OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le marketing déclare sa Flame http://owni.fr/2012/06/04/le-marketing-declare-sa-flame/ http://owni.fr/2012/06/04/le-marketing-declare-sa-flame/#comments Mon, 04 Jun 2012 15:05:23 +0000 Adrien Gévaudan http://owni.fr/?p=112280

Complexité jugée sans pareille, nom flamboyant, attaques ciblées contre certains intérêts gouvernementaux, Flame a tout d’une cyberarme nouvelle génération. Mais à y regarder de plus près, Flame pourrait ne pas être aussi révolutionnaire que certains médias et entreprises voudraient bien le laisser entendre.

L’alerte a été donnée par Kaspersky, un éditeur d’antivirus à la réputation extrêmement solide. Flame serait le logiciel malveillant le plus complexe découvert à ce jour. L’éditeur affirme :

Sa taille est importante, et il est incroyablement sophistiqué. Il redéfinit jusqu’à la notion même de cyberguerre et de cyberespionnage.

Ses caractéristiques si exceptionnelles… ne le sont cependant pas tant que ça. Flame est un cheval de Troie, à savoir un logiciel permettant à un attaquant de contrôler un système à l’insu de son utilisateur légitime via l’exécution d’un code malveillant. Quelles sont les fonctionnalités de Flame, selon Kaspersky ? Tout de ce qu’il y a de plus commun pour un malware que l’on trouve habituellement dans les milieux cybercriminels.

Dissection d’une nouvelle cyberarme

Dissection d’une nouvelle cyberarme

En 2010, la découverte de Stuxnet changeait la donne en matière de cyberarme. Son perfectionnement dépassait les attentes. ...

A savoir : la lecture, écriture et suppression de données ; l’exécution de binaires ; la possibilité de prendre des captures d’écran ; l’enregistrement des frappes de clavier (keylogging) et la récupération et l’envoi de fichiers. D’autres fonctionnalités sont un peu plus recherchées telles que l’enregistrement de données audio (si microphone présent) ou la possibilité d’utiliser le bluetooth et le trafic réseau pour récupérer certaines informations sur l’environnement dans lequel est présent l’ordinateur infecté.

Des fonctionnalités, surprenantes et inquiétantes pour un utilisateur lambda, en réalité extrêmement répandues depuis plus d’une dizaine d’années. A titre d’exemple, le troyen Poison Ivy, dont la première version date de 2005 et qui est toujours librement accessible sur Internet, offre la plupart des fonctionnalités de Flame, décrites par Kaspersky comme constitutives de son originalité ; et bien d’autres encore.

A nos yeux, la seule originalité de Flame, outre l’utilisation du Lua [Un langage de script, NDLR] restreinte à une micro partie du corps du programme, concerne sa capacité à utiliser le Bluetooth, bien qu’il ne soit fait mention nulle part de la possibilité de se répandre via ce protocole. Même ce qui est présenté par Kaspersky comme la grande spécificité de Flame, à savoir son fonctionnement en modules, n’est pas novatrice.

De très vieux troyens comme MiniMo, NuclearRAT, et bien sûr Poison Ivy fonctionnaient déjà à partir d’un module principal d’infection auquel il était possible, une fois l’accès au système effectif, d’ajouter différents plug-ins selon l’utilisation que l’attaquant souhaitait faire de celui-ci (scanner distant, attaques DDoS, enregistrement de webcam, keylogging, etc.)… Flame, un pétard mouillé ?

Dans un article publié sur le site Atlantico, l’expert en sécurité informatique Eric Filiol dénonce le comportement de Kaspersky, et des éditeurs d’antivirus en général, coupables à ses yeux de grossir certaines menaces dans le seul but de faire gonfler leur chiffre d’affaires.

En soi, cette thèse est recevable, et d’autant plus d’actualité que les antivirus ont la très mauvaise habitude de ne pas mettre à disposition les sources de leurs analyses. Cependant, trop occupé à éviter d’avaler la couleuvre de ce très bel exemple d’utilisation marketing de la peur, M. Filiol tombe dans l’excès inverse, celui de la sous-estimation d’une menace peut-être réelle. Les fonctionnalités de Flame que présente Kaspersky ne sont pas nouvelles, et l’éditeur d’antivirus instrumentalise manifestement à son profit la faible connaissance qu’a l’utilisateur lambda de ce qui le menace sur Internet.

Vieilles recettes

Que les fonctionnalités supposées de Flame soient classiques ne remet pas en question leur efficacité ; les États utilisent des espions depuis la nuit des temps. Ce même schéma se retrouve dans le domaine du cyber-espionnage, des recettes identiques sont utilisées depuis des années (emails piégés, récole d’information, pivot etc.) sans qu’il y ait de véritable révolution. La société de sécurité RSA avait été piratée en 2011 à l’aide de Poison Ivy, un RAT disponible sur Internet depuis plus d’une demi-décennie.

Par ailleurs, nombreux ont été les experts informatiques à se gausser de la menace Flame en raison de sa taille importante (environ 20 Mo, tous plug-ins compris) ; même les plus vieux troyens généraient des modules d’infection de quelques centaines de kilo-octets maximum, certains se contentant même avoisiner quelques Ko. Les développeurs de Flame seraient-il donc des “amateurs” ?

Pas nécessairement. Tout d’abord, car rien n’est dit de la possibilité – très probable – que Flame dispose, si ce n’est à la base, au moins d’un module rootkit. Les rootkits ont la particularité de pouvoir cacher à peu près tout ce qui se trouve sur un système, des fichiers/dossiers aux processus, clés de registre et même le trafic passant par certains ports, qui pourrait indiquer à un observateur avisé que l’ordinateur se comporte d’une façon étrange. Or, si Flame est si complexe, et si, comme Kaspersky en fait mention, il a été capable d’infecter des systèmes Windows 7 entièrement patchés, il est très probable qu’il embarque des fonctionnalités de type Rootkit ou d’élévation de privilèges non-connues publiquement. De plus, comme le dit très justement Félix Aimé, expert en sécurité de l’information [Également auteur sur Intel Strat, NDLR] :

Qui donc vérifie la taille des fichiers sur son disque dur pour en déduire la présence de virus ? La taille d’un virus n’a jamais été un indice de poids dans sa détection, c’est un mythe.

[Vidéo] Stuxnet en trois minutes chrono

[Vidéo] Stuxnet en trois minutes chrono

Qui a tout compris à Stuxnet? Pour ceux qui ont encore besoin d'explications, une petite vidéo en motion design devrait ...

Enfin, le dernier argument des experts sceptiques sur le cas Flame concerne la soi-disante violation d’un principe de base : “un code, une cible”. Bien évidemment, la réussite d’une attaque dépend de sa planification et des informations qu’il a été possible de recueillir sur le système-cible. Mais il est faux de penser qu’un attaquant va coder de A à Z un programme unique, exclusivement adapté à une cible. S’il est vrai qu’un code malveillant se doit d’être adapté aux spécificités du système qu’il vise, un attaquant se contente généralement de moduler un code déjà existant.

Coder à usage unique n’est pas une pratique réaliste et encore moins financièrement viable. En fait, la structure en modules de Flame serait plutôt un argument appuyant sa dangerosité ; peut-être même certains modules ont-ils été codés, à la base, pour une cible en particulier, et ont-ils été au fur et à mesure intégrés au fonctionnement global du malware.

Flame ne rédéfinit pas la notion de cyberguerre, comme cela avait été pompeusement annoncé. La menace, en admettant qu’elle soit réelle, n’en est pas pour autant dangereuse pour l’internaute lambda ; il est ici question d’un cheval de Troie, à la diffusion localisée, et qui ne cible que des systèmes appartenant à des personnalités stratégiques. Cependant, la multiplication de malwares si complexes qu’ils peuvent être considérés comme de véritables cyberarmes confirme bien que les États investissent de plus en plus le cyberespace. Et prennent la mesure de son importance stratégique.


Article initialement publié sur Intelligence-Strategique.eu sous le titre : “Stuxnet, Duqu, et maintenant Flame : course aux cyberarmes ou coup marketing ?”
Capture d’écran video Stuxnet

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Dissection d’une nouvelle cyberarme http://owni.fr/2011/11/30/stuxnet-duqu-iran-cyberarme/ http://owni.fr/2011/11/30/stuxnet-duqu-iran-cyberarme/#comments Wed, 30 Nov 2011 07:34:06 +0000 Félix Aimé http://owni.fr/?p=88608

Ces deux dernières années, deux malwares se sont illustrés dans le cyberespace par leur complexité, mais aussi par leur utilité stratégique. Stuxnet et Duqu visaient tous deux le programme nucléaire iranien. Que peut-on savoir d’eux dans un cyberespace où l’anonymat, le secret défense et l’absence de frontières règnent en maître ? Essai d’analyse.

Plus d’un an après la découverte de Stuxnet, un autre logiciel malveillant fait son apparition dans le cyberespace. Dénommé par les occidentaux “Duqu”, en raison des fichiers qu’il laissait sur les systèmes infectés, ce Remote Administration Tool (RAT) a été recensé dans plusieurs pays, principalement l’Iran. Contrairement à Stuxnet, Duqu était cette fois-ci dédié à une campagne d’espionnage, envoyant vers des serveurs distants des informations extraites à partir des ordinateurs infectés. Il n’avait pas de mode de propagation autonome en tant que tel, mais était déployé sur les ordinateurs grâce à une charge utile contenue dans un document Word envoyé par mail aux acteurs ciblés.

Vulnérabilité non connue

Sa méthode de déploiement était triviale, mais son code diffère des autres trojans habituellement rencontrés dans ce type de campagne d’espionnage. Tout comme Stuxnet, ce dernier utilisait une vulnérabilité non connue propre à Windows (CVE-2011-3402) permettant d’élever ses privilèges pour ensuite se rendre persistant sur le système ciblé ; et donc silencieux auprès des possibles antivirus installés sur la machine. Une autre particularité était frappante chez Duqu : il utilisait des certificats (chose non commune pour ce genre d’attaques) et deux clés de chiffrement identiques au célèbre Stuxnet (0xAE790509 et 0xAE1979DD). Mais les similitudes ne s’arrêtent pas là. Une simple comparaison des deux codes sources à l’aide du logiciel BinDiff révèle d’étranges correspondances entre les deux logiciels malveillants :

Comparaison d’un extrait du code entre Stuxnet et Duqu, laissant penser que les deux sont l’oeuvre d’un seul et même groupe

Duqu a été repéré la première fois en octobre 2011 par un laboratoire hongrois de sécurité informatique dénommé Crysys. Nous ne savons pas d’où vient l’exemplaire qu’ils ont eu entre les mains. L’existence de Duqu serait antérieure à octobre 2011. En effet, en début d’année, l’Iran se disait, par l’intermédiaire de son agence de presse nationale, victime d’un malware appelé “Stars”. Cela devient intéressant quand on est au courant que Duqu utilise une image représentant deux galaxies comme vecteur de communication entre les ordinateurs infectés et les serveurs de contrôle… Duqu serait-il donc le malware Stars ? Cette hypothèse est plus que probable.

Mais alors, depuis combien de temps Duqu est présent dans les réseaux informatiques iraniens ? Personne ne le sait vraiment. La politique en la matière, que ce soit en Iran, en France ou dans d’autres pays, est de disséminer le moins d’informations possibles concernant une attaque. Ainsi, après la découverte tardive du malware Stars, l’Iran a préféré garder le malware bien au chaud dans ses laboratoires de recherche afin d’en étudier la complexité et prévoir une désinfection de son parc informatique gouvernemental. Il pourrait alors faire partie d’une attaque antérieure à Stuxnet ou parallèle à ce dernier, même si sa découverte officielle demeure récente.

Stuxnet, la première cyberarme

Juin 2010, un nouveau ver pour Windows fait son apparition dans les laboratoires de recherche de la société biélorusse VirusBlokAda spécialisée en sécurité informatique. Utilisant quatre failles non connues de Windows et profitant d’une mauvaise configuration dans le système de gestion (PLC) Siemens des centrifugeuses, ce ver, dénommé rapidement Stuxnet, allait devenir aux yeux des experts du monde entier la première cyberarme, car sans doute réalisée uniquement dans le but de détruire ou paralyser tout ou partie du système industriel d’un pays.

Outre les multiples craintes qu’ont fait naître Stuxnet, ce logiciel malveillant avait une cible précise : les centrifugeuses permettant la réalisation d’un uranium hautement enrichi, et donc à visées militaires. Ce n’est qu’à la rentrée 2010 que l’Iran, pris dans la tourmente médiatique, a du avouer son impuissance concernant l’attaque dont il a fait l’objet, ayant selon certains experts, reculé de cinq ans le programme de la bombe iranienne. Stuxnet était bel et bien une arme, composée comme telle, avec un système de propulsion : des vulnérabilités permettant sa diffusion dans les réseaux informatiques, mais également une charge utile, c’est à dire un code d’exploitation permettant de saboter le système de contrôle (PLC) des centrifugeuses d’enrichissement.

Le petit monde des experts en sécurité n’avait jamais rien vu de tel, quatre vulnérabilités non connues affectant uniquement le système Windows présentes dans un seul et même ver informatique. Ce dernier utilisait de plus des certificats permettant de signer son code source devenant à terme un logiciel légitime aux yeux du système ciblé. Cela devenait une évidence pour tous, du fait de son ingéniosité et de ces nombreux codes d’exploitation embarqués, Stuxnet était l’œuvre d’un État, indéniablement en possession de capacités avancées en Lutte Informatique Offensive (LIO).

L’Iran en ligne de mire

Un faible nombre de pays est actuellement en mesure de déployer des projets de LIO et de réaliser des programmes informatiques malveillants d’une grande complexité (les attaques dites “chinoises” (APT) utilisant le plus souvent des versions modifiées de programmes connus du grand public, telles que le célèbre Poison Ivy). Ainsi, on retrouve principalement sur le banc des suspects liés à Duqu deux pays ayant fait parler d’eux avec l’affaire Stuxnet, les États-Unis et Israël, ayant tous deux des programmes de LIO développés.

Il est plus que probable que ces attaques soient le fruit des mêmes auteurs, le tout avec une coopération forte entre des services secrets de différents pays, alimentant le renseignement sur les cibles. Toutefois, rien ne fait pencher la balance en faveur d’un pays particulier, même si certaines pistes, présentes dans le code peuvent laisser présager une implication réelle d’Israël. Cette piste demeure à prendre avec des pincettes, cependant. En effet, dans le cyberespace il est toujours possible de mener des attaques informatiques lançant de fausses pistes, inscrites dans le code même du logiciel malveillant (compilation avec une version chinoise de compilateur, par exemple) ou dans la prétendue origine d’une attaque. A ce jour, connaître les auteurs de ces attaques s’avère impossible car le secret défense est de mise, tant chez l’attaquant que chez la cible. Cependant, des fuites d’informations ou des attaques à venir pourraient nous permettre d’y voir plus clair.

Les deux cyberarmes, Duqu et Stuxnet ont étonné une grande partie des chercheurs dans ce domaine. Au-delà de la simple question de la complexité de la réalisation de ces cyberarmes, l’existence même des deux malwares pose la question de la difficulté d’attribution des attaques dans le cyberespace.


Article initialement publié sur Intelligence-Strategique.eu sous le titre : “Duqu, Stuxnet : deux cyber-armes, un maître d’oeuvre ?

Photos et illustrations via les galeries Flickr de Julia Manzerova [cc-byncsa] ; Campra [cc-byncnd] ; Dynamosquito [cc-bysa] ;

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