OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Sur le web, l’insurrection qui baille http://owni.fr/2010/09/24/sur-le-web-linsurrection-qui-baille/ http://owni.fr/2010/09/24/sur-le-web-linsurrection-qui-baille/#comments Fri, 24 Sep 2010 14:59:37 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=29396 Avant, pour participer à une campagne anti-establishment, on apposait son paraphe au bas d’une pétition qui circulait de main en main. On boycottait des produits Nestlé. On marchait avec Martin Luther King sur le National Mall de Washington D.C. Parfois, au nom d’une cause un peu floue, on tombait dans la violence aveugle, comme pendant les émeutes de 1992 à Los Angeles. Aujourd’hui, ces manifestations de la lutte sont entrées dans la pop culture et les livres d’histoire, et tout le monde est sur Facebook.

Le rapport?

Si notre capacité d’indignation est intacte (c’est le substrat de l’action politique), nous sommes devenus fainéants, tant et si bien que les anglo-saxons ont inventé un terme pour caractériser ce militantisme aux doigts gourds: slacktivism. Contraction de slacker (flemmard, mais aussi déserteur dans le jargon militaire) et d’activism, ce mot valise désigne toutes les intentions nobles qui fleurissent sur le web, des groupes de soutien sur FB aux avatars détourés et colorés en vert – pendant les émeutes en Iran de 2009 – en passant par les hashtags humanistes sur Twitter.

Leur dénominateur commun: un impact proche de zéro.

Soit des révolutionnaires de velours plus proches de la douceur du capiton que de Vaclav Havel. A force d’exiger d’un réseau commercial et mondialisé des compétences qui n’entrent pas dans ses prérogatives, bon nombre de militants retournent leurs critiques contre l’outil, dans ce qui ressemble à un syndrome de Stockholm inversé. Ces dernières semaines, plusieurs militants ont vivement exprimé leur mécontentement vis-à-vis de Facebook, après avoir vu leurs pages supprimées. Parmi eux, des activistes qui partaient en guerre contre la politique homophobe du géant de la distribution Target, mais aussi le groupe de soutien à Bradley Manning, le soldat américain suspecté d’avoir fourni à WikiLeaks des milliers de documents confidentiels. La plateforme de Julian Assange s’est souvent montrée suspicieuse à l’encontre du réseau de Mark Zuckerberg, et cette fois-ci, les administrateurs du groupe de soutien “officiel” à Manning se plaignent de ne plus pouvoir poster informations et liens sur le mur, qui rassemble quelques 10 000 “membres”. Avant de parler de conspiration, il serait peut-être temps de pondérer la croyance populaire selon laquelle le web 2.0 est un vecteur du bien-être social dans le monde réel.

Sauvez les dauphins

Interrogées par Politico, les équipes de modération de Facebook affirment que ces groupes violent les conditions d’utilisation du site parce qu’ils ne représentent ni des personnes physiques, ni des organisations réelles. Soit. Pendant l’été, déjà, un comité de soutien aux réfugiés palestiniens avait découvert que son intitulé comportait un terme soumis au filtrage… le mot “Palestine”. Dans la foulée, ils avaient reçu ce message:

“Notre système automatisé n’autorise pas le nom ‘Palestinian Refugee ResearchNet’. Il est susceptible de violer nos conditions d’utilisation, ou de contenir un terme bloqué pour éviter la création de pages officieuses ou non autorisées.”

Au même moment, c’est la très populaire page “Boycott BP”, forte de 750 000 membres, qui avait été supprimée “par erreur”, avant d’être rétablie, parce qu’elle “ne violait pas” les mêmes conditions d’utilisation. Selon Politico, “un porte-parole de Facebook a confirmé que le site ne vérifiait l’identité de l’administrateur d’une page qu’à partir d’une certaine taille, qu’il a refusé de spécifier”. Faut-il alors penser que l’impact politique des médias sociaux ne se révèle qu’à partir d’un certain seuil, en dessous duquel les messages sont condamnés à flotter dans le néant comme autant de bouteilles à la mer?

Ne nous y trompons pas, il est beaucoup plus facile de collecter des dons pour sauver les dauphins de la Mer du Japon que pour mener la fronde contre un géant de l’industrie. Pas (uniquement) parce qu’une entreprise comme Facebook est vendue au grand capital (même si elle n’est pas encore côtée au NASDAQ), mais aussi (et surtout) parce que les campagnes politiques aux bords plus francs (et plus polémiques) s’accommodent assez mal du slacktivism évoqué plus haut. Même quand la procédure se limite à cliquer sur un bouton “like”.

le mythe de la décentralisation

La question de la miscibilité des slogans dans les médias sociaux a déjà été posée. Des centaines de fois. C’est la raison pour laquelle il faut prendre le problème dans l’autre sens. Pour la chercheuse danah boyd, “Facebook essaie de devenir un service public”, au même titre que l’eau ou l’électricité, ce qui valide la thèse de sa régulation. Quand Jillian C. York, collaboratrice de l’OpenNet Initiative, évoque la “régulation du contenu dans la sphère semi-publique”, on touche au point clivant: l’environnement normé de Facebook (ses termes d’utilisation comptent plus de signes que la constitution américaine) l’a transformé en société civile muette, ou la parole se limite à la recherche du consensus.

Dans ces conditions, on peut légitimement s’interroger sur la place dévolue à des réseaux décentralisés tels que Diaspora, tout en se remémorant que la notion a été fragilisée, ironie du sort, par le premier réseau social décentralisé (à ses débuts): Facebook. Sans enterrer Diaspora dès sa version alpha, il faut se rappeler que le web de 2010 n’a plus grand chose à voir avec les portails grand ouverts de 1995. Aussi libéré des pressions commerciales soit-elle, l’alternative numéro un à Facebook devra évoluer selon les règles d’un écosystème plus large, celui des fournisseurs d’accès à Internet.

Crédit photos: Flickr CC Robin Iversen Rönnlund, Anonymous9000

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Information: nous n’avons rien inventé http://owni.fr/2010/07/02/information-nous-navons-rien-invente/ http://owni.fr/2010/07/02/information-nous-navons-rien-invente/#comments Fri, 02 Jul 2010 09:59:27 +0000 Charlie Beckett http://owni.fr/?p=20557 Je travaille dans une tour de bureaux moderne dans une allée où une sorte d’Internet a été inventée au 15e siècle. Laissez-moi vous expliquer.

Aux environs de 1422, Henry V a commencé à écrire ses lettres en anglais et non plus en latin. C’était les documents qui l’autorisaient à exercer le pouvoir : les mails de travail de l’époque. Elles servaient à concevoir et exécuter les lois du pays. Mais elles étaient également souvent rendues public pour que tout le monde soit mis en courant de ce qui se passait. Elles racontaient tout au peuple anglais, des batailles aux taxes. C’était donc le journalisme de l’époque.

À travers un système complexe d’écoles de droits officielles (les Inns of Court) le régime de Henry V a mis en place tout un système bureaucratique en utilisant des lettres – écrites en anglais - pour créer à la fois un système administratif et à travers leur publication, une sphère publique médiévale.

14th Century Geek

Geek du 15e siècle

Mon bureau est construit sur les vestiges d’une de ces écoles, appelée St Clements et donnant sur le chef d’œuvre gothique du 19e siècle, la Cour suprême. Ce qu’Henry V a fait à la communication est étrangement similaire à ce qui se passe avec l’Internet, la politique et les gouvernement actuellement.

C’est ce qu’explique le médiéviste Gerald Harris dans son merveilleux livre Shaping The Nation :

L’écriture de lettres, courante dans les affaires personnelles et pour le travail, a aussi développé une dimension politique. Les rois envoyaient des notes d’information décrivant leurs campagnes en Irlande et en France, les Londoniens rendaient compte d’événements particuliers d’intérêt national à l’attention du public provincial (une loi, une bataille, un rituel politique ou un coup d’État), les lettres étaient publiées comme des manifestes publics par des nobles mécontents ou lors de fêtes plébéiennes…. Des lettres bien argumentées ont consolidé les croyances de Lollard contre la persécution ecclésiastique.”

Mais ce qui est intéressant, c’est la façon dont cette littérature fonctionnelle à destination de l’élite s’est transformée en multimédia de masse :

De telles lettres publiques et semi-publiques circulaient, elles étaient lues à haute voix, clouées sur les portes, conservées dans des collections privées ou copiées dans des journaux privés ou des registres officiels. L’alphabétisation générale a fait rentrer la sphère politique dans une toile d’information, de rumeurs, de mises en garde et de conseils. L’intimité de la classe dirigeante, sa taille limitée, son interconnection et son ouverture ont rendu la circulation de l’information en son sein facile – nourrissant un état d’esprit politique.

Je crois que l’expression-clé est “alphabétisation générale”. L’Internet rend cela possible, aussi. Le simple fait de rendre les données accessibles change leurs significations politiques.

Mettre simplement l’information dans un langage que les gens comprennent et auquel ils ont donc accès, change doublement sa signification politique. C’est ce que l’on appelle la data visualisation.

Et c’est là le point important pour un journaliste. Les lettres mettaient sous une forme narrative cette information, écrite dans un langage largement compréhensible. Ou plutôt une série complète de narrations plurielles. C’est crucial. Comme Harriss l’explique, le 15e siècle était un environnement médiatique multi-plate-forme, multi-source : ‘circulaient, étaient lues à haute voix, clouées sur les portes, conservées dans des collections privées, ou copiées dans des journaux privés ou des registres officiels.‘ Ces clercs créaient et faisaient de la curation d’information, un prédécesseur des journalistes en réseau.

Au lieu d’un iPad, ils avaient des plumes et du velin. Puis le papier est arrivé, ce fut un peu comme de passer au très haut-débit.

Ils n’ont pas eu besoin d’une loi sur l’économie digitale. Bien qu’ils aient eu besoin d’un cadre légal et qu’ils aient investi dans un système d’alphabétisation médiatique qui soutenait ce flot de production de données officielles – les auberges de la Cour, les clercs du Palais de Westminster, etc. C’est aussi à ce moment là que Whitehall s’est mis en place, je le crains [NdT : Whitehall est le nom d'une rue qui désigne par métonymie le pouvoir britannique].

Quoi qu’il en soit, faites-en ce que vous voulez. Mais je suis content que la sphère publique précède les coffee shops du XVIIème siècle évoqués par Habermas. Cela montre comment ce type de discours politique peut être audacieux au premier abord, révolutionnaire dans ses effets, mais très sujet à l’inertie du centre de gravité du pouvoir. C’est à nous, en tant que journalistes, de résister à cela, bien sûr. “Once more unto the breach” Une fois de plus sur la brèche ! /-)

Billet initialement publié sur le blog de Charlie Beckett, directeur de Polis ; image CC Flickr FeatheredTar.

Traduction: Sabine Blanc.

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