Le Fakir sort des clous
Il y a la presse-sandwich, qui glisse une fine couche d’infos vides qui brossent tout le monde dans le sens du poil entre deux grosses tranches de pub bien juteuses et puis il y a la presse-passion, avec plein de vrais bons gros morceaux d’informations qu’on ne trouve nulle part ailleurs et qu’une tribu de [...]
Il y a la presse-sandwich, qui glisse une fine couche d’infos vides qui brossent tout le monde dans le sens du poil entre deux grosses tranches de pub bien juteuses et puis il y a la presse-passion, avec plein de vrais bons gros morceaux d’informations qu’on ne trouve nulle part ailleurs et qu’une tribu de journalistes intègres et enragés est allée chercher sauvagement jusqu’au fin fond des latrines de la République.
Fakir, le journal d’enquête sociale, fâché avec tout le monde ou presque, est l’un des rares à faire partie de cette deuxième catégorie et il est d’autant plus cher à mon cÅ“ur que toute l’équipe m’a fait l’extrême honneur de m’y laisser un strapontin de belle tenue. François Ruffin qui t’appelle pour te dire qu’il aimerait bien avoir un papier de toi, Ruffin, tu sais, le gars qui a démonté les arcanes de l’école de journalisme dont il venait à peine de franchir le seuil, Ruffin, l’auteur remarquable des sublimes chroniques sociales de la merde ordinaire chez Mermet, Ruffin, enfin, l’enragé froid qui a propulsé son petit canard d’empêcheurs de truander en rond de sa Picardie natale à l’échelle nationale, en y mettant ses billes, ses potes et pas mal de ses tripes, et bien, ce journaliste-là n’a pas acheté sa carte de presse à la braderie de Lille et quand il t’appelle en s’excusant de ne pas avoir de blé pour te sortir de ta propre impécuniosité, tu lui dis juste que ce n’est pas grave et que tu es ravie d’être de cette galère-là .
Évidemment, Fakir, ce n’est pas que Ruffin et son sens féroce de l’organisation et de la direction de troupe, c’est aussi toute une bande de joyeux déconneurs totalement barrés de la plume, de baroudeurs issus de la PQR, l’école de l’info que ne se chope pas en ronronnant derrière son clavier à attendre les dépêches de l’AFP, des gars enragés qui croient encore à l’info engagée et qui n’ont pas chipoté quand il s’est agi d’accueillir une petite nana sans pédigrée, sortie de nulle part. Bref, dans les comités de rédaction de Fakir, ça bosse dur et ça discute le bout de gras pour vous servir la meilleure info sociale possible dans un canard dans lequel on est fiers comme des poux de signer. Et quand François décide que tout est enfin bien carré, on va fêter le plus indignement possible jusqu’au bout de la nuit picarde ce qui s’apparente le plus à un Là -bas si j’y suis format papier.
C’est dire si je suis sûre de mon coup quand je vous annonce que le Fakir nouveau est dans tous les bons kiosques de France et de Navarre le 19 septembre prochain et qu’il faut en acheter plein, et abonner tante Agathe pour soutenir l’effort de guerre de la presse qui ne se couche pas ! En cadeau bonus, l’article que j’avais signé dans le numéro d’été.
Titre : Robinet à pesticides
Chapeau : A Paris, on avait pris l’habitude d’avaler le Château Chirac au robinet. Des mœurs (économiques autant qu’écologiques) que nous avons abandonnées sur injonction de la Préfecture lors de notre retour au bled…
Signature : Agnès Maillard.
Exergue : Il me fallait fissa laisser tomber l’eau du robinet, laquelle était potentiellement dangereuse pour mon fÅ“tus et moi-même.
Jusqu’à ce jour d’été 2002 où je reçois nominativement un courrier de la Préfecture. C’est de ma faute aussi : je n’avais qu’à ne pas parler de ma grossesse à la Sécu, laquelle, un peu commère, s’est empressée de répercuter la nouvelle à toutes les administrations possibles et imaginables. J’ai gardé longtemps cette lettre à en tête bleu blanc rouge, jusqu’à ce qu’un archivage ou un déménagement de trop me fasse perdre sa trace. Je ne me souviens plus exactement de la tournure de la missive, mais l’idée générale me glaça le sang : il me fallait fissa laisser tomber l’eau du robinet, laquelle était potentiellement dangereuse pour mon fÅ“tus et moi-même. Bien sûr, cette injonction assez puissante à ne consommer que de l’eau en bouteille ne s’accompagnait pas d’un chèque au montant suffisant pour me payer les mètres cube d’or bleu qu’il allait maintenant falloir me coltiner lors de mes courses.
Ainsi donc, la flotte que je buvais quotidiennement, en toute confiance, depuis des années, n’était pas assez potable pour les nourrissons et les femmes enceintes pendant quelques mois ! Par contre, il suffisait au nourrisson de relâcher le téton pour devenir immédiatement et miraculeusement eau-du-robinet compatible ! Renseignements pris, l’eau de mon bassin n’a pas grand-chose à envier à celle de nos amis bretons, essentiellement grâce aux pratiques agricoles intensives qui polluent l’ensemble des écosystèmes depuis des années : nitrates au plafond et large assortiment de pesticides. Sans compter les aberrantes pratiques d’irrigation des cultures qui vident les cours d’eau en été et augmentent encore plus les concentrations de polluants dans les bassins versants. Nous voilà donc condamnés, un temps, à transbahuter des kilos de flotte, histoire de ne pas se retrouver avec un bébé à deux têtes ou une autre joyeuseté dans le genre et à étancher notre soif avec un liquide bien précieux, puisque facturé dans le supermarché du coin deux cents fois plus cher que ce qui sortait de notre robinet.
Et que faire, après l’enfantage allaitage ? Parce qu’une fois informés de la qualité de notre eau potable, nous étions des plus dubitatifs quant à l’idée de recommencer à décanter de l’eau de piscine dans notre frigo. Et nous supputions qu’un breuvage nocif pour les fÅ“tus pendant quelques mois ne devait pas être terrible pour notre fille et nous en prise quotidienne, tout au long d’une vie. Mais d’un autre côté, financièrement et intellectuellement parlant, il ne nous semblait pas non plus tenable de continuer dans l’eau en bouteille, horriblement chère, peu pratique, pas du tout écologique et peut-être même pas si sûre que cela. Nous pouvions nous rabattre sur des pratiques alternatives, mais néanmoins ancestrales, comme celles du grand-père, Gascon exilé dans le bordelais, convaincu que la flotte, c’est surtout bon pour laver le linge et cuire la soupe et que rien ne vaut un bon petit côtes de Blaye pour désaltérer le gosier. Il évite même le pastaga, parce qu’il faut mettre de l’eau dedans… Si son choix est gustativement défendable, le bilan en terme de santé risque d’être plus discutable et à ce compte-là , mieux vaut pouvoir se déplacer en transports en commun, parce que si on ajoute à la facture d’essence les prunes pour conduite en état d’ivresse, le bilan financier de l’opération est purement prohibitif.
Restait la solution de la filtration à domicile, un marché émergeant, auquel je prédis un avenir triomphant. Déjà , dans le bled, il y a de plus en plus de carafes à filtres qui trônent dans les cuisines, essentiellement pour des raisons gustatives. Le problème des carafes à filtre, c’est qu’elles sont diversement efficaces, la plupart filtrant surtout le chlore. À l’autre bout du spectre de la filtration à domicile, il y a des les osmoseurs, réputés tellement efficaces que même les sels minéraux, ils ne passent pas la barrière. Mais les engins sont coûteux à l’achat, nécessitent souvent des travaux pour installer un troisième robinet, ce qui disqualifie d’office les simples locataires que nous sommes. Reste le filtre à robinet, facile à installer, à utiliser, peu coûteux à l’achat et nettement moins gourmand en consommables que les carafes. Bien sûr, c’est un pis aller. Avec ce que nous payons comme frais d’assainissement et de filtrations sur notre facture de flotte, nous serions en droit d’espérer que l’eau qui sort de notre robinet soit directement avalable. Bien sûr, nous ne sommes pas certains que le filtre retienne vraiment toutes les saloperies que nos agriculteurs, entre autres, s’acharnent à injecter dans nos sols, jour après jour.
Hier encore, j’ai croisé un tracteur sur champ labouré qui se traînait pas moins de 10 cuves en plastique, chacune équipée d’une petite canule qui versait le produit dans la terre. 10 produits chimiques en un passage ! 10 substances dont on sait surtout qu’elles vont ruisseler avec les pluies d’orage et finir dans mon robinet ! 10 bonnes raisons de repenser notre politique alimentaire et agricole, 10 façons de flinguer notre ressource la plus précieuse, 10 sources de profit pour les chimiquiers du monde et 10 sources d’inquiétude supplémentaires pour le péquin moyen que je suis et qui va continuer à filtrer son eau en croisant les doigts…
Encadré : Les guerriers de la flotte
Je les ai rencontrés, les guerriers de la flotte, lors des « assises départementales de la nature et de l’environnement ». Un intitulé qui a de la gueule, un projet citoyen qui devrait rameuter les foules dans un département qui crève de trop d’agriculture intensive. Six heures d’ateliers et de débats programmés pour faire le point sur les problèmes écologiques du Gers et, surtout, apporter un ensemble de pistes et solution à proposer aux décideurs, élus et administrations, parties prenantes dans la gestion de notre bien commun. Au final, une cinquantaine de personnes, très motivées, très impliquées et aussi très usées. Parce que ce sont toujours les mêmes qui montent au front, année après année, inlassablement. Toujours les mêmes qui continuent à défendre l’intérêt commun, contre vents et marées, contre l’indifférence, surtout.
Les revoilà donc, dans la salle des fêtes de Lahitte, un joli petit village qui tutoie le sommet des collines gasconnes, à dépoter un café savoureux comme de l’eau de vaisselle dans un trucmuche de cantine, à préparer des tartines de rillettes de canard pour soutenir les débatteurs dans l’effort, à se battre, toujours et encore pour un mode de vie plus respectueux de la nature, pour une politique au service des citoyens et des générations futures. Représentants d’associations de terrain, de mouvements écolos, ils se retrouvent, une fois de plus, sans les élus, sans les journalistes, sans les citoyens surtout, et ils continuent.
Notes
1 Voir l’eau de marque Basani, vendue par Coke en Angleterre : http://www.zombiemedia.org/spip.php?breve232
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