L’Europe mérite mieux que Barroso
1 – «Stop Barroso»: plus qu’un slogan de campagne Juan Manuel Durao Barroso: de mémoire, jamais un président sortant de la Commission européenne n’avait tenu une telle place dans une campagne française pour les élections européennes. En faisant de l’ancien Premier Ministre portugais l’un des symboles, dès mi-mars, de notre campagne, j’ai le sentiment que nous [...]
1 – «Stop Barroso»: plus qu’un slogan de campagne
Juan Manuel Durao Barroso: de mémoire, jamais un président sortant de la Commission européenne n’avait tenu une telle place dans une campagne française pour les élections européennes. En faisant de l’ancien Premier Ministre portugais l’un des symboles, dès mi-mars, de notre campagne, j’ai le sentiment que nous avons réussi, avec Europe Ecologie, à réveiller l’intérêt dans l’Hexagone, sur les questions d’apparence complexes liées aux institutions, politiques et pratiques européennes.
La présidence de la Commission Européenne est bien l’un des principaux enjeux de la rentrée parlementaire européenne. Au-delà du slogan «Stop Barroso», c’est un débat qui s’est engagé dès juillet contre une Europe ultra libérale et attentiste sous contrôle des gouvernements réunis au sein du Conseil, contre une Europe paralysée par la prévalence des intérêts nationaux au détriment de la possibilité d’une politique ambitieuse commune de sortie de crise.
En obtenant, à Strasbourg, lors de la session parlementaire de juillet le report de la présentation par le Conseil du candidat Barroso au vote du parlement européen, les Verts européens alliés pour l’occasion aux socialistes et à une partie des libéraux, ont remporté la première manche de ce qui, bien plus qu’un simple épiphénomène médiatique, pourrait devenir l’un des plus importants bras de fer démocratique entre les chefs d’Etats et de gouvernements d’un côté et les représentants directs des citoyens de l’autre.
Soyons clairs, ce qui se joue n’est pas le sort d’un homme soutenu par le Conseil, mais un choix de société. Un tournant politique appelé de leurs vœux par nombre de citoyens européens qui, de plus en plus nombreux, disent stop aux vieilles politiques d’hier, sans cesse remises au goût du jour, et qui nous conduisent chaque jour qui passe un peu plus dans le mur. Stop, aussi, aux faux engagements politiques relayés médiatiquement.
Prenez la crise financière qui a plongé, en Europe et au-delà, des centaines de milliers de familles dans la plus grande détresse. Sarkozy, Merkel, Brown & Cie leur avait juré leur grand dieu qu’on ne les reprendrait plus, qu’ils allaient moraliser la finance… Résultat des courses, l’affaire des bonus. La fin des quotas laitiers et la crise qui s’ensuit pour les producteurs européens est bien à mettre au passif des Etats – dont la France – et de leur candidat Barroso. Que dire aussi de l’entêtement de l’ancien Premier ministre portugais à vouloir imposer les semences OGM sur le sol européen? Petit rappel des faits: le 22 juillet dernier, dans une indifférence quasi générale, la Commission européenne a réitéré son soutien à la commercialisation sur le marché des semences de maïs de la multinationale américaine Monsanto. Fin octobre, cette proposition devrait être soumise aux 27 ministres de l’Environnement. Divisés sur la question, ceux-ci pourraient le rester. En ce cas, la décision d’autoriser la commercialisation de ces trois semences appartiendrait à la Commission et à son président qui gère personnellement ce dossier…
Un BILAN sans perspective
Aujourd’hui je souhaite / nous souhaitons nous prononcer et débattre sur la base d’un programme. Quels sont les axes programmatiques que le futur Président de la Commission européenne entend défendre pour les 5 prochaines années? Quel est le programme de travail et les orientations que Mr Barroso s’engage à soutenir et à poursuivre? Aujourd’hui, je n’en sais rien parce que rien de tel ne nous a été présenté. Je ne peux qu’imaginer ce qu’il nous réserve sur la base du bilan de son mandat sur les 5 dernières années. Et ce bilan, ce n’est pas l’Europe que je défends. Et pour couper l’herbe sous le pied aux polémiqueurs tentés de me taxer de faire un procès d’attention, je soumets à votre réflexion les éléments qui me conduisent à considérer que le bilan de la commission Barroso est loin d’être à la hauteur des enjeux d’une sortie de crise par le haut:
- Economie et réponse à la crise financière
La Commission Barroso a systématiquement ignoré les inquiétudes exprimées face à l’absence de réglementation du secteur financier. Elle a tardé à proposer des mesures visant à atténuer les effets de la crise financière. Elle a fait preuve d’une passivité sans commune mesure à l’égard des paradis fiscaux et de la poursuite de la libéralisation des services financiers, rendant d’autant plus difficile toute régulation future du secteur financier dans l’UE.
- Social
Que dire et penser d’une politique sociale subordonnée à une vision économique à court terme? Politique de libéralisation, privatisation et déréglementation qui a mis en péril les services publics. Que dire et que penser de l’échec de la Commission sur la révision de la directive relative aux travailleurs détachés? Que dire et que penser des propositions qui ont suivi (de la directive services à la réglementation sur la durée du travail dans les transports routiers) qui n’ont eu que pour effet d’ouvrir la porte au dumping social?
- Environnement
L’environnement est devenu le parent pauvre de la politique communautaire. Sous la présidence de Mr Barroso, les gains économiques à court terme de l’industrie ont prévalu systématiquement sur les objectifs environnementaux à long terme. Sous l’impulsion de M. Barroso, la Commission a retardé et affaibli des propositions législatives majeures dans le domaine de la lutte contre les changements climatiques, telles que la limitation des émissions de CO2 des véhicules. M. Barroso promeut ouvertement l’énergie nucléaire, mettant fin à la tradition de neutralité de la commission vis-à-vis de cette technologie en affaiblissant les orientations de développement en faveur des énergies renouvelables. Je ne peux pas accepter une commission qui outrepasse ses attributions en cherchant à plusieurs reprises à faire autoriser la culture de variétés génétiquement modifiées contre la volonté même de plusieurs Etats membres et de nombreux consommateurs. Je ne veux pas d’une commission qui a retardé et affaibli la législation européenne sur la pollution atmosphérique et le traitement des déchets et n’a pris aucune mesure quant aux dispositions du règlement Reach visant à substituer les substances chimiques pour lesquelles des alternatives sures existent.
- Démocratie
Enfin, je suis atterrée par le bilan de cette commission dans ce domaine. Le président Barroso n’a pas tenu son engagement de créer un groupe de travail sur les droits de l’homme composé de commissaires. Il est resté muet sur les restitutions extraordinaires de la CIA en Europe malgré la violation de la réglementation européenne… Je suis consternée de constater que la Commission a renoncé à son rôle de gardienne des traités de l’UE et a évité d’engager des procédures d’infraction contre les états membres contrevenants et récidivistes. Je suis inquiète au regard de l’attitude d’une Commission qui s’est montrée réticente à assurer un plus grand accès à ses documents, même lorsque des décisions de justice l’enjoignaient de le faire; qui face à l’influence des lobbies dans le processus décisionnel, s’est limitée à la création d’un registre volontaire écartant toute initiative visant à plus de transparence…
Ne nous trompons pas de débat, c’est au regard de ce bilan que nous disons aujourd’hui «Stop Barroso» mais plus encore que nous affirmons que l’Europe, notre vision de l’Europe, notre Europe mérite mieux que Barroso! Il n’est pas tant question de stigmatiser un homme que de se s’interroger sur quelle Europe nous voulons pour demain.
Quelle est l’Europe que nous construit, avec le soutien des chefs d’Etats et de gouvernements, l’actuel président de la Commission? Une Europe impuissante face au monde de la finance? Une Europe destructrice d’emplois agricoles? Une Europe OGM que les citoyens refusent très majoritairement l’usage de semences génétiquement modifiées? Cette Europe n’est pas celle d’Europe Ecologie et des Verts européens, pas plus qu’elle n’est aujourd’hui celle des citoyens et d’une majorité de leurs représentants parlementaires. Ce qui se joue en ce moment, entre les couloirs du Berlaymont et ceux du Parlement est une question de choix entre différentes visions de l’Avenir.
Et d’un point de vue institutionnel, n’en déplaise à certains, je suis de ceux qui pensent que l’avenir devra se définir sous le traité de Lisbonne!
2 – Nice ou Lisbonne – La «tactique du tic-tac»
Nous nous sommes réunis dès le 16 juin à Bruxelles, une semaine après les élections, pour nous caler sur nos objectifs: faire obstacle au passage en force du Conseil à une présentation de son candidat à la session de juillet et de septembre sous le traité de Nice pour affirmer la légitimité et le poids du parlement, aujourd’hui seule institution au sein de l’Union Européenne représentant les citoyens européens. Il s’agissait bien de se faire respecter dès les premières minutes.
Ainsi, lors de cette dernière session strasbourgeoise, il est ressorti de la conférence des présidents que l’inscription à l’ordre du jour de la session de rentrée de l’investiture de José Manuel Durao Barroso serait conditionnée à la présentation par ce dernier d’un «programme convaincant». En juillet, la conférence des présidents a décidé de ne pas décider de l’inscription à l’ordre du jour de la présentation du candidat Barroso au parlement. La «tactique du tic-tac» consiste à repousser le vote sur la présidence de la Commission après la ratification, si elle a lieu, du traité de Lisbonne (référendum prévu en Irlande début octobre) pour que le nouveau président soit élu sous l’égide de ce traité qu’il sera amené à appliquer.
Une des raisons tient dans cette disposition du nouveau traité:
«En tenant compte des élections au Parlement européen, et après avoir procédé aux consultations appropriées, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose au Parlement européen un candidat à la fonction de président de la Commission. Ce candidat est élu par le Parlement européen à la majorité des membres qui le composent. Si ce candidat ne recueille pas la majorité, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose, dans un délai d’un mois, un nouveau candidat, qui est élu par le Parlement européen selon la même procédure.»
En clair, avec le traité de Lisbonne, Barroso devra recueillir un minimum de 376 voix sur sa personne contre une simple majorité des présents à l’heure actuelle. Autant dire que si le front anti-Barroso devait se renforcer, ses jours à la tête de la Commission seraient en ce cas, sérieusement comptés. Resterait alors au Conseil à proposer le nom d’un autre candidat, dont on pourrait aller jusqu’à imaginer qu’il soit soufflé par le Parlement lui-même… A peu de choses près, l’Union vivrait en ce cas une petite révolution de velours…
Quant à Mr Barroso, si les chefs d’Etats et de gouvernements européens tenaient malgré tout encore à le gratifier du titre du président, le traité de Lisbonne instituant une présidence de l’Union européenne pour un mandat 2 ans et demi, qu’ils lui attribuent celui de président du Conseil européen. Les choses auraient au moins le mérite d’être claires…
(Première publication sur Slate France, le 27 août 2009)
Image de une: Juan Manuel Durao Barroso. Sebastien Pirlet / Reuters
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> Article initialement publié sur le blog de Sandrine Bélier
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