Tribune: cinq questions sur les drones
D’abord, il y eut pour la première fois les hélicoptères pendant les émeutes de 2005. Puis, quelques mois plus tard, des rumeurs tenaces de drones au-dessus de la Seine-Saint-Denis. Enfin, les Big Brothets Awards 2007. Il fallait comprendre. Et tenter de discerner le vrai du faux, la réalité des rumeurs, les objectifs réels des effets psychologiques souhaités.
DES DRONES ONT-ILS SURVOLÉ LES BANLIEUES FRANÇAISES ?
Contrairement aux idées reçues, la réponse est non. D’abord : il y a la loi. Thierry Delville, patron du Service des technologies de la police nationale, le confie : « Tout simplement, on n’a pas le droit d’utiliser des drones au-dessus d’une zone urbanisée. » Ensuite : les raisons techniques. Selon nos informations, Elsa serait loin d’être au point. Autonomie réduite, difficultés d’envol et d’atterrissage, photos de piètre qualité, risques d’interférences avec les ondes radio de l’aviation civile, problème de chutes éventuelles (au point que la police envisage d’équiper Elsa de parachute) : les limites à son utilisation en zone urbaine sont nombreuses. Jusqu’ici, toutes les expérimentations auraient eu lieu dans des zones peu habitées. Autre souci technique : l’effet venturi, quand « entre deux bâtiments, votre avion est pris comme dans une vague, aspiré dans un tourbillon, un effet d’air », indique Antoine Di Zazzo, P-DG de SMP Technologies, concepteur du drone « Quadri-France » et surtout connu en tant qu’importateur du pistolet à impulsion électrique Taser. Di Zazzo ne décolère pas de s’être fait souffler le marché des drones en France. En février 2008, Antoine Guilmoto, chargé de mission Recherche en sécurité à la Direction générale de la police nationale reconnaissait que « les hésitations doctrinales et les retards stratégiques ont eu pour conséquence un développement tardif » des drones. L’idée de tester des « robots aériens » remonte à janvier 2006. Le premier Elsa a été livré à la police mi-décembre 2007. Un rapport sur les différentes expérimentations doit être remis en septembre 2008 au ministère de l’Intérieur.
DES AVIONS DE SURVEILLANCE AVEC PILOTE ONT-ILS ÉTÉ UTILISÉS ?
Oui. Un petit avion de type Cessna, muni d’une boule optroniquenote, a survolé la Seine Saint-Denis, notamment les 14 juillet 2006 et 2007, et lors de la finale de la Coupe du monde de rugby, fin 2007, au Stade de France. Il a également été aperçu, muni cette fois d’une caméra thermique, dans le ciel de Strasbourg le 31 décembre 2007. En langage policier, on appelle ça un « Cessna dronisé ». Autant les drones volent à basse altitude, parfaits mouchards invisibles ; électriques, entre aéromodélisme et panoptique total, ils sont sans odeur et sans bruit. Autant les Cessna, plus classiques, sont plus gros, presque civils, à haute altitude, moins précis, moins intrusifs.
QUELLES SONT LES UTILISATIONS ENVISAGÉES DES DRONES ?
Pour Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur, « la mise en service de drones facilitera la surveillance et la sécurisation de grands événements sportifs, la gestion des flux de circulation routière, ou encore l’observation des manifestations les plus importantes ». Publiquement, la police met également en avant des opérations exceptionnelles type GIGN/RAID. Après les émeutes survenues à Villiers-le-Bel, en novembre 2007, plusieurs rapports internes de police, que nous nous sommes procurés, faisaient état d’utilisations tout autres. Ainsi, la Direction centrale de la sécurité publique écrivait : « L’expérience menée à Strasbourg lors de la nuit du Nouvel An avec un avion est particulièrement positive et riche d’enseignements » ; « L’emploi des moyens aériens doit être désormais systématisé quelles que soient les réticences de certaines autorités ou certains élus, la Direction générale de la police nationale doit l’imposer comme outil d’appui tactique. » Quant à la Direction centrale des compagnies républicaines de sécurité, elle recommandait « la dotation de moyens de vision nocturne (1 par section) et l’inscription des CRS dans un programme d’acquisition de drones légers Elsa. »
QUI A RÉVÉLÉ L’EXISTENCE DE CES EXPÉRIMENTATIONS?
La révélation remonte précisément au 14 juillet 2006. On la doit à un syndicaliste, qui, de son aveu même, ne pensait pas « faire autant de bruit ». Sur le plateau de LCI, Patrice Ribeiro, membre de Synergie (classé à droite) raconte alors ce qui lui « avait été rapporté par des collègues » le soir même. Un drone aurait survolé le 93. Aujourd’hui, Patrice Ribeiro se souvient du « pataquès » : « Dans un premier temps, ça avait été réfuté par l’aviation civile et par l’armée de l’air. Puis le ministère a avoué qu’ils avaient utilisé un avion, avec l’aide de Thomson. En fait, ils avaient organisé une réunion à la Direction départementale de la sécurité publique du 93 pour dire aux collègues : “Ne vous étonnez pas, on va faire des essais.” Tous les services avaient été mis dans la confidence. » Et l’avion « dronisé » survole brièvement le département, de nuit, mais « pas dans sa partie Est afin de ne pas gêner les fréquences » des services secrets, et « ce à leur demande » selon les déclarations d’alors. Les ministères de l’Intérieur et de la Défense, passablement gênés aux entournures, se rassurent tout de même : la polémique est avant tout interne.
QUI A INTÉRÊT À FAIRE CROIRE QUE LES DRONES SONT DÉJÀ OPÉRATIONNELS ET POURQUOI ?
Après la révélation, la surmédiatisation. Au salon Milipol, en octobre 2007, Michèle Alliot-Marie vante les mérites du « commissariat du futur » en général et d’Elsa en particulier. Toute communication doit désormais transiter par son ministère. Et c’est un festival : la presse s’en donne à cœur joie et parle des drones en banlieue au présent de l’indicatif. Les reportages télé fusent. Les événements de Villiers-le-Bel sont passés par là. Quelques rares députés montent au créneau, mais rien n’y fait. Chacun est désormais convaincu que les drones bourdonnent la Seine-Saint-Denis. Le mythe (militaire) du tout voir et du tout savoir fait son travail. L’existence réelle des drones compte finalement moins que leur simple évocation. L’effet, garanti, est un vieux truc militaire. On appelle ça la guerre psychologique. Ou la dissuasion.
Ceci est le fac similé de ma tribune parue dans le livre Big Brothers: les surveillants surveillés, reprise sur davduf.net en août 2009.
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