Entreprise 2.0: la tentation de l’utopie
Fervent défenseur de l'Entreprise 2.0, Cecil Dijoux nous explique qu'il n'est pas impossible de convaincre un milieu plutôt rétif en France à changer ses habitudes. De l'angélisme pragmatique.
Parmi les activistes Entreprise 2.0, il y a deux familles : les révolutionnaires et les évolutionnaires [en].
Pour les premiers, il ne fait aucun doute que les plateformes collaboratives émergentes sont des outils révolutionnaires et que leur intégration au sein des entreprises va avoir des conséquences spectaculaires sur l’organisation de ces dernières.
Pour les seconds, ces outils doivent s’intégrer aux processus existants car, révolutionnaires ou pas, l’objectif de ces outils est d’apporter quelque chose de quantifiable à l’entreprise.
Les premiers ont parfois tendance à être transportés par une certaine ferveur pouvant devenir embarrassante, et sont parfois taxés par les seconds d’utopisme, d’angélisme ou de niaiserie.
#hypertextual se situe plutôt parmi les premiers et souhaite avec ce billet devenir raisonnable et exiger (ce que d’aucuns identifient à) l’impossible …
Entreprise 2.0 vs les Bisounours
Ce billet est inspiré par deux articles. Le premier est la contribution (par ailleurs remarquable) de Vincent Berthelot au livre blanc Entreprise 2.0 – le chapitre Relations sociales :
L’entreprise 2.0 est, on le sait, un peu victime d’une vision rose voire bisounours de l’entreprise, la vision d’une entreprise où tout le monde collabore, communique, travaille, innove pour une performance collective forcément meilleure.
Le second est celui de Bertrand Duperrin : Entreprise 2.0 : la valeur ou le déni
Le microcosme 2.0 se complait dans une forme d’angélisme fondé sur une sorte de “flower power management” qui aurait été de bon teint dans les années 70. Tout doit n’être qu’engagement volontaire, passion, démonstration, engouement. Le process c’est le vieux monde et c’est sale.
Il s’agit là de perspectives de consultants qui sont dans l’action, au plus près des directions d’entreprise pour les accompagner dans la mise en œuvre de ces nouveaux outils numériques au sein de leur organisation. Lorsque l’on sait combien l’entreprise.fr est particulièrement conservatrice et rétive aux changements structurels, on comprend combien il leur est nécessaire à tous les deux d’être extrêmement pragmatiques.
Rester crédible en délestant leurs discours de la guimauve marketing qui peut imbiber celui de consultants peu scrupuleux est une chose. Se débarrasser d’un revers de main des principes et de la culture implicite de ces outils en est une autre.
Start with the end in mind…
… nous invite Stephen Covey dans 7 Habits of highly successful people [en]. Et the end in mind dans notre cas c’est le modèle Internet.
Avec Wikipedia et le logiciel libre, Internet à démontré à la plus grande échelle de collaboration de l’histoire humaine la formidable aptitude des plateformes collaboratives émergentes (blogs, wiki, forums, réseaux sociaux) à créer de la valeur à partir de flux d’information et à spontanément s’organiser pour coordonner des activités collaboratives à partir de multiples contributions dispersées et non hiérarchisées.
Gary Hamel (le most influential business thinker selon le Wall Street Journal [en] – pas exactement un repaire de vieux beatniks illuminés) dans son essai The Future of management [en] y voit là le modèle de l’entreprise de demain.
Toutes ces nouvelles plateformes numériques constituent la boite à outil du management du 21e siècle [en]. Dans leur double fond, elles importent une culture et des principes depuis Internet au sein de l’entreprise : conversation, agilité, simplicité, transparence et confiance plutôt que diffusion, bureaucratie, complexité, sécurité, et contrôle. Non pas que les secondes valeurs soient à proscrire mais elles ne déterminent plus le comportement par défaut : ce sont les premières qui le font.
Quels problèmes sommes nous en train de régler ?
Dans son article, Bertrand identifie l’angélisme du microcosme 2.0 comme motif principal au fait que rien n’a changé car selon Bertrand cet angélisme refuse de se confronter à la réalité de l’entreprise, la tuyauterie de son fonctionnement qu’il ramène pour grande part à ses processus.
Contrairement à ce qu’avance Bertrand dans son article, je suis persuadé que les choses ont avancé cette année. Pour symbole : le S Word [en] n’est plus banni : on parle de plus en plus de Social Software [en] et de Social Business [en] surtout depuis la dernière E20 conférence à Santa Clara [en].
Par ailleurs je ne suis pas du tout persuadé que les processus soient solubles tels quels dans l’entreprise 2.0 mais c’est un vaste sujet traité dans un autre billet [en].
Cela ne veut pas dire que nous ne devons investir les yeux fermés dans des solutions de réseaux sociaux d’entreprise (RSE) sans réfléchir au retour qu’on en attend. Mais pour cela, il faut savoir quel est le problème que l’on veut résoudre [en] : là est de mon point de vue la réalité à laquelle se confronter. Il s’agit du point de départ et, accessoirement, d’un excellent test de la validité de notre discours [en].
Capturer le savoir tacite, favoriser l’innovation, contribuer à la motivation et au sentiment d’appartenance des employés, raccourcir la feedback loop des clients ou des fournisseurs, limiter le nombre de réunions inutiles et chronophages, débarrasser les employés d’outils inappropriés et inutilisables imposés par la gouvernance SI, etc. : ces problèmes ne manquent pas.
Dans cette perspective, les RSE peuvent grandement contribuer à la productivité de l’organisation et à aider tout le monde à mieux faire son travail. Là où je rejoins Bertrand est qu’il est de la responsabilité du microcosme 2.0 de se confronter à cette réalité et de proposer des méthodes de mesure et de suivi de l’impact des outils au sein de l’organisation. À ce titre, son article dédié au ROI dans le Livre Blanc Entreprise 2.0 est particulièrement éclairant.
La suspicion de l’Engagement
All organizations say routinely ‘People are our greatest asset’. Yet few practise what they preach, let alone truly believe it. (Peter Drucker)
Au cœur de la pensée Entreprise 2.0 se trouve l’employé et la notion d’engagement (dans le sens d’implication).
Cette notion a beaucoup de mal à passer dans notre culture où l’entreprise est diabolisée et le travail est vécu comme une corvée que l’on subit. Du coup on comprend mieux les réticences de Vincent ou Bertrand à adhérer à cette partie du logiciel 2.0 telle que décrite par Ethan Yarbrough sur le blog AIIM [en] par exemple.
Pourtant, il s’agit d’un élément essentiel. Towers Perrin a publié les résultats d’un questionnaire mondial [en] duquel il ressort que seulement 20% des employés sont impliqués dans leur travail et que, sur trois ans, l’évolution moyenne de la marge opérationnelle entre une entreprise avec des employés plutôt impliqués est de +3,74% lorsque celle d’une entreprise avec des employés moins impliqués est de -2%.
En d’autres termes : libérez vos employés [en] et les résultats de l’entreprise suivront.
Un exemple éclatant : HCL [en] (SSII) indienne de Vineet Nayar [en] qui révolutionne la culture de l’entreprise à son arrivée en 2005 avec un motto répété inlassablement : “Employee first, customers second.” La raison : en s’accomplissant l’employé offre toute son potentiel et crée de la valeur pour le client. Pour des résultats remarquables et une entreprise élue meilleure employeur en Asie par Hewitt Associates.
Talk about the revolution
Les réseaux sociaux proposent une révolution sociale bien plus que technologique. Comme le dit Clay Shirky [en] :
Revolution doesn’t happen when society adopt new technologies, it happens when society adopts new behaviors.
Il ne s’agit pas d’utopie : cela c’est produit sur Internet bien sûr mais aussi dans de nombreuses entreprises [en] : Whole Foods Market [en], WLGore [en], Google, FAVI [en] ou Lippi (en France), HCL de Vineet Nayar (en Inde) [en] ou Semco de Ricardo Semler (Brésil) [en].
L’objectif n’est pas de transformer l’entreprise en un monde de Bisounours un peu tarte mais de donner aux travailleurs de la connaissance des outils et des méthodes de travail qui leur permettent de mieux travailler et de faire davantage sens de leur contribution pour être plus productifs individuellement et collectivement. Des employés plus concernés dans une organisation qui fonctionne de façon plus fluide pour mieux servir ses clients et générer plus de revenus : the end in mind de tout projet 2.0.
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Billet initialement publié sur #hypertextual
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