OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Mais où est passée la culture européenne? http://owni.fr/2011/02/22/mais-ou-est-passee-la-culture-europeenne/ http://owni.fr/2011/02/22/mais-ou-est-passee-la-culture-europeenne/#comments Tue, 22 Feb 2011 16:16:00 +0000 Réjane Ereau (MyEurop) http://owni.fr/?p=47955 Frédéric Martel n’est pas un sociologue de salon, de ceux qui refont le monde dans le cadre feutré d’un club select, sans jamais se frotter aux réalités. Pour son enquête, le chercheur et journaliste a écumé les capitales de l’entertainment, d’Hollywood à Bollywood, des studios qatari d’Al-Jazeera au siège mexicain de Televisa, en passant par l’Afrique subsaharienne, la Chine, la Corée, le Brésil, l’Egypte… Et bon nombre de pays européens.

Pendant longtemps, la culture produite et l’information diffusée par l’Europe bénéficiaient d’une influence considérable, observe-t-il. Aujourd’hui, dans les échanges culturels internationaux, le Vieux Continent rencontre de nombreux concurrents. Il ne sombre pas, mais se trouve confronté à une compétition accrue, liée au succès des contenus américains et à l’émergence de nouveaux pays exportateurs de culture et d’info.

De fait, depuis une dizaine d’années, les exportations européennes de films, de programmes télé et de musique reculent au rythme de 10% par an. L’inverse des Etats-Unis, qui progressent de 10% chaque année, au point de représenter actuellement 50% des exportations mondiales de contenu. L’Europe des 27, elle, arrive en deuxième position, avec un tiers des exportations… Et elle est le premier importateur mondial de contenu - les flux intra-européens restant toutefois supérieurs aux extra-européens.

Preuve d’une stagnation culturelle de l’Europe, faute de s’intéresser suffisamment aux cultures populaires et au marché de masse ?
Pas si schématique, répond Frédéric Martel, tout en notant la faiblesse des universités européennes qui n’assurent pas le travail d’expérimentation sur la culture et n’ont pas de liens avec les industries, le retard technologique et l’insuffisance de l’innovation, la méfiance répétée à l’égard d’Internet et du numérique, le départ vers les Etats-Unis des créateurs…

Voire un souci dans la définition même de la culture en Europe : “Historique et patrimoniale, élitiste souvent, anti-mainstream aussi, elle n’est peut-être pas en phase avec le temps de la mondialisation et de la culture numérique, ne correspond plus nécessairement au standard international en matière de flux de contenus.

La culture locale? Elle se va bien, merci.

Mais si elle n’est plus une culture de masse, l’Europe continue de fournir des produits de niche pour d’importants segments de marché, notamment nationaux.
A l’échelle du monde, comme au niveau européen, il est absolument faux de dire que les cultures locales, régionales et nationales sont fragilisées par la mondialisation“, rappelle Frédéric Martel.

En Amérique latine, la musique vit bien dans chaque pays ; en Asie, les “dramas” coréens, taïwanais ou japonais sont très aimés ; la littérature est souvent très nationale partout dans le monde ; quant au cinéma, il conserve une production un peu partout, parfois faible comme en Angleterre ou en Italie, mais parfois proche des 50 % du box office, comme en France ou en République Tchèque.

Ainsi, l’expansion de la culture américaine dans chaque pays européen s’est faite aux dépens des “autres” cultures, sans guère affaiblir celles nationales. “Chaque homme a désormais deux cultures : la sienne – singulière, nationale et locale – et la culture américaine. Il n’y a pas uniquement standardisation, mais à la fois renforcement du local et du global. On est en même temps plus français et davantage américanisé. Internet décuple ce phénomène : les produits culturels d’hier deviennent de plus en plus des services, des formats et des flux culturels – à la fois très spécifiques et très standardisés.

Si vous discutez avec de jeunes européens, chacun aura une bonne connaissance de la musique ou du cinéma national. Il vous parlera de produits de niche et de la culture de sa communauté, tout en étant très américanisé dans ses pratiques culturelles. Le seul problème, c’est qu’étant allemand, il ne s’intéressera pas à la culture italienne ; étant français, il sera indifférent à la culture tchèque.

Car faute d’unité linguistique, d’un marché intérieur cohérent et d’une croissance économique, l’Europe n’est pas un continent, mais une succession de marchés nationaux qui dialoguent peu entre eux culturellement : ”Grâce à une zone largement unifiée, avec 300 millions d’habitants et une langue commune, le marché intérieur américain est puissant ; cette masse critique existe aussi, pour une part, en Chine, en Inde, au Brésil, peut-être dans les pays arabes, mais ni en Europe, ni en Asie du Sud Est, ni en Amérique latine, compte tenu de la diversité des nations qui les composent“.

Abattre les cloisons culturelles intra-européennes et adopter une stratégie

Comment, dans ce contexte, parvenir à édifier une culture commune européenne ?

C’est extrêmement difficile, estime l’auteur de “Mainstream”. Comme on le dit en Pologne, il est facile, avec des poissons, de faire une soupe ; mais lorsqu’on a la soupe, il est beaucoup plus difficile de retrouver les poissons ! Nous en sommes là. On a des cultures nationales, mais plus de culture commune au niveau européen. Je parle ici, bien sûr, de culture de masse, d’entertainment, de culture des jeunes ; nous sommes mieux armés en ce qui concerne l’art contemporain, la danse moderne, le théâtre expérimental, la littérature d’avant-garde. Il y a bien des valeurs communes européennes. Mais dans l’industrie, nous sommes fragiles. On a pourtant des atouts, comme de grands groupes européens : Pearson, Bertelsmann, Prisa, Lagardère, Vivendi – mais ces groupes produisent du local et de l’américanisation. Avec le français Vivendi, nous avons le premier producteur de jeu-vidéo et la première major de la musique au monde : mais Universal fait surtout de la musique anglo-saxonne et Activision-Blizzard des jeux-vidéos américains. Avec l’allemand Bertelsmann, on a le premier éditeur de livres au monde, Random House : mais ils font surtout le Da Vinci Code et des best-sellers américains.

Une piste, parmi d’autres, pour avancer : prendre au sérieux la diversité culturelle européenne. “Pas tant sa défense dans les grandes instances internationales, comme l’Unesco et l’OMC, mais dans sa réalité concrète. Aider nos minorités à être plus visibles, à créer des œuvres différentes, singulières, originales. Casser le catéchisme culturel national et le contrôle culturel pour s’ouvrir. C’est en reconnaissant la culture des Français issus de l’immigration, par exemple, qu’on réussira à renouveler la culture française et à lui permettre de dialoguer en Europe et dans le monde. Cette valorisation réelle et pragmatique de la diversité sur le territoire européen devrait être une priorité, pour la revitaliser la culture du Vieux Continent, la sortir de son statisme.

Et pallier ainsi aussi au vieillissement de la population européenne, qui prive les industries créatives du moteur principal de l’entertainment : les jeunes. “La demande inépuisable de produits culturels de la part de la jeunesse indienne, brésilienne ou arabe (une large part de ces pays a moins de 25 ans) est un élément décisif du succès émergent de ces régions. C’est a contrario une des raisons de la stagnation du Japon“, précise Frédéric Martel.

Un rôle à jouer par les institutions européennes pour impulser des collaborations entre les industries culturelles des différents pays, et booster leur place sur les marchés ? Le chercheur n’y croit pas.

On ne lutte pas contre la puissance du marché de l’entertainment américain par les subventions de l’Union européenne ! On peut lutter par la régulation, mais surtout en bâtissant des industries fortes. Je crois plus à Orange, Vivendi et Canal + pour affronter les Américains, qu’en l’Etat. Mais les institutions nationales et européennes ont un rôle à jouer en encourageant, plutôt qu’en freinant les industries, les start-ups, l’innovation, et le développement d’Internet. Si ce livre permet de sensibiliser les Européens sur l’importance du soft power et les incite à se repositionner dans cette nouvelle donne internationale, il aura rempli un de ses offices !

Via par exemple, un rapprochement stratégique entre médias de différentes nationalités. “C’est une idée, mais pour l’instant, ça reste un vœu pieu. Il n’existe pas de grand média européen. Marginalement, il y a le Financial Times et The Economist, mais ils ne s’adressent qu’aux élites. Ni RFI, ni la BBC, ni aucune radio ne parle aux Européens. Arte a une audience faible en France et minuscule en Allemagne : on n’est déjà pas capable de parler de culture aux Français en même temps qu’aux Allemands !
D’autant qu’aujourd’hui, “nous avons plus de différences avec les Roumains, qu’avec les Américains, conclut Frédéric Martel. C’est bien cela le problème : nous sommes tous européens, mais l’identité européenne reste difficile à cerner. Quant à la culture européenne, elle se cherche encore.

Billet de Réjane Ereau, publié initialement sur MyEurop sous le titre Culture européenne, où es-tu?

Illustrations Flickr CC Chris Barton, Boyan et TMOF

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MyMajorCompany : la fin de l’histoire ? http://owni.fr/2010/11/24/mymajorcompany-la-fin-de-lhistoire/ http://owni.fr/2010/11/24/mymajorcompany-la-fin-de-lhistoire/#comments Wed, 24 Nov 2010 14:25:21 +0000 Romain Péchard http://owni.fr/?p=28295 Article écrit par Romain Péchard, associé de The Persuaders, cabinet conseil en stratégies web. Il a été publié sur le site Tech Crunch France. romain Péchard écrit également sur le site Weqli.com.

MyMajorCompany a fait rêver toute la sphère web lors de son lancement en décembre 2007. Après 3 ans d’existence, 32 artistes produits dont un devenu grand public (Grégoire) et un autre en passe de le devenir (Joyce Jonathan), il ne fait malheureusement plus rêver. Autoproclamé “label musical communautaire” sur le fondement qu’il permet à qui veut d’investir dans la production d’un artiste, ce label d’un genre nouveau lors de son lancement s’est rapidement rangé dans la liste des labels standard, seul le modèle économique étant légèrement différent.

Après avoir surfé sur la vague des Arctic Monkeys et autres groupes comme Ok Go ayant vu leur notoriété exploser grâce à MySpace ou Youtube, le modèle fondé sur la production communautaire semble prendre du plomb dans l’aile avec des résultats plus que médiocres… et voir arriver des concurrents qui pourraient bien enterrer pour de bon ce modèle.

Phénomène de mode. Jeu d’argent et rêve. Sans les fans.

Après avoir été un phénomène de mode, les labels communautaires ont pour la plupart fermé par incapacité à trouver un artiste capable de rapidement être grand public comme Grégoire, artiste signé chez MyMajorCompany. Mais aussi par incapacité à produire une véritable valeur ajoutée pour les visiteurs de ces sites qui se retrouvent bien souvent confrontés à des artistes très formatés. La promesse de produire de nouveaux artistes, et par “nouveau” entendez différents, n’est pas tenue. Joyce Jonathan et Grégoire sont de bons exemples du formatage musical.

Car ce modèle de label ne se repose pas sur la prise de risque mais l’investissement de particuliers qui espèrent bien gagner de l’argent après le lancement de stars, comme cela a pu être le cas avec l’artiste Grégoire. La direction artistique peut être faite en amont par une pré-sélection de l’entreprise, comme il fait chez MyMajorCompany, mais ce sont les investisseurs qui décident de produire tel ou tel artiste, sans connaissance artistique ni expertise du milieu musical. Ce qui fait qu’ils vont investir dans des artistes qui ressemblent à ce qu’ils aiment actuellement, empêchant alors cet artiste de sortir du lot car bloqué par la star du moment.

La faiblesse de ce modèle réside donc dans la notion du particulier qui prend le rôle d’expert et qui investit dans des artistes qui ressemblent à des artistes grand public. Mais ce qui est le plus dangereux pour MyMajorCompany est le fait que l’entreprise ne prend pas en compte la relation avec les fans et la force de ces derniers pour faire émerger de véritables révélations, le véritable moteur qui fait de Youtube le plus grand découvreur de talents au niveau mondial.

Pas une aide aux fans ou aux artistes mais une aide aux producteurs et maisons de disque.

Mais le véritable point qui a fait chuter les entreprises sur le modèle de MyMajorCompany, et qui en fera tomber d’autres dans des domaines différents, est la découverte du pot aux roses : ces sites soit-disant “communautaires” avec pour objectif d’aider les artistes ne sont que des sites permettant de réduire la prise de risque du label de production. En effet le label est payé quoiqu’il arrive, puis il prend la part du lion si l’artiste sort du lot, et éventuellement il reverse de une partie marginale de l’argent gagné sur la vente de CDs aux investisseurs.

Cette mécanique ne produit donc pas de résultat valable, sauf dans les rares cas où les directeurs artistiques des grandes maisons de disque ont raté un artiste qui passe alors sur ce réseau alternatif pour être subventionné par un label secondaire. Avant de reprendre l’ascenseur vers les grandes maisons de disque via l’accord entre MyMajorCompany et Warner Music. Un véritable circuit de récupération généré par l’industrie musicale et soutenu par des particuliers qui jouent au directeur artistique au lieu de jouer au boursicoteur.

Le modèle MyMajorCompany ne répond pas au besoin des artistes (trouver leur public) ou à celui des audiences (découvrir de nouveaux artistes) mais à celui des labels (faire baisser la prise de risque) et des maisons de disque (réintégrer rapidement les artistes oubliés dans le circuit traditionnel). Mais surtout il ne crée pas la valeur qui peut aider cette industrie à prendre avantage de l’Internet pour aller de l’avant.

L’avenir : Mass market vs Long Tail ?

La problématique de la production est une fausse problématique. Il est possible de produire son album à prix très réduit sans avoir recours à des services du type MyMajorCompany. L’enjeu pour les artistes n’est plus alors de produire, il est de se confronter, de se faire connaître et reconnaître par son public. Official.fm, startup suisse, semble aujourd’hui bien placé dans ce registre, bien que loin derrière les Youtube, Facebook et MySpace. Ce qui supprime irrémédiablement tout intérêt à MyMajorCompany.

Mais les véritables concurrents de MyMajorCompany ne sont pas ces mastodontes ou les startups qui tentent de percer dans les sites communautaires sur le thème de la musique. Ce sont les entreprises qui vont être capables d’aider les artistes à générer plus de revenus. Et dans ce domaine les startups comme BandCamp qui facilite la vente de produits dérivés, LiveStream ou Awdio qui permet de diffuser des événements en live sur Internet sont pour le moment bien placé pour devenir les partenaires à la fois des maisons de disque que des artistes en devenir.

Dans un modèle où la production n’est pas un souci, où la diffusion ne l’est plus non plus, tout se jouera sur la capacité des artistes et des maisons de disques à rester en contact avec son public et fournir du contenu fréquemment pour ne pas être oublié et remplacé par un autre. L’avenir ne sera pas un débat entre mass market et long tail mais reposera sur la capacité à produire des contenus inédits et nouveaux qui pourront être vendus aux fans.

Article initialement publié sur Tech Crunch France

Crédits photos : FlickR CC louisvolant; Steve Crane

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Une même science-fiction, plusieurs futurs http://owni.fr/2010/06/26/une-meme-science-fiction-plusieurs-futurs/ http://owni.fr/2010/06/26/une-meme-science-fiction-plusieurs-futurs/#comments Sat, 26 Jun 2010 17:10:05 +0000 Jean-Noël Lafargue http://owni.fr/?p=13472 Titre original:

L’herbe du voisin bleu du futur est toujours plus pourpre

L’article qui suit est un brouillon de brouillon, une étape, quelque chose de très mal fini, en vrac. Je le publie malgré tout car je peine sur ce texte depuis des semaines et je ressens un fort besoin de m’en débarrasser.

Je demande au lecteur de remplir les blancs de ma réflexion et de me lire avec indulgence ou même, de ne pas me lire du tout. Mon point de départ était de réagir au livre Mainstream, de Frédéric Martel, livre que je n’ai d’ailleurs pas lu, que je ne connais donc qu’en creux (critiques, interviews, et chapitre final que m’a fait parvenir un collaborateur de l’auteur), et qui me semble traiter de la mondialisation (au sens « américanisation ») et de l’industrialisation de la production et de la diffusion des biens culturels. Apparemment très documenté et soutenu par des centaines d’entretiens, cette somme d’origine universitaire est largement diffusée et semble remporter un vrai petit succès en librairie.

J’attendrai l’édition de poche pour lire cet essai, car mon petit doigt me dit que c’est un livre avec lequel je ne vais pas être d’accord, et je n’ai pas envie de dépenser vingt-deux euros juste pour le constater.

Le Monde Diplomatique et la culture manga

En 1996, Le Monde Diplomatique a publié un article complètement idiot sur les mangas. Tellement idiot que j’ai fait deux choses à l’époque : d’une part je me suis désabonné, de rage, et d’autre part, j’ai rédigé avec Nathalie une réponse à cet article et à la vision caricaturale de la bande dessinée japonaise qu’il véhiculait.

En déplorant que seule Ségolène Royal se soit insurgée contre les productions japonaises à la fin des années 1980 (1) l’auteur énonçait tous les poncifs que l’on entend à ce sujet depuis les débuts d’Albator et de Candy Candy à la télévision française : violence exacerbée, thèmes perturbants, dessin laid et mal proportionné, médiocre qualité de l’animation, etc. Son argumentation semblait par ailleurs soutenue par une nippophobie grossière et la conviction que les mangas étaient l’instrument d’un péril culturel et économique d’envergure : méchants japonais qui veulent nous imposer leur modèle de fourmilière à coup de dessins animés.

À l’époque, un tel article me semblait surtout indigne du niveau du journal, que je surestimais sans doute ou dont je surestimais la capacité à porter un regard critique sur des idées qui collaient d’une manière ou d’une autre avec sa ligne politique.

La réponse que nous avions rédigée contredisait l’article d’origine, paragraphe par paragraphe, sur notre page « Mygale » — c’est à dire notre tout premier site web. Notre motivation était avant tout de prouver que les mangas étaient d’une variété extraordinaire et qu’une critique générale n’avait pas plus de sens qu’il ne serait légitime de dire du mal des romans ou du cinéma « en général ». Mais nous ne nous étions pas arrêtés là, nous avions par ailleurs entrepris de défendre très précisément tout ce que critiquait l’auteur : la violence, les grands yeux, les thèmes perturbants, la qualité graphique, etc.

On m’a fait savoir plus tard que l’auteur de l’article, Pascal Lardellier (qui était alors jeune docteur en information/communication), avait été chagriné de se voir attaqué de cette façon, mais je n’en sais guère plus. Il faut dire qu’à l’époque, en saisissant son nom dans le moteur de recherche Altavista (le Google de l’époque), on était absolument certain de tomber sur mon site. Ceci dit il y avait en ces temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître mille fois moins d’abonnés à Internet qu’aujourd’hui, et les pages en question totalisaient à peine quelques dizaines de lecteurs chaque mois (un succès !).

Notre article a par la suite été publié sur d'autres supports, notamment dans "L'Indispensable", regretté magazine de critique et de théorie de la bande dessinée.

L’eau a coulé sous les ponts depuis et je suppose que pour n’importe qui l’article publié parLe Monde Diplomatique semblerait risible.

Les ventes de Naruto ou de Death Note n’ont rien à envier à celles des romans de Marc Lévy ou de Guillaume Musso, ce qui n’est évidemment pas un argument qualitatif mais provoque des manifestations de respect dans toute la presse ; Le festival Japan expo attire quand à lui près de 200 000 visiteurs sur seulement quatre jours ; le ministre Laurent Wauquiez (né en 1975) a un avis sur l’évolution de la série One Piece ; tout le monde sait que Hayao Miyazaki est un des plus grands auteurs de l’histoire du dessin animé et Arte lui consacre en ce moment même une rétrospective.

Bref, le ton a changé.

“Le droit de se servir d’une culture exotique”

À l’époque dont je parle un peu plus haut, j’étais facilement révolté par l’injustice que constituait le dénigrement d’une culture artistique aussi étendue que celle de la bande dessinée et de l’animation japonaises. Aujourd’hui je comprends que ce que je défendais recouvrait, sans que j’en ai précisément conscience, un enjeu beaucoup plus important que le droit aux goûts et aux couleurs.

Je défendais aussi le droit à se servir d’une culture exotique, de s’appuyer sur un ailleurs, une utopie, une réalité que l’on s’approprie sur une base fictionnelle. Personne ne deviendra jamais japonais en lisant des mangas, ni même en se passionnant pour la culture japonaise. Mais cet orientalisme du XXIe siècle est un moyen comme un autre pour se créer un « ailleurs », une évasion (2).

Je ne dispose pas de données sociologiques précises à ce sujet mais je pense pouvoir dire que mes étudiants en Arts plastiques de niveau Licence (3) à Paris 8 sont pour une grande part issus de familles modestes de la région parisienne et souvent nés du mauvais côté du boulevard périphérique, parfois même en Seine-saint-Denis (4).

Ont-ils un profil particulier qui fait qu’ils ont préféré dessiner dans leur coin au lycée, passer leur bac et atterrir en arts plastiques plutôt que de caillasser des autobus ? (5) Peut-être bien.

Quelques étudiants ou ex-étudiants à Paris 8. De gauche à droite : Gwendoline "Kaori" Duquenne réalise des petits strips dont le dessin n'est pas si "manga" mais qui utilisent avec naturel les codes expressifs du genre / Une princesse Kawai par Béatrice "Nalida" de Lorenzy / une case extraite d'une saga sur l'affrontement entre des clans du Japon médiéval par Zacharie "Natoleza" Boulayoune / Léna "Minnimay" Desfontaines, qui a représenté la France au World Cosplay Summit, ici vêtue en Sailor Jupiter

Je suis frappé par l’importance qu’a la culture japonaise (et de manière à présent nettement plus discrète, la culture « comic-book ») chez les étudiants de licence que j’ai à l’Université Paris 8. Au lieu de lire Tintin et Blake et Mortimer (mais pourquoi diable le feraient-ils, finalement ?), ces jeunes gens tirent du Japon ce qu’ils veulent. Certains se passionnent pour la langue, la calligraphie, l’histoire, l’esthétique graphique des mangas, le folklore traditionnel ou la science-fiction, mais aussi les codes sociaux, vestimentaires, et la tournure d’esprit telle qu’ils transparaissent dans les fictions qui arrivent jusqu’à nous : quand, comment et pourquoi exprimer sa joie, son embarras et sa colère, etc.

Les plus passionnés, ceux qui finiront par faire leur voyage au Japon (comme ma fille qui économise dans ce but depuis des années et qui a eu une bonne note en japonais au bac sans l’avoir étudié au lycée), ne sont pourtant pas dupes de leur rêverie. Ils savent parfaitement qu’on ne risque pas de devenir japonais si on a un physique de banlieusard « black-blanc-beur » (ou vietnamien, d’ailleurs) car si la culture japonaise est extrêmement ouverte aux influences, de par une volonté politique précise, elle n’en est pas moins notoirement bouffie d’orgueil nationaliste pour ne pas dire ingénument (mais poliment) raciste.

Mais pour des jeunes gens de la région parisienne, ça n’a aucune importance, ils ne veulent pas échanger une société contre une autre, ils prennent ce qu’ils veulent, rejettent ce qu’ils veulent, la transposition n’est ni littérale ni naïve.

Les Na’avis de Bil’in, Palestine

Les Na'avi de Bil’in, le 12 février 2010.

Autre cas.

À Bil’in en Cisjordanie, des Palestiniens manifestent pacifiquement chaque semaine contre la manière dont la barrière de séparation israélienne a amputé le village de soixante pour cent de ses terres cultivées. Des journalistes équipés de masques à gaz viennent régulièrement photographier ou filmer l’asphyxie des jeunes gens invariablement exposés à des grenades lacrymogènes et autres bombes assourdissantes. Les photogrammes que je reproduis ici (origine : YouTube) montrent les manifestants déguisés en Na’avis, les habitants de la planète Pandora dans le film Avatar.

Cette manifestation-là est particulière car elle célébrait une victoire partielle : un jugement de la Cour suprême d’Israël leur a en effet partiellement donné raison et a abouti à une modification du tracé du mur de séparation, permettant aux habitants de Bil’in de récupérer la moitié des terres qu’ils revendiquent.

Mais pourquoi Avatar, un film grand public américain ? Est-ce juste parce que ce film a eu tellement de spectateurs qu’il devient une référence mondiale qui « parle à tout le monde » ? Je n’en jurerais pas : beaucoup de gens ont vu Avatar, mais beaucoup aussi ne l’ont pas vu, et je doute que ce soit déjà une référence commune comme c’est le cas de Star Wars par exemple. Je fais le pari que ce qui a motivé cette manifestation, c’est tout simplement le propos d’Avatar.

C'est évidemment un hasard, mais le mix visuel entre les oreilles pointues, la peau de couleurs non humaine et le fichu traditionnel donnent à la manifestante de l'image de gauche un faux-air du personnage de Piccolo dans DragonBall.

On a beaucoup dit qu’Avatar, de James Cameron, se contentait de reprendre, en la transposant dans un futur cosmique chamarré, l’histoire de Pocahontas ou celle de La Forêt d’Emeraude, c’est à dire la rencontre entre un peuple aborigène et pacifique avec un autre peuple, dominateur et lâchement soutenu par une technologie meurtrière et mû par l’avidité.

Pourtant, il existe une différence énorme entre ces récits de peuples conquis et l’histoire des Na’avis. Les indigènes amazoniens qui étaient évoqués dans La Forêt d’Emeraude existent toujours un peu mais voient chaque jour leurs conditions d’existence se dégrader sous le coup de l’exploitation forestière et humaine. On ne les ménage (ou on aménage leurs conditions de vie) que par la même commisération qui pousse à laisser quelques hectares de forêt aux orang-outangs ou aux pandas.

Les indiens d’Amérique du nord ont quand à eux une longue histoire bien connue : Pocahontas, la vraie, est morte à Londres à vingt-cinq ans alors qu’elle était employée comme publicité pour la colonisation du nouveau monde. Après soixante-cinq « guerres indiennes » et les ravages d’épidémies (typhus, petite vérole, alcoolisme) parfois sciemment provoquées, il ne reste aux derniers représentants des tribus survivantes que des musées, un monopole sur l’artisanat traditionnel, des dédommagements financiers tardifs et pour toute consolation, le fait d’avoir laissé leurs noms à des rivières ou à des villes.

Voilà toute la différence entre les Na’avi et les amazoniens ou les amérindiens du nord : les indigènes véritables ont perdu leur guerre, leur destin est scellé, leur martyr est accompli.

En 1620, des indiens, apitoyés par le sort des pèlerins britanniques du Massachusetts qui mouraient de faim, leur offrent du gibier et leur apprennent à cultiver le maïs. Au lieu de les remercier, les colons remercient Dieu et se représentent sur des tableaux en train d'offrir à manger aux indigènes. Trois cent ans plus tard, le chef Apache Géronimo s'est rendu aux autorités américaines et a financé sa retraite de guerrier en vendant ses souvenirs personnels. La tribu des Patuxet, qui était venue au secours des pélerins de la colonie de Plymouth n'existe plus depuis longtemps.

Les Na’avi obtiennent une victoire sur la puissante armée américaine à la fin d’Avatar, mais ce qui est peut-être le plus attrayant dans leur cas, c’est que leur combat est un combat futur, car Avatar n’est pas une fable historique mais un film de science-fiction. Or le message intrinsèque de la science-fiction est que l’avenir est, comme son nom l’indique, à-venir, qu’il est ouvert (6).

Créer une analogie entre une situation et celles des protagonistes d’un lointain futur, c’est se projeter, c’est se donner un futur. Et peu importe que le film relève de l’impérialisme culturel américain, les palestiniens de Bil’in y prennent ce qu’ils ont envie d’y prendre.

Échapper à la représentation du monde actuel

On notera tout de même que le moyen-orient — en dehors d’Israël, justement — ne produit pas ou extrêmement peu de fictions spéculatives (de science-fiction), ce qui est une bonne raison d’aller puiser sa métaphore dans une fiction américaine.

Les rêves d’exotisme, de futurs hypothétiques, de désastres (Mad Max, etc., qui remettent à plat tout un monde) et parfois même de passé fantasmé (7) sont autant d’outils conceptuels qui permettent à chacun d’échapper à la représentation du monde actuel qu’on lui impose, et donc de refuser la place hiérarchique qu’on lui attribue dans ce monde.

En voyant par les yeux d’un auteur de mangas, on se libère autant de la doxa que construit le journal de 13 heures de TF1, que de la société japonaise qui a produit Dragonball ou Naruto et qui a évidemment aussi ses inconvénients. La science-fiction est encore plus intéressante puisque son caractère fictif est clair et assumé. Et peu importe que ça rapporte de l’argent à de gros studios américains : malgré leurs gesticulations légales, ces derniers ne parviendront jamais à maîtriser la manière dont on reçoit leurs productions.

Pour l'adaptation en film "live" de la série animée "Avatar The last airbender", les producteurs ont procédé à une spectaculaire inversion ethnique : les héros inuits ou chinois deviennent de jeunes wasps tandis que le "méchant" de l'histoire est à présent interprété par un acteur d'origine indienne, ce qui lui confère une physionomie moyen-orientale marquée. Son rôle semble par ailleurs avoir été réécrit pour en faire un personnage absolument négatif, loin de l'ambivalence qu'a son personnage dans la série d'origine.

Le monde se mondialise, mais ça ne signifie pas que des cultures « faibles » vont disparaître au profit d’une culture dominante, et surtout pas dans le registre des œuvres de l’esprit (inquiétons-nous plus pour les traditions culinaires !), où les échanges et les réappropriations sont une évidence.

Le public est d’ailleurs souvent moins bête qu’on le croit, comme le montre l’accueil très négatif qu’a reçu l’annonce de la distribution « blanchie » de Avatar The Last Airbender (rien à voir avec le Avatar de James Cameron). On est loin de l’époque où le public acceptait sans broncher Mickey Rooney en japonais, Fred Astaire, Anthony Quinn ou Christopher Lee en chinois et  John Wayne en empereur mongol. Bref, le public n’a pas de mal à effectuer des transpositions, à se sentir concerné par autre chose que par le reflet de lui-même qu’on lui impose.

Revenons à la science-fiction — et perdons définitivement notre sujet de départ

La fiction spéculative n’est pas qu’un outil d’évasion, un moyen de démontrer « par l’absurde » qu’une société pourrait être autrement qu’elle n’est. Elle peut aussi être employée de manière littérale, c’est à dire qu’elle peut servir à inspirer le futur. C’est sans aucun doute parce qu’ils ont lu les fantaisistes aventures d’Astro Boy lorsqu’ils étaient enfants que les hommes politiques japonais ont voté des lois fiscales extrêmement avantageuses pour les sociétés qui ont une activité de recherche en robotique, par exemple. Ce qui est particulièrement intéressant dans leur cas, c’est qu’après soixante-cinq ans de doctrine pacifiste, les japonais effectuent des recherches scientifiques dans divers domaines, mais négligent celui de la défense.

Université d'agriculture et de technologie, Tokyo ; Kanagawa Institute of Technology ; Université Tsukuba et Cyberdyne ; Tokyo University of Science. Les prototypes d'exosquelettes japonais sont censés servir à aider les personnes âgées à conserver une activité professionnelle, notamment une activité d'agriculteur.

L’exosquelette a été inventé par l’écrivain américain Edmond Hamilton (l’auteur du « pulp »Captain Future, que nous connaissons ici par son adaptation animée japonaise Capitaine Flam) dans sa novelette A Conquest of two worlds (1932), où il imagine un peu naïvement que la pression qui règne sur Jupiter pourrait être rendue supportable à des visiteurs humains par l’emploi d’armures capables de décupler leur force mécanique (associés, par prudence, à un traitement biochimique capable de renforcer leurs os). Le principe a été repris par de nombreux auteurs, de Fritz Lieber et John Campbell à Bruce Sterling et William Gibson en passant par Robert Henlein et bien entendu Stan Lee, avec Iron Man.

Du fait des progrès des matériaux et des principes de la robotique, l’exo-squelette est en train de devenir une réalité. Je trouve intéressant que cette même idée technique aboutisse à des résultats si différents selon la culture des sociétés qui les produisent : tandis que les universitaires japonais veulent développer une robotique destinée à assister les personnes âgées (et à les aider à maintenir une agriculture traditionnelle notamment), les américains, après plus d’un demi-siècle de doctrine du complexe militaro-industriel, ne pensent d’abord qu’au potentiel militaires et policier de ces inventions.

Une même science-fiction, plusieurs futurs.

Sarcps XOS exoskeleton. Inspiré par le super-héros Iron-man, il est conçu pour la police et l'armée.

Je serais quand même sacrément étonné d’apprendre que quelqu’un a compris où je voulais en venir exactement, mais pour tenter de conclure, je dirais que tout est bon à prendre dans les œuvres de fiction, et qu’une crainte des cultures exogènes est absurde. La réception des œuvres dépend de celui qui en est la cible — toute exportation culturelle est une transposition parce que le public n’est pas le même et n’a pas les mêmes filtres. Le public est opportuniste, il prend ce qui lui est servi lorsque ça lui est utile et le rejette lorsque ce n’est plus le cas.

Article initialement publié sur Le dernier des blogs, les notes renvoient à l’article original.

Photos d’illustration par TrendsSpotting et ricardo.martins

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Mainstream: une critique, un extrait, une carte et la conclusion http://owni.fr/2010/05/11/mainstream-de-frederic-martel-une-critique-un-extrait-une-carte-et-la-conclusion/ http://owni.fr/2010/05/11/mainstream-de-frederic-martel-une-critique-un-extrait-une-carte-et-la-conclusion/#comments Tue, 11 May 2010 07:30:12 +0000 Bibliobsession http://owni.fr/?p=15223 [Billet publié initialement sur Bibliobsession, le blog de Silvère Mercier, bibliothécaire]

Intéressant livre que j’ai eu la chance de recevoir en Service de Presse. (Merci !). Mainstream, Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde de Frédéric Martel (animateur de l’émission Masse critique sur France Culture) est une vaste enquête sur la culture mondialisée, constituée d’une série d’entretiens commentés et remis en contexte. L’ensemble est à la première personne ce qui est un choix peu habituel sur un tel sujet, mais qui a le mérite de rendre la lecture moins fastidieuse qu’une analyse géopolitique des industries créatives… (car tel est bien le sujet de ce livre).

Attention, amis de la culture avec un grand C passez votre chemin (ou pas) on ne parle pas ici d’œuvres ni d’artistes, mais bien de produits, de stratégies, de marketing, de luttes d’influence entre multinationales pour occuper notre temps de cerveau ! Ces préalables posés, il est intéressant je trouve de prendre la mesure de ces phénomènes massifs, même si nous sommes ici du côté de l’offre ce qui comporte des limites certaines au projet, exposées dans ce résumé du livre de J-P Warnier : La mondialisation de la Culture (2003) :

J.-P. Warnier considère que les théories de la convergence culturelle se sont révélées fausses. Toutes les visions macrosociologiques sont victimes d’un contresens méthodologique : leur objet d’étude étant la production de biens culturels au niveau mondial, elles privilégient l’étude de l’offre. Or, si l’analyse se concentre sur la réception au niveau local de ces biens, on constate alors que cette offre mondiale est « décodée, recodée, domestiquée et réappropriée ». L’auteur critique ainsi toutes les théories globalisantes, qu’elles soient culturalistes, comme celle d’Huntington (qui privilégie les revendications culturelles comme facteur explicatif des conflits), ou politiques, comme celle de Ramonet (dont la géopolitique mondiale expliquerait les phénomènes culturels). Il faut privilégier une approche anthropologique, qui permet une lecture du fait culturel local : l’auteur se rattache ouvertement à la thèse de J.-F. Bayart selon laquelle la dynamique sociale et les conflits qui en découlent « mobilisent et structurent les identifications culturelles » en fonction des intérêts des groupes sociaux. Finalement, l’américanisation est, pour l’auteur, un faux débat : la modernité aurait plutôt à faire face à « l’éclatement des référents culturels ». La tradition locale, le terroir sont encore des leviers puissants de différenciation culturelle.

Quoi qu’il en soit, on comprendra mieux par exemple la vivacité de la lutte de la MPAA contre le piratage aux USA en considérant la place du copyright dans l’écosystème économique des industries créatives! Pour autant, il me semble que ce livre est bien trop léger sur les impacts du numérique sur les stratégies des industries créatives.

Et pour cause, les entretiens ont déjà quelques années et le secteur évolue à vitesse grand V, l’ensemble donne l’impression d’une photographie déjà jaunie. On peut se demander par exemple si l’enjeu n’est pas plus aujourd’hui dans le contrôle des data centers que dans le nombre de multiplexes implantés sur un territoire…

Malgré tout, on apprendra comment Murdoch s’est cassé les dents en Chine dans les années 90 et comment l’Inde représente le nouvel Eldorado pour les industries créatives Américaines. Très intéressant aussi de voir comment les pays émergents essaient de construire leur propres industries créatives face aux Américains.

On se rend compte que l’impérialisme US est bel et bien à relativiser (en même temps on le savait déjà…) ! Les USA sont en effet bien moins idéologiques qu’on ne le pense, à voir leur capacité d’adaptation à des marchés étrangers, on se rend vite compte qu’il s’agit bien plus de capitalisme en bonne et due forme qu’une volonté d’imposer une domination culturelle (même si l’un est étroitement lié à l’autre).

Voilà en passant, un instantané des industries créatives dans la Chine d’aujourd’hui qui m’a intéressé, extrait :

“En discutant avec un marchand de CD et de DVD à Shanghai, j’ai compris pourquoi les DVD de contrefaçon ressemblaient tellement aux véritables DVD : “Ne soyez pas stupide, m’a dit le vendeur (sous condition d’anonymat, et traduit par mon interprète). Ce sont bien sûr les mêmes usines qui fabriquent les DVD légaux et ceux qui sont illégaux. c’est exactement comme pour les stylos Montblanc et les montres Rolex.” Et dans le magasin, il m’a montré les DVD “vrais” mêlés aux “faux” – et vice versa. Les Américains, eux aussi, ont compris la ruse et ils ont trouvé cela moins drôle que moi. Ils ont même constaté, en se livrant à un petit exercice d’espionnage, en modifiant certaines images d’un film test, que les longs métrages qu’ils soumettaient à la censure chinoise se retrouvaient au marché noir même lorsqu’ils étaient refusés – détournement ahurissant qui en dit long sur l’état de la corruption dans la Chine communiste. Du coup ils ont attaqué la Chine devant l’OMC pour atteinte aux lois internationales du copyright et pour dénoncer son laisser-faire en matière de piratage sauvage. (Plusieurs de mes interlocuteurs font également l’hypothèse que les Américains diffusent délibérément leus films sur le marché noir pour habituer les Chinois aux blockbusters qu’ils ne peuvent pas diffuser légalement.) “On ne peut pas arrêter le piratage, relativise cependant, à Hong Kong, Gary Chan Chi Kwong, le patron d’East Asia Media, l’une des plus importantes maison de disque en Asie. C’est la même usine qui fabrique les CD légaux et les autres. On sait ça. On garde un œil ouvert et un œil fermé : on essaie de lutter mais on laisse faire aussi, car c’est absolument impossible d’arrêter la contrefaçon.”

Ce passage me semble révélateur des ambiguïtés de la lutte contre le piratage, entre sauvegarde d’un modèle économique inadapté, nouveaux usages massifs, mais aussi (et on l’oublie souvent dans les discours sur le piratage) enjeux géopolitiques de conquête de nouveaux marchés de la culture mondialisée.

Pour conclure, un livre intéressant, mais qui sera vite dépassé… Je vous propose cette petite carte heuristique faite par mes soins à partir de la conclusion de ce livre, soyez indulgents, il s’agissait d’être vraiment synthétique et de fixer quelques idées !

Enfin, la bonne nouvelle, c’est que vous pouvez lire en intégralité ici la conclusion du livre:

Illustration CC Flickr par Express Monorail

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http://owni.fr/2010/05/11/mainstream-de-frederic-martel-une-critique-un-extrait-une-carte-et-la-conclusion/feed/ 3
Comment la culture mainstream a conquis le monde http://owni.fr/2010/04/01/comment-la-culture-mainstream-a-conquis-le-monde/ http://owni.fr/2010/04/01/comment-la-culture-mainstream-a-conquis-le-monde/#comments Thu, 01 Apr 2010 11:24:22 +0000 Clémentine Gallot http://owni.fr/?p=11318 icon_electronlibre1Mainstream, une enquête sur la culture de masse et l’entertainment global qui sort aujourd’hui, livre un état des lieux complet des nouveaux flux culturels qui unissent Hollywood à Mumbai en passant par Le Caire et Rio, avec une certitude : la mondialisation des contenus est en marche.

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« Le mainstream est l’inverse de la contre-culture, de la subculture, des niches ; c’est pour beaucoup le contraire de l’art. » Si la culture de marché a longtemps été un objet d’étude illégitime (en France, en tout cas), le livre de Frédéric Martel, journaliste et universitaire, dessine, enfin, une cartographie des nouvelles guerres culturelles, mal connues, que se livrent pays dominants et pays émergents pour la conquête du « soft power ».

Une méthode qui repose sur plusieurs constats : « la mondialisation des contenus est un phénomène insuffisamment analysé » et « les stratégies, le marketing et la diffusion de produits culturels sont souvent plus intéressants que les contenus eux-mêmes, » écrit-il. L’auteur s’est ainsi livré à un travail de terrain de plusieurs années, sillonnant les capitales de l’entertainment comme New York ou Singapour, écoutant du Christian Rock à Nashville et visitant des plateaux de tournages dans le désert ou dans la jungle. Internet oblige, cet ouvrage interactif propose de retrouver l’équivalent de mille pages de notes, ainsi que des documents, sur un site dédié.

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Au commencement était l’Amérique

La culture mondialisée puise sa source aux États-Unis, la moitié de ce livre-somme est ainsi consacrée à la naissance du monopole américain de la «  diversité standardisée », à son écosystème et au business du show-business.

L’auteur est ainsi allé à la rencontre des acteurs qui façonnent un paysage culturel américain dominé par Hollywood. Avant de s’imposer ailleurs, ce modèle s’est d’abord installé dans l’espace américain, depuis les années 1950 : « le drive-in fut l’une des matrices de la culture de masse américaine d’après-guerre, » explique t-il. Le passage du drive-in, dans la suburb, aux multiplexes dans les shopping-malls des exurbs, ou immenses centres urbains, symbolise bien ce développement de l’industrie du cinéma de masse. Le cinéma est aujourd’hui rentable moins grâce au tickets vendus que par les concessions de pop corn et de coca-cola, devenu son véritable modèle économique.

En passant par Disney, où la stratégie culturelle est axée sur le cross-over, l’auteur visite le Nouvel Hollywood où tout le monde est indépendant tout en restant attachés aux grands studios (« l’indépendance est une catégorie esthétique »). De son côté, le lobby de la Motion Pictures Association of America, premier ambassadeur culturel américain, veille aux intérêts d’Hollywood à l’étranger et fait aujourd’hui de la lutte contre le piratage sa priorité mondiale.

Mainstream décrit également comment l’Amérique dérive une partie de sa domination culturelle de son influence musicale : « la pop music n’est pas un mouvement historique, ce n’est pas un genre musical, on l’invente et on la réinvente constamment. » Detroit, berceau du Motown, a émergé grâce à une stratégie marketing cross-over : une musique noire faite pour les blancs, donc une musique populaire américaine. Dans ce paysage musical, la chaîne MTV a, ensuite, dans les années 1980, créé le lien manquant entre culture et marketing. Les universités sont un autre lieu d’expérimentation culturel et un « facteur d’explication déterminant de la domination croissante des industries créatives américaines. »

Le développement de la mass culture américaine a aussi entraîné dans son sillage un basculement de toute une profession, celle de critique culturel. L’auteur consacre d’ailleurs plusieurs pages éclairantes à l’excellente et atrabilaire critique cinéma du New Yorker, Pauline Kael (et à ses fans, les « paulettes »), star aux États-Unis et inconnue en France.

Cette « intellectuelle anti-intellectuelle » a en effet été la première à traiter sérieusement du cinéma populaire, dans un magazine pourtant élitiste. Viendra ensuite l’anglaise expatriée à New York Tina Brown, à l’origine du « celebrity journalism ». Oprah, la reine des médias, contribue également à brouiller la frontière entre High culture et Low culture avec son émission littéraire accessible à tous. Le nouveau critique, devenu par la force des choses trendsetter, médiateur de l’entertainement ou « consumer critic », contemple ainsi la fin de la hiérarchie culturelle.

« Le marché mainstream, souvent regardé avec suspicion en Europe comme ennemi de la création artistique, a acquis aux Etats-Unis une sorte d’intégrité parce qu’il est considéré comme le résultat des choix réels du public. »

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Un nouvel ordre culturel mondial

S’éloignant ensuite des États-Unis, Mainstream s’intéresse à la guerre mondiale des contenus qui se traduit par des batailles régionales. Si l’on pense, par réflexe, aux promesses du marché chinois, la Chine avec sa censure et ses quotas n’est en réalité pas le géant escompté, Rupert Murdoch s’y est d’ailleurs cassé les dents. Selon Martel, India is the new China. En effet, « Les Indiens ont besoin des Américains pour faire contrepoids à la Chine et les Américains ont besoin de l’Inde pour réussir en Asie. »

Le revival de Bollywood qui a lieu depuis quelques années constitue en fait l’immense majorité du box-office indien qui connaît une très faible pénétration du cinéma américain. Les Américains n’ont d’autre choix désormais que de produire des films indiens en Inde, alors que celle-ci souhaite de son côté conquérir le monde. Mais les contenus locaux, tout en images et en musique qui font le succès de Bollywood ont pour l’instant du mal à se transformer en contenus globaux.

Sur la scène musicale, les flux culturels « pop » occupent en Asie une place prédominante, la musique américaine étant finalement moins présente qu’on ne l’imagine. L’enquête décrit ainsi la guerre que se livrent la pop japonaise (J-Pop) et coréenne (K-Pop) pour diffuser en Asie des cover songs et de la musique formatée dans différentes langues.

La guerre des contenus a aussi lieu sur le terrain de l’audiovisuel et des séries télévisées. L’exportation très lucrative et en pleine explosion des « dramas » coréens donne le « la » de la culture mondialisée asiatique. Boys over Flowers, immense succès de 2009 en Asie, est une sorte de Gossip Girl coréen sirupeux menée par quatre garçons pervers mais bien coiffés.

De l’autre côté du globe, les telenovelas brésiliennes sont celles qui ont le plus de succès : le Brésil étant un nouvel entrant dans le marché des échanges culturels internationaux, il exporte ses séries produites par le géant TV Globo, en Amérique Latine et en Europe centrale.

« Le marché international des telenovelas représente aujourd’hui une guerre culturelle entre la plupart des pays d’Amérique Latine et elle est mené par de puissants groupes médias. Le marché de la télévision est très local et les Américains s’en sortent le mieux, » explique Martel.

Dans les pays arabes, les « mousalsalets » ou feuilleton du ramadan sont des soap operas moraux qui peinent à se renouveler, alors que les séries syriennes, inspirées du modèle américain, décollent. Le conglomérat de médias panarabe Rotana, détenu par le Rupert Murodch du Moyen-Orient, le prince saoudien Al Waleed, a, de son côté, développé son vaste empire d’entertainement mainstream qui s’étend de Beyrouth au Caire.

Le livre se termine sur une note mitigée, en Europe, site d’une « culture anti-mainstream ». Il en ressort que « les Européens ne produisent que rarement de la culture mainstream européenne, » et que, malgré des cultures nationales fécondes, celles-ci ne s’exportent pas. Cette géopolitique actuelle de la culture et des medias n’est en tout cas pas favorable à l’Europe, qui voit sa culture commune s’affaiblir.

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Nouveau capitalisme culturel et économie immatérielle

Ce travail au long cours mené par Frédéric Martel et ces regards croisés, glanés d’un bout à l’autre du globe, convergent vers une hypothèse : la montée de l’entertainment américain va de pair avec le renforcement des cultures nationales (c’est le cas avec la montée en puissance de pays comme le Brésil, l’Inde ou la Corée). L’enquête, dans sa conclusion, esquisse l’avènement d’un modèle dynamique de «  capitalisme hip » :

« un nouveau capitalisme culturel avancé, à la fois concentré et décentralisé (..) les industries créatives n’étant plus des usines comme les studios à l’age d’or d’Hollywood mais des réseaux de productions constitués de centaines de milliers de PME et de start-up. »

De Hollywood à Dubaï, la mondialisation ainsi qu’Internet réorganisent tous les échanges : avec le basculement d’une culture de produits à une culture de services, la dématérialisation des contenus et l’économie immatérielle amplifient et renforcent ces mutations géopolitiques. Finalement, conclue le livre, « La grande nouveauté du XXIème siècle est la conjonction de ces deux phénomènes. »

Frédéric Martel, Mainstream, Flammarion, mars 2010, 460 p.

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> Article initialement publié sur Électron Libre

[MAJ 03/04/2010] L’auteur du livre, Frédéric Martel, était reçu par Nicolas Demorand ce premier avril sur France Inter.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

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