, le magazine des relations publiques, et d’être recruté dans la foulée par Brown Lloyd James.

Créé par Peter Brown, l’ancien assistant des Beatles, et Sir Nicholas Lloyd, un ancien journaliste du Daily Express, ce cabinet de relations publiques, qui a notamment aidé le Qatar à emporter la coupe du monde de football 2022, travaille tout aussi bien pour Russia Today que pour Disneyland Paris, la principauté de Monaco et Al Jazeera, avec un focus sur les pays arabo-musulmans.

En 2002, Mike Holztman faisait ainsi paraître une tribune libre appelant à la privatisation de la diplomatie, afin d’améliorer les rapports entre les États-Unis et le Moyen-Orient, puis une seconde, en 2003, fustigeant la propagande américaine dans les pays arabo-musulmans.

En 2009, Brown Lloyd James se faisait également remarquer en travaillant pour la Libye, afin de permettre à Kadhafi de publier une tribune libre dans le New York Times, de faciliter son célèbre voyage au siège des Nations-Unis (où il avait accusé le Conseil de sécurité d’être un “Conseil de la terreur car le terrorisme ce n’est pas seulement al-Qaida“), ou encore de favoriser une rencontre entre George Bush et le fils Kadhafi.

Brown Lloyd James a toujours refusé de répondre aux questions de la presse. Mais un mémo de la Justice américaine a révélé que le cabinet avait bien été sous contrat avec la Syrie, afin d’améliorer l’image de marque d’Asma al-Assad à l’étranger, la société tenant cela dit à préciser n’avoir “fourni aucun service à la famille Assad depuis décembre 2010“, date à laquelle elle avait organisé, selon The Guardian une interview avec Asma al-Assad.

Ce même mois de décembre 2010 Paris Match avait lui aussi rencontré la femme du dictateur syrien, à l’occasion d’une visite officielle des époux al-Assad à Paris, et publié une interview de 4 pages intitulée “Deux amoureux à Paris“. Contacté par Owni, Régis Le Sommier, le journaliste de Paris Match qui avait signé le papier, répond n’avoir jamais “été en contact avec Brown Lloyd James, ni avec Mike Holtzman“.

Pourtant, un des 2 434 899 emails obtenus par WikiLeaks dans le cadre de l’opération Syria Files, estampillé “classified“, révèle la présence de Mike Holtzman à Paris en compagnie d’Asma al-Assad en décembre 2010.

MaJ du 6/8/2012 : Régis Le Sommier, directeur adjoint de Paris Match à qui cette interview avait été accordée, me demande de préciser ce qui suit :

Cette interview a été réalisée à l’hôtel Bristol par l’intermédiaire de Fares Kallas, en présence de Leila Sibaey. En aucun cas, nous ne payons, ni n’utilisons d’agences de relations publiques pour décrocher des interviews. Le président El-Assad était reçu par Laurent Delahousse de France 2 et Paris Match avait obtenu d’interviewer la First Lady.

Surtout, d’autres e-mails et documents montrent que Mike Holtzman a bel et bien continué à conseiller le dictateur syrien, jusqu’en janvier 2012, et alors que la répression faisait des centaines, voire des milliers de morts.

Un “super-héros” musulman, et amputé

Plusieurs emails, révélés par les Syria Files et confirmés par un article du magazine Foreign Policy, montrent par ailleurs que Mike Holtzman, censé avoir cessé de travaillé pour la Syrie depuis décembre 2010, s’était rendu à l’Opéra Dar al Assad de Damas pour une conférence le 9 février 2011.

Dans un premier email, Rachel Walsh, qui travaille pour Brown Lloyd James au Qatar, écrit à Sondos Sosi, chargée des relations avec la presse au ministère syrien des Affaires Présidentielles, que sa “collègue Sheherazad Jaafari lui a conseillé d’envoyer des documents à propos de la conférence du 9 février“.

Sheherazad Jaafari n’est pas n’importe qui : fille de l’ambassadeur de Syrie aux Nations Unies et conseillère en communication de la famille al-Assad, elle avait effectué un stage chez Brown Lloyd James, et Mike Holtzman avait été son “chef“. Dans un message envoyé à Sondos Sosi dans la foulée, elle joint un tableau recensant les sièges réservés pour la conférence du 9 février. Aux premiers rangs, des places destinées aux membres du gouvernement syrien ainsi qu’à des ambassadeurs étrangers, mais également à Asma Al Assad, épouse de Bachar, à côté de laquelle est installé Mike Holtzman.

Quelques heures plus tard, Sondos Sosi fait parvenir par email le programme de la soirée à Luna Chebel, une autre conseillère en relations presse de Bachar al-Assad et ancienne journaliste à Al Jazeera. Mike Holtzman y est présenté comme le “maître de cérémonie de la soirée“, chargé d’introduire tous les invités.

Ironie de l’histoire, et alors que le soulèvement syrien allait débuter un mois plus tard, Mike Holtzman venait y présenter “Le Scorpion d’Argent“, une bande dessinée qui raconte l’histoire d’un jeune arabe amputé des deux jambes après avoir sauté sur une mine antipersonnel, écrite par de jeunes handicapés américains et syriens, et produite par l’ONG Open Hands Initiative -dont Mike Holtzman fait partie du comité consultatif- afin d’ouvrir “une nouvelle phase diplomatique” entre les États-Unis et les pays arabo-musulmans…

“Il n’est pas nécessaire de détruire le pays”

Les Syria Files révèlent un autre document, encore plus embarrassant : le 19 mai 2011, Mike Holtzman envoyait en effet à Fares Kallas, proche collaboratrice d’Asma al-Assad, un “Memorandum” intitulé “analyse de la communication de crise“, lui expliquant ce qu’il conviendrait de faire pour que l’image de la Syrie ne soit pas trop entachée par la répression, qui avait débuté deux mois plus tôt :

Il est clair, au vu des déclarations du gouvernement américain depuis le début des manifestations en Syrie, que l’administration Obama veut la survie du régime actuel. Contrairement à ses réactions aux manifestations dans d’autres pays de la région, il n’y a eu aucune demande de changement de régime, ni d’intervention militaire.

Le mémorandum n’en souligne pas moins que la position des États-Unis pourrait évoluer en fonction, notamment, de la couverture médiatique, tout en déplorant l’approche déséquilibrée de la communication” de la Syrie depuis le début de la “crise” :

S’il est nécessaire de se reposer sur un pouvoir fort afin de réprimer la rébellion, le soft power est nécessaire pour rassurer le peuple syrien ainsi que le public extérieur sur le fait que la réforme se poursuit rapidement, que les griefs légitimes sont pris en compte et au sérieux, et que les actions de la Syrie visent essentiellement à créer un environnement dans lequel le changement et le progrès peuvent avoir lieu.

Début mai, alors que Michael Hotzman rédigeait ce mémorandum, les ONG estimaient que plusieurs centaines de personnes avaient d’ores et déjà été tuées par l’armée, et que des milliers avaient été arrêtées. Hotzman se borne, lui, à alerter le président syrien sur les risques de dérive et d’instabilité si d’aventure les manifestants étaient renvoyés chez eux par la peur plutôt que par “la conviction que leur gouvernement est sensible à leurs préoccupations” :

La Syrie semble communiquer avec deux mains. Une qui propose la réforme, l’autre l’autorité de la loi. L’autorité de la loi est un poing. La réforme une main ouverte. A ce jour, le poing semble, pour l’opinion publique internationale, et probablement pour de nombreux Syriens, 10 fois plus fort que la main tendue. Elles doivent être mieux équilibrées.

Brown Lloyd James propose ainsi au président syrien de communiquer plus souvent, tout en estimant “nécessaire que la First Lady rentre dans le jeu : la clef est de montrer force et sympathie en même temps“, comme ce fut le cas avec les précédents papiers de “Vogue” et de “Paris Match“.

La société de conseil propose également de lancer une campagne de presse internationale expliquant les difficultés rencontrées par Bachar al-Assad dans sa volonté de réforme, mais également d’améliorer sa communication “sur le plan de la sécurité“, en le montrant prendre des sanctions publiques envers les forces de sécurité qui, ne respectant pas ses ordres, tirent sur des civils désarmés.

Cela permettrait de montrer sans équivoque possible que toute personne qui enfreint la loi – qu’il s’agisse de manifestants ou de soldats – devront faire face à leurs responsabilités.

Afin de contrer la mauvaise publicité faite par les “figures de l’opposition syrienne” vivant à l’étranger, mais également de contrecarrer le “torrent quotidien de rumeurs, de critiques et de mensonges“, Brown Lloyd James propose également de mettre en place une cellule de veille 24h/24 afin de surveiller les médias, voire de contre-attaquer :

Les réseaux sociaux devraient être surveillés et les faux sites poursuivis en justice et effacés.

En conclusion, Brown Lloyd James suggère d’en appeler au patriotisme des Syriens afin de mettre l’accent sur le fait qu’”il n’est pas nécessaire de détruire le pays pour atteindre l’objectif partagé par tous : vivre dans un pays libre et prospère“, et met l’accent sur deux recommandations :

. reconnaître que la violence qui a lieu en ce moment est regrettable. Mais ce ne sont pas les responsables syriens qui l’ont cherché. Ses dirigeants sont obligés de protéger la Syrie, afin de créer les conditions de calme nécessaire à la mise en place de la réforme.
. continuer à exprimer sa confiance dans l’avenir, et dans le fait que la crise est sur le déclin.

“On ne tue pas sa population”

Début janvier 2012, Fares Kallas, à qui avait été adressé le mémorandum de Mike Holtzman, faisait fermer 11 faux comptes Twitter usurpant l’identité du couple al-Assad (@FirstLadysyria, @Asma_AlAssad, @Bashar_alAssad, @SyrianPresident, etc.).

En mars 2012, le quotidien britannique The Guardian révélait des échanges d’e-mail entre Sheherazad Jaafari et Mike Holtzman, son “ancien chef” chez Brown Lloyd James.

Dans ces emails, datés du 11 janvier 2012, la fille de l’ambassadeur de Syrie aux Nations Unies, devenue conseillère en communication des époux al-Assad, évoque un meeting à Damas où Bachar al-Assad martela, devant des dizaines de milliers de supporters, qu’il voulait faire du rétablissement de la sécurité “la priorité absolue“, promettant de frapper les “terroristes” d’une main de fer :

Je suis venu pour puiser la force auprès de vous. Grâce à vous, je n’ai jamais ressenti la faiblesse. Nous allons triompher sans aucun doute du complot. Leur complot approche de sa fin, qui sera la leur aussi.

Dans cette série d’emails, Sheherazad écrit à Mike que “cet homme est aimé par son peuple“, ce à quoi le communiquant américain lui répond “je suis fier de toi. J’aimerais être là pour (vous) aider“, avant de préciser :

Nous avons besoin d’une nouvelle politique américaine. Quels idiots.

Ce jour-là, le journaliste Gilles Jacquier du magazine télévisé Envoyé spécial était tué à Homs pendant un tournage autorisé par les autorités syriennes. Et la répression avait d’ores et déjà fait plusieurs centaines de morts, et des milliers de Syriens avaient été arrêtés, et torturés.

Sheherazad Jaafari est depuis tombée en disgrâce, et retournée aux États-Unis, pour avoir tenté de mettre en pratique les conseils de son “ancien chef“.

D’autres emails, obtenus par Anonymous et publiés en février 2012 par Haaretz, révèlent en effet qu’elle avait expliqué à Bachar al-Assad que “la psyché américaine peut facilement être manipulée“, afin de le préparer à la désormais célèbre interview où il allait déclarer à la télévision américaine ABC qu’”il n’y a pas eu d’ordre demandant de tuer ou d’être violent“, et qu’il avait “fait de son mieux pour protéger la population“, contestant le chiffres de 4000 morts dressés par l’ONU, pour affirmer que “la majorité” des personnes tuées étaient “des partisans du régime et non l’inverse” :

«On ne tue pas sa population… Aucun gouvernement dans le monde ne tue son propre peuple, à moins d’être mené par un fou.»

L’affaire a rebondi début juin avec la publication dans le Telegraph d’autres e-mails échangés cette fois entre Sheherazad Jaafari et Barbara Walters, la journaliste qui avait interviewé Bachar al-Assad pour ABC, révélant comment cette dernière avait cherché à pistonner la jeune syrienne afin qu’elle soit embauchée par CNN, ou qu’elle intègre la Columbia School of Journalism… ce qui a poussé la vénérable journaliste, prise en flagrant délit de conflit d’intérêts, à présenter ses excuses.

Mike Holtzman, si prompt à aider ses clients, dictateurs compris, à manipuler la presse, a toujours refusé de répondre aux questions des journalistes.


Enquête réalisée avec Pierre Leibovici (@pierreleibo sur Twitter).

Voir aussi : Que devient Asma Al-Assad « une rose dans le désert » ? sur Bakchich, et la réponse de BLJ qui explique au WashingtonPost et à Foreign Policy ne pas avoir été payé pour ce mémo, qui constituait un “dernier effort (visant) à encourager une issue pacifique plutôt que violente“.

Voir, enfin, Comment Vogue s’est « fait avoir » par Asma el-Assad où Joan Juliet Buck, qui a depuis quitté Vogue, explique comment elle a été piégée par l’agence de com’, et la direction de Vogue…

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Damas à l’assaut de Facebook http://owni.fr/2012/04/13/bachar-assad-facebook-propagande-damas/ http://owni.fr/2012/04/13/bachar-assad-facebook-propagande-damas/#comments Thu, 12 Apr 2012 22:40:45 +0000 Elvire Camus http://owni.fr/?p=105808

Image de propagande du régime syrien

Simba, Bard Pitt et Jésus ont a priori très peu de points communs. Pourtant, leur image a été choisie par l’armée syrienne électronique pour réaliser des visuels de propagande pro-régime destinés à être diffusés sur Internet. Outils indispensables, Internet et les réseaux sociaux sont une source d’information primordiale pour les Syriens et les médias qui couvrent le soulèvement depuis l’extérieur du pays. Et ni les opposants ni les soutiens du président Assad ne peuvent se permettre d’être absents ou passifs sur la toile.

Depuis le mois de mai 2011, les designers et chercheurs du collectif Foundland, basé à Amsterdam, suit les activités de cette armée électronique sur Facebook et analyse le contenu qu’elle produit. Au mois de novembre dernier, lors du festival Impakt d’Utrecht (Pays-Bas) nous avions suivi l’avancement de leurs travaux. En particulier lors d’une exposition à la Academie Gallery.

Cette semaine, alors que le régime continue de bombarder sa population, OWNI a rencontré Ghalia Elsrabki, membre syrienne de ce collectif, pour tirer un bilan des opérations de propagande lancées depuis le début des affrontements. Elle décrypte le travail de l’armée syrienne électronique qui mêle espionnage, détournement de visuels, création de nouvelles réalités et Walt Disney.

Depuis quand l’armée syrienne électronique produit-elle ces images ?

Depuis le mois de mai dernier, un groupe de volontaires qui se fait appeler l’armée syrienne électronique espionne les internautes, hackent des sites Internet et des fan pages en lien avec l’opposition et créent leur propre propagande pro-régime. Ils produisent des images et les postent sur Facebook, sur leurs profils civils et leurs fan pages. Même si l’armée électronique n’a pas de lien officiel avec le gouvernement, des enquêtes ont montré qu’elle bénéficie d’un soutien technique et financier de sa part. Ce qui est intéressant c’est que la propagande a toujours existé, les images ont toujours été utilisées mais de façon moins subtile qu’aujourd’hui, sous la forme d’immenses affiches dans les rues par exemple. Depuis quelque temps, le régime apprend l’importance d’Internet, il a compris comment s’en servir.

Exposition à la Academie Gallery à Utrecht

Quel rôle joue Internet dans la révolution en Syrie ?

Une grande partie de la révolution se passe sur les réseaux sociaux. Les deux côtés – pro-Assad et opposition – essayent de diffuser leurs images via les réseaux sociaux parce que c’est accessible, peu coûteux et qu’il est facile de toucher l’opinion publique. Pour ce qui est des opposants en particulier, étant donné qu’il n’ont pas de liberté d’expression ils ont l’habitude d’utiliser des métaphores pour exprimer de quel côté ils sont.

Avez-vous remarqué une évolution significative de ce qui se passe sur les réseaux sociaux – Facebook en particulier – depuis le début du soulèvement en Syrie en février dernier ?

Oui. Au début du soulèvement, le peuple était plus uni. Beaucoup de gens ont par exemple utilisé le drapeau syrien comme photo de profil. Mais ensuite, les choses ont commencé à mal se passer et des gens ont commencé à mourir, c’était un choc énorme pour beaucoup que Bachar al-Assad soit si violent, personne n’aurait pensé qu’il se comporterait ainsi. Les utilisateurs ont donc commencé à se diviser : une partie a utilisé un carré noir comme photo de profil, en signe de deuil et de tristesse et une autre partie a continué à soutenir Bachar al-Assad et à condamner les crimes des “terroristes”. On a donc vu énormément de portraits de héros coloniaux ressurgir, ceux qui ont libéré la Syrie de l’occupation française. Personne ne connaissait ces personnages historiques avant mais les utilisateurs ont utilisé leur image massivement. Ensuite, l’une et l’autre partie ont commencé à créer leurs propres images, et la guerre des visuels a commencé.

Facebook n’a pas été bloqué en Syrie avec le début des manifestations ?

Non, au contraire. Facebook était interdit depuis 2008 en Syrie mais après la révolution en Egypte et la chute d’Hosni Moubarak, le gouvernement a ouvert Facebook. Les gens étaient un peu perdus, certains se sont dit que c’était une façon de montrer que le gouvernement était prêt à s’engager dans un processus plus démocratique, d’autres étaient plus sceptiques et ils avaient raison parce que le régime a utilisé le réseau social pour espionner sa population et contrôler les activités des certains utilisateurs, ce qui a conduit à des arrestations. Facebook a également commencé à être infiltré par des espions pour se rapprocher de membres de l’opposition : connaître leurs projets, d’où proviennent leurs financements. C’est ça qui est très dangereux, les espions peuvent êtres n’importe qui et c’est pour cela qu’il n’est pas sûr d’utiliser Facebook.

C’est-à-dire ?

Par exemple, peu après avoir ouvert un compte, j’ai reçu des messages de menace me disant de le fermer ou quelque chose allait m’arriver. Il faut savoir se servir de Facebook et se construire des “cercles de confiance” : si vous avez confiance en quelqu’un vous allez l’ajouter et c’est comme ça que votre cercle grandi, mais plus il grandi plus il y de risques qu’il soit infiltré. Quand vous apprenez qu’il y a eu une série d’arrestations en un laps de temps très court et que le coup de filet concerne essentiellement des membres de votre cercle, cela veut dire qu’il y a une fuite quelque part, une taupe. Il faut donc reconstruire votre cercle de confiance.

Image de propagande du régime syrien

Que vouliez-vous faire avec les images de propagande que vous aviez repéré sur Internet ?

Ce qui nous intéresse c’est la façon dont les visuels sont utilisés : pourquoi telle ou telle image, est-ce que ceux qui l’exploitent connaissent sa signification historique et symbolique ? Parce que ces images montrent comment le régime est perçu. Cette famille possède le pays en réalité, Bachar al-Assad n’est pas juste un président, ça va plus loin, il est vraiment vu comme un messie, c’est incroyable. Certains groupes sont complètement endoctrinés, ils pensent que les victimes méritent leur sort, ils appellent même à tuer plus de gens. C’est allé très loin…

En quoi consiste votre travail ?

Nous avons commencé par rassembler toutes les images vues sur Facebook qui nous paraissaient intéressantes. L’armée électronique produit énormément et certains visuels ont peu d’intérêt, nous n’avons sélectionné que des images susceptibles de raconter une histoire. On a ensuite cherché l’original de chaque visuel, ce qui a été très facile avec Google : on peut trouver la source et la première utilisation. Et nous avons trouvé des choses très intéressantes. Par exemple, un visuel utilisé pour soutenir l’armée syrienne, pour la faire apparaître comme la protectrice de la population et non un comme assassin a été créé. Le message véhiculé est : l’armée syrienne nous protège des complots et de l’Occident. Dessus, vous pouvez voir Bachar al-Assad souriant, derrière des soldats. Nos recherches nous ont appris que cette image provient directement du site Internet de l’armée américaine. Les soldats sur la photo sont en fait des Américains. Et elle appartient au ministère de défense américain ! C’est amusant de voir qu’une image créée par “l’ennemi” peut-être utilisée pour faire la propagande de son propre camp. C’est peut-être une coïncidence, mais c’est aussi une erreur. Ces deux images – l’originale et la détournée – nous montrent à quel point un visuel peut-être facilement complètement vidé de son sens. Des images de jeux vidéos, de dessins animés ont également été utilisées. Le lion de Narnia a pas mal été exploité.

Image de propagande du régime syrien

Comment a-t-il été utilisé ?

Assad veut dire Lion en arabe, c’est donc assez logique que cette image ait été utilisée même si du temps de son père, il était interdit de l’associer à un animal, c’était considéré comme irrespectueux. Mais maintenant cette vision a évolué parce que cet animal a été beaucoup représenté dans les films de Walt Disney ou dans les médias comme le roi de la forêt, le roi d’un lieu magique. Dans Narnia, le lion est carrément une sorte de Jésus qui s’offre a son peuple, le Roi Lion est aussi l’histoire d’un père lion qui apprend à son fils à devenir un leader, ces symboles sont exploités.

Le “Monde de Narnia” est connu en Syrie ?

Je crois que ça a eu beaucoup de succès, mais tout le monde ne connaît pas. L’image en question a été réalisée par des habitants de Damas mais les gens qui habitent les villages ne voient pas la référence au personnage du Monde de Narnia.

L’image de Jésus a également été utilisée pour plusieurs posters…

Depuis quelque temps, le régime s’adresse particulièrement aux minorités. Une image de propagande vise notamment les chrétiens : elle représente Jésus et Bachar al-Assad dans le même cadre et affiche la phrase suivante : “Jésus vous protège” ou “Jésus est à vos côtés”, et on voit que le poster essaye de faire peur aux chrétiens. Il y a énormément de minorités en Syrie, elles croient le discours du régime qui dit que le pays deviendra islamique si Bachar n’était plus là et ils se feraient tuer. Ce que fait le régime c’est qu’il vise chaque groupe et leur dit : “je suis avec vous, si je n’étais pas là vous mourrez, il y aurait une guerre civile, vous avez besoin de moi.” Il utilise donc des images de Dieu dans le ciel, des animaux comme l’aigle américain.

Quelle est l’histoire de celle ou le président syrien est un soldat en armure ?

Cette image est tirée d’un jeu vidéo – Knight Davion – elle a eu beaucoup de succès. Ce qui est intéressant ici c’est que le chevalier représenté n’est même pas un chevalier arabe ! Il s’agit d’un chevalier occidental qui se bat contre des pays occidentaux et il tient le drapeau du pays comme s’il était son gardien, comme s’il lui appartenait.

Image de propagande du régime syrien

Ces images ont-elles un réel impact sur la population ?

Oui. D’un point de vu occidental elles peuvent paraître un peu ridicules parce que vous faites des associations, vous savez d’où elles viennent et en plus elles sont vides de tout message politique sérieux. Mais en Syrie, elles ont un impact, sinon elles n’existeraient pas.

Qu’est-ce qu’on peut dire de celle de Bachar al-Assad qui fait un bras de fer avec Satan représenté en oncle Sam ?

Ici, la situation décrite est très claire : Bachar est le bien et les manifestants ont pactisé avec le diable. C’est drôle d’ailleurs parce que l’on s’est rendu compte que les deux images qui représentent des manifestants en-dessous – pro-Assad d’un côté et opposition de l’autre – sont en fait une seule et même image, il s’agit des mêmes manifestants pro-Assad. Les créateurs de l’image l’ont juste photoshopé un petit peu pour les faire ressembler à des opposants ! L’armée électronique va vraiment très loin, tout ce qu’elle veut se sont des symboles, peu importe si les images sont vraies ou fausses, ils créent vraiment une nouvelle histoire en utilisant des images existantes. La stratégie de départ était de défendre le régime, maintenant on ne distingue plus le vrai du faux, ils créent une nouvelle réalité et ça fonctionne.


Photographies : merci à http://foundland.org/

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Une force syrienne libérée http://owni.fr/2012/02/20/une-force-syrienne-liberee/ http://owni.fr/2012/02/20/une-force-syrienne-liberee/#comments Mon, 20 Feb 2012 00:32:20 +0000 Hédi Aouidj http://owni.fr/?p=99114

Le capitaine Amar Abdallah Ouawi en février 2011, Syrie. Cc Hédi Aouidj pour Owni

Plusieurs contacts avec les membres de l’Armée syrienne libre (Jaish al Hor en arabe) regroupés en Turquie nous ont permis de confirmer son rôle au sein du commandement du mouvement militaire. La semaine dernière, après plusieurs rendez-vous manqués, il se présente finalement en début de soirée. Une voiture s’arrête brutalement, nous sommes invités à monter. Ils sont trois, un chauffeur et un garde du corps – son neveu – les yeux aux aguets. Ils nous amènent dans un lieu sûr. Nous sentons un homme épuisé, mais d’une détermination sans faille. Tout dans son attitude et son regard indique le militaire de carrière. Il accepte de parler à visage découvert.

Qui êtes-vous ?

Je suis le capitaine parachutiste Amar Abdallah Ouawi. J’étais membre d’une unité de forces spéciales chargé des reconnaissances. J’ai passé 13 ans dans l’armée. Je viens des alentours de Hama [centre Ouest de la Syrie, NDLR].

Pourquoi avez-vous fait défection ?

Parce que l’armée tuait les gens. Quand nous rentrons dans l’armée nous faisons le serment de protéger le peuple et la patrie, pas de recourir à la violence contre elle.

Comment avez-vous fait défection ?

J’étais basé à Deraa, pas loin de la frontière israélienne, c’est là que doit être l’armée, pour protéger les frontières. J’ai pris normalement mon service, j’ai ensuite loué une voiture, je suis passé prendre ma femme et ma fille, je me suis ensuite rendu directement dans le Djebel Zaouia. J’ai ensuite appelé ma famille pour lui dire que j’avais fait défection. J’ai une fille qui est née il y a 2 mois dans le Jebel, alors que nous étions encerclés par les Mukhabarat [Les services de sécurité syriens, NDLR]. Ils ont arrêté mes deux beaux-frères. Un est détenu par les renseignements militaires, l’autre à la mairie d’Alep.

Quelle est la situation militaire ?

Les forces armées syriennes sont à bout. Elles sont doucement en train de s‘effondrer. La plupart des soldats n’ont plus le moral. Le corps des officiers a peur. De nombreux soldats font défection, entre 50 et 100 par jour. Ils sont généralement aidés par la population.

De quel armement disposez-vous ?

Nous n’avons que des kalachnikovs et quelques RPG [Lance-roquettes, NDLR].

Quelle est votre réaction à la dernière initiative de la ligue arabe et de la communauté internationale ?

L’Algérie, l’Irak et le Soudan nous ont déçus, le Hezbollah aussi. Les pays arabes ont peur de l’Iran. Ils pensent que l’armée est capable d’écraser la révolution. Nous sommes heureux en revanche des initiatives de la France, de la Grande-Bretagne et des Européens qui veulent mettre en place un groupe des amis de la Syrie. Nous attendons de ces derniers une aide humanitaire et militaire, nous avons besoin d’armes. En revanche, je veux qu’ils sachent que les élections en France et aux États-Unis tuent des gens en Syrie, par l’inaction qu’elles entraînent. Je veux remercier la Turquie qui a été le premier pays à recevoir des réfugiés et à les aider. Nous n’avons cependant reçu qu’une aide humanitaire de sa part. Le régime syrien est directement soutenu sur le terrain par le corps des gardiens de la révolution iranienne. Ils ont des snipers entraînés qui tuent les troupes qui ne tirent pas sur la population. Il y a aussi des officiers russes dans les états-majors, notamment le colonel Blafoks, chargés des importations d’armes russes en Syrie.

Vous sentez-vous en sécurité en Turquie ?

Je ne me sens en sécurité que dans les camps, le régime de Damas a des yeux partout. Il y a beaucoup de ressortissants alaouites [membre de la communauté religieuse des Alaouites, à laquelle appartient le président Bachar al-Assad, NDLR] dans cette région.

Que va-t-il se passer après la révolution ?

Tous ceux qui ont du sang sur les mains, même les docteurs, seront jugés et punis selon la loi.

En Syrie, la violence continue. (CC) Ssoosay/Flickr

Que s’est-il passé à Alep le 17 février dernier ?

Je suis responsable de la cellule d’Alep, je sais très bien ce qui s’est passé. Tirant les leçons du massacre d’Homs, cette fois-ci, l’armée a pris les cartes d’identités des gens qu’elle avait tués et a mis les cadavres devant un bâtiment. La bombe a explosé à 9 heures du matin pour couvrir ce massacre. Et également servir d’excuse pour faire entrer l’armée à Alep. Le bâtiment visé est un centre de renseignement dont les effectifs sont de 2500 personnes, à cette heure il y a même sur place une réunion quotidienne. Il y aurait dû avoir au moins 300 morts. La sentinelle n’a même pas été tuée. La télévision était sur place tout de suite et 30 minutes après et toutes les preuves ont été nettoyées. Ce sont des tueurs. Ce sont eux qui ont tué Hariri, ce sont eux qui ont tué Ghazi Kahan (ancien responsable des services syriens au Liban pendant l’occupation syrienne au pays du Levant).

Qu’en est-il du général médecin Issa Al Khouli, un serviteur du régime, tué à Damas lors d’une opération menée par trois hommes – et que certains attribuent à des réseaux islamistes présents en Syrie ?

Toutes les personnes qui sont contre la révolution sont des cibles légitimes, je ne dis pas que nous sommes responsables de cette action.

Quelles sont les relations entre l’Armée libre et le Conseil national syrien ?

Nous sommes deux entités nées de la révolution. Nous ne sommes pas d’accord, il n’y a pas de support financier. Nous ne sommes pas coordonnés, nous nous voyons, c’est tout. Ceci est mon opinion personnelle et non celle de l’Armée libre syrienne. Cela divise inutilement la résistance.

Que va-t-il se passer dans les semaines à venir ?

L’armée syrienne va utiliser des avions, des hélicoptères. Ils vont faire usage d’armes chimiques qu’ils ont achetées aux Russes. Il va y avoir un massacre terrible. Ils ont attaqué le camp palestinien Al Rum, à Lattaquié avec des canons de marine, c’est un avant-goût. Nous avons réussi à en abattre (des hélicoptères) à Idlib, Rastan et dans le Djebel Zaouia, autour de Jisr Al Chourour.

Ce que vous dites est terrible…

J’espère que le support européen va arriver. Regardez ce qui s’est passé en Bosnie. Ce régime est comme les Serbes qui tuaient des Bosniaques. Maintenant ils tuent des sunnites à Homs.

Craignez-vous des infiltrations du régime ?

En décembre deux Iraniens se sont présentés à nous prétendant travailler pour Al Jazeera en anglais. Ils sont allés dans la Djebel Zaouia, ils ont été reçus par les gens. Ils ont pu tout voir. Deux jours après, c’était le massacre de Kafr Owayid.

Quels sont vos modèles dans l’histoire ?

La révolution française, j’espère que les prisons de Sednaya et de Palmyre seront nos Bastilles. Nous nous sommes appelés l’Armée syrienne libre en référence aux Forces françaises libres de la seconde guerre mondiale.


Photo de Hédi Aouidj (CC) pour Owni. Édité par Ophelia Noor. Illustration par Ssosay (CC-BY)

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