Union pour la Méditerranée (UPM): le naufrage?
Lancée en grandes pompes le 13 juillet 2008, l'Union pour la Méditerranée rassemble les pays riverains et les États de l'UE. Depuis la chute de Ben Ali et de Moubarak, l'UPM est sous le feu des critiques.
Au commencement, l’Union pour la Méditerranée (UPM) était un grand projet. Suggérée à Nicolas Sarkozy par Henri Guaino, son conseiller spécial, l’Union est l’une des promesses de campagne de 2007. L’idée initiale est de rassembler les États riverains de la Méditerranée. “C’est d’abord aux pays méditerranéens eux-mêmes de prendre en main la destinée que la géographie et l’histoire leur ont préparée” déclare Nicolas Sarkozy lors d’un discours à Toulon en février 2007. Le 13 juillet 2008, le sommet de Paris crée officiellement l’Union pour la Méditerranée, au terme d’âpres négociations entre partenaires européens.
Angela Merkel, la chancelière allemande, s’oppose à une Union des seuls pays riverains. Le Président français nouvellement élu revoit sa copie. L’UPM intègrera bien les 27 Etats membres de l’Union Européenne en plus des pays riverains. Elle remplace et entend relancer le processus de Barcelone, lancé en 1995. Le dialogue sur la sécurité et les questions économiques, sociales et culturelles sont au cœur de ce premier partenariat entre les deux rives. Son successeur, l’UPM se concentre sur “les dynamiques économiques” selon Jean-Baptiste Buffet, chercheur associé au think tank Thomas More.
- En bleu, les Etats de l’UE. En jaune, les Etats de l’UPM. En jaune hachuré, le statut d’observateur
L’UPM se structure autour de six projets directifs, principalement liés à l’environnement, au développement économique et à l’éducation :
- la dépollution de la Méditerranée
- un plan solaire méditerranéen
- un programme de prévention et de réaction aux catastrophes naturelles
- l’amélioration des moyens de transport entre les deux rives et à l’intérieur de la rive sud, notamment par la construction d’une ligne grande vitesse “trans-Maghreb” entre Tripoli et Casablanca via Tunis et Alger
- une université euro-méditerranéenne implantée en Slovénie
- “l’assistance technique et des instruments financiers” aux micro, petites et moyennes entreprises
Le précédent de Barcelone
Et c’est tout ? La déclaration commune du sommet de Paris du 13 juillet 2008 affiche un autre objectif :
la volonté politique commune de relancer les efforts afin de transformer la Méditerranée en un espace de paix, de démocratie, de coopération et de prospérité.
Quelques mois plus tôt, Nicolas Sarkozy faisait appel à la mémoire des fondateurs de l’UE pour justifier le contenu de l’Union pour la Méditerranée : “Il fallait apprendre à faire la paix, à se rassembler autour de projets comme l’avait fait en son temps Jean Monnet”. Avant de plaider pour “que l’on fasse de notre Méditerranée un espace de paix, alors que c’est un espace d’affrontement”.
C’est justement sur cet écueil que le processus de Barcelone s’était échoué. Incapable de dépasser les désaccords entre les États membres à propos de conflits larvés ou ouverts (Chypre, Palestine), le processus de Barcelone s’était essoufflé. Dans une tribune parue dans Le Monde daté du 23 février 2011, un groupe de diplomates dénonce, sous couvert d’anonymat, une “Union pour la Méditerranée, lancée sans préparation malgré les mises en garde du Quai d’Orsay qui souhaitait modifier l’objectif et la méthode”. De facto, l’UPM connait les mêmes difficultés que le processus de Barcelone. Pour Henri Guaino, qui a violemment dénoncé mercredi ce “tract politique” publié dans Le Monde, il fallait prendre la Méditerranée “telle qu’elle est”.
Faiblesses structurelles
Après l’opération Plomb Durci [en] menée par Israël dans la bande de Gaza en janvier 2009, les dirigeants arabes ont refusé de s’assoir aux côtés des dirigeants israéliens. Les activités de l’Union sont formellement suspendues à la demande de l’Egypte. Aucun sommet, pas même une rencontre entre les ministres des Affaires étrangères, n’a eu lieu depuis. Dernière crise en date, la démission, le 26 janvier dernier, de son secrétaire général, le Jordanien Ahmad Massadeh. “Les conditions ont changé”, invoquait-il, énigmatique.
Le lendemain, Bernard Valéro, porte-parole du Ministère des Affaires Étrangères français, appelait de ses voeux la Méditerranée à “cesser d’être un lieu de conflit, de violence, de tragédie, pour devenir un lieu de partage, de coopération, un grand espace de co-développement, de création, de culture, de paix”. À ce moment-là, la profonde crise politique qui touche le Sud de la Méditerranée a déjà fait tomber le régime de Ben Ali et commence à ébranler celui de Moubarak.
Un contexte qui révèle, selon Maxime des Gayets, directeur de cabinet du président (PS) de la région Ile-de-France, les faiblesses structurelles de l’UPM. “Cet étrange attelage mêlant démocraties occidentales et régimes autoritaires” qu’est l’UPM ne saurait faire face aux défis posés par les changements politiques en cours en Afrique du Nord. L’Union s’est mise “à revers des aspirations démocratiques croissantes des peuples de la Méditerranée” poursuit-t-il avant de pointer la composition de l’organisation.
Blocages diplomatiques, clivages internes
L’Union ne s’est pas appuyée sur des représentants des sociétés civiles mais sur les régimes en place. Ni les petits entrepreneurs, ni les élus ni le secteur associatif ne sont associés à la prise de décision. Lors du Conseil européen du 13 mars 2008 qui scelle la destinée de l’Union, Nicolas Sarkozy se félicite de l’accord des pays de la rive Sud. Kadhafi, Ben Ali et le roi du Maroc Mohammed VI sont “totalement mobilisés” autour de l’UPM. Moubarak est “très volontaire au service de cet objectif” et Bouteflika, le président algérien, “n’y est pas opposé”. En juin, le très sulfureux Kadhafi se rétracte, accusant cette fois l’UPM de vouloir “déchirer l’unité arabe et africain”. Moubarak devient co-président de l’Union.
L’UPM a été discrète depuis la chute des régimes tunisien et égyptien. Leur participation à l’Union était une évidence selon Henri Guaino:
Fallait-il faire l’UPM uniquement avec nous-mêmes ou avec les pays de la Méditerranée ?
Aux blocages diplomatiques et au climat peu propice à une relance s’ajoutent des clivages internes. Lors du départ du secrétaire général, certains diplomates assuraient [es] que les blocages les plus importants venaient des partenaires Européens et non des tensions issues du conflit israélo-palestinien.
Les États du Nord et du centre du continent regardent vers l’Est, les pays latins voudraient eux davantage d’investissement dans le Sud. La gouvernance politique et technique de l’Union est paralysée, à l’image de l’UE très silencieuse depuis le début des révoltes sur la rive Sud. Les tensions politiques persistent. Malgré les tractations initiales, l’Union pour la Méditerranée ne trouve pas son second souffle. Comme si, après des débuts incertains, la fin était maintenant annoncée.
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>> Crédits Photo Flickr CC Marco Vossen / WikiMedia Commons / Tinette
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